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Un coup de pouce émirati et la caution du Trésor public français pour les Rafale de Sissi

Le méga-contrat de près de quatre milliards d’euros passé entre Paris et Le Caire bénéfice de sérieuses « garanties », mais si l’Égypte ne parvenait pas à rembourser, le contribuable français pourrait être mis à contribution
Les livraisons des 30 Rafale – 18 monoplaces et 12 biplaces – s'étaleront entre 2024 et 2026 (AFP)
Les livraisons des 30 Rafale – 18 monoplaces et 12 biplaces – s’étaleront entre 2024 et 2026 (AFP)
Par MEE

Pour s’offrir les 30 avions de combats français Rafale, ainsi que des missiles et d’autres équipements militaires, les autorités égyptiennes ont dû obtenir un prêt, garanti par la France, à hauteur de 85 %.

Outre le fait que la vente ait indigné de nombreux défenseurs des droits de l’homme, qui rappellent les exactions commises par le régime d’Abdel Fattah al-Sissi, celle-ci fait également sourcilier en raison de la nature des financements impliqués.

« Le Trésor public [français] s’est porté caution auprès de plusieurs établissements bancaires français – le Crédit agricole, la Société générale, la BNP et le CIC – pour permettre au maréchal Sissi de conclure le transfert d’armement », a révélé le site d’investigation Disclose, lundi 3 mai.

L’information, tenue secrète, n’a été confirmée par l’armée égyptienne et le ministère français des Armées qu’après les révélations de Disclose.

« L’Égypte et la France ont signé un contrat pour la fourniture de 30 avions Rafale », a indiqué le communiqué égyptien quelques heures après la révélation de ce contrat, ajoutant que cet achat se ferait via un prêt sur dix ans, sans plus de détails.   

La commande de ces avions de combat par Le Caire pour quelque quatre milliards d’euros « renforce encore le partenariat stratégique et militaire entre la France et l’Égypte », a salué pour sa part mardi le ministère français des Armées.

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« Ce contrat illustre le caractère stratégique du partenariat que la France entretient avec l’Égypte, alors que nos deux pays sont engagés résolument dans la lutte contre le terrorisme et œuvrent à la stabilité dans leur environnement régional », poursuit le ministère des Armée.

Abdel Fattah al-Sissi plaisante avec le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et le gouverneur militaire de Paris, Bruno Le Ray, à Paris, le 24 octobre 2017 (AFP)
Abdel Fattah al-Sissi plaisante avec le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et le gouverneur militaire de Paris, Bruno Le Ray, à Paris, le 24 octobre 2017 (AFP)

Mais ce que ne disent pas les deux sources officielles, c’est que « si l’Égypte n’arrive pas à rembourser, c’est donc le contribuable français qui devra effacer l’ardoise de 3,4 milliards d’euros laissée par Le Caire, sans compter les intérêts. C’est plus qu’il y a six ans, lorsque al-Sissi avait obtenu un prêt garanti à hauteur de 60 % », précise Disclose.

D’où le fait que ce contrat, signé le 26 avril dernier, devait, selon le site d’investigation, rester secret « à la demande du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi ».

Ce méga-contrat comprend, en fait, trois volets : « l’achat de 30 avions de chasse Rafale à Dassault pour un montant de 3,75 milliards d’euros », plus « un marché à 200 millions d’euros au profit du missilier MBDA et de l’équipementier Safran Electronics & Defense ». Montant total du contrat : 3,95 milliards d’euros.

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« Depuis le retour des militaires au pouvoir en 2013, l’endettement de l’Égypte monte en flèche, notamment auprès des organismes internationaux. Après lui avoir prêté 12 milliards de dollars, le FMI [Fonds monétaire international] vient de lui accorder une rallonge de 5,2 milliards de dollars pour pallier les effets de la pandémie de COVID-19 », soutient l’hebdomadaire français Le Point.

« À force d’accumuler les dettes, l’Égypte parviendra-t-elle à rembourser la France ? D’autant qu’elle est toujours en train de rembourser le prêt français contracté en 2015 pour l’achat des 24 premiers Rafale », s’inquiète Le Point.

Mais le ministère des Armées a tenu à tranquilliser, s’étant « assuré de la fiabilité du client égyptien, jusqu’à maintenant toujours ponctuel dans ses remboursements. Preuve de cette confiance sans faille, le taux d’intérêt négocié avec les banques est extrêmement bas pour un pays largement endetté : autour de 1 %, selon nos informations », explique encore Le Point.

Mais au-delà de la « fiabilité » du client égyptien, un autre atout renforce la « confiance » de Paris vis-à-vis de son débiteur.

« L’armée égyptienne sait aussi qu’elle peut compter sur son allié et bailleur quasi indéfectible : les Émirats arabes unis. Suite au coup d’État militaire de 2013, Abou Dabi avait ainsi soutenu le régime en déposant plusieurs milliards dans les caisses de la banque centrale égyptienne », rappelle Le Point.

Fait à retenir, le prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed ben Zayed, avait effectué une visite au Caire et rencontré le président Sissi deux jours seulement avant la signature du méga-contrat.

« Ravi d’être à nouveau au Caire pour rencontrer mon frère le président Abdel Fattah al-Sissi. Nous avons discuté de nos relations stratégiques et échangé des points de vue sur les développements régionaux et internationaux. Nous avons également évoqué nos efforts conjoints pour assurer la sécurité et la stabilité de la région arabe », a twitté Mohammed ben Zayed le 24 avril dernier.

« Al-Sissi a obtenu un coup de pouce des Émirats, pas aussi important qu’en 2015, mais de plusieurs centaines de millions d’euros », a révélé au Point un homme d’affaires proche des autorités égyptiennes. « De quoi payer – a minima – le premier acompte qui permet de faire entrer officiellement en vigueur le contrat », confie l’hebdomadaire.

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