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Entre « feu et lumière », l’héritage controversé de Bonaparte en Égypte

La campagne d’Égypte de Napoléon (1798-1801) continue à nourrir les polémiques : était-ce un coup d’accélérateur aux réformes du pays de Mohamed Ali ou une énième agression impérialiste ?
Bonaparte devant le Sphinx, peinture de Jean-Léon Gérôme (Wikipédia)
Bonaparte devant le Sphinx, peinture de Jean-Léon Gérôme (Wikipédia)
Par AFP à LE CAIRE, Égypte

La campagne conduite par Bonaparte en Égypte et au Levant a marqué la région en préfigurant les affres de la période coloniale moderne, un héritage controversé malgré l’apport indéniable des savants de l’expédition.

Entre « feu et lumière » : d’un côté le militarisme et l’impérialisme, de l’autre le progrès et la science, c’est ainsi que l’écrivain égyptien Mohamed Salmawy résume l’expédition d’Égypte, à l’approche du bicentenaire de la mort de Napoléon le 5 mai.

« C’était une campagne militaire bien sûr et il y avait de la résistance égyptienne contre les forces françaises […] mais c’était aussi le début d’une ère de progrès intellectuels et de lumière », explique-t-il à l’AFP.

Dans un ouvrage encyclopédique, La description de l’Égypte, les savants ont inventorié la société, l’histoire naturelle et humaine du pays. Et la découverte de la pierre de Rosette par des soldats français, a mené au déchiffrage des hiéroglyphes et à la naissance de l’Égyptologie.

Par la suite, Mohamed Ali, père de la monarchie égyptienne moderne, a été « l’exécuteur testamentaire » de Bonaparte en Égypte, estime pour sa part le journaliste et écrivain français d’origine égyptienne Robert Solé, car il a utilisé les apports scientifiques de l’expédition en créant un État moderne.

« Malheur à ceux qui combattront contre nous ! »

« Du temps de la monarchie en Égypte [1804-1952], on insistait sur les apports scientifiques, politiques de l’expédition » dans la lignée de la philosophie des Lumières et de la Révolution française, dit-il.

 Bonaparte et son état-major en Égypte, peinture de Jean-Léon Gérôme (Wikipédia)
Bonaparte et son état-major en Égypte, peinture de Jean-Léon Gérôme (Wikipédia)

Mais à partir de la révolution nassériste de 1952, le nationalisme prend le pas et la campagne d’Égypte devient « une parenthèse parmi d’autres de l’histoire de l’Égypte ».

Selon Robert Solé, le dirigeant nationaliste égyptien Gamal Abdel Nasser ne reconnaissait à cette expédition « que le fait d’avoir nourri le sentiment national en s’opposant à elle ».

Et pour cause : la campagne d’Égypte est « la première agression impérialiste de l’époque moderne contre l’Orient musulman », estime l’écrivain.

Peu après le débarquement des Français en juillet 1798 près d’Alexandrie, Bonaparte fait placarder sur les murs de la ville une proclamation au ton conciliant : « Égyptiens, on vous dira que je viens pour détruire votre religion : c’est un mensonge, ne le croyez pas ! »

Le général Bonaparte affirme ensuite respecter le « prophète Mahomet et le glorieux Coran ». Mais il ajoute « malheur à ceux qui […] combattront contre nous ! Il n’y aura pas d’espérance pour eux : ils périront. »

Par la suite, la tolérance religieuse devait céder la place à la répression.

La révolte du Caire en octobre 1798 a été réprimée sans ménagement, avec des milliers d’insurgés tués dans les combats ou exécutés. La célèbre mosquée d’al-Azhar a subi le bombardement et l’assaut des troupes françaises.

Dans un message envoyé à l’AFP, Al-Hussein Hassan Hammad, professeur d’histoire à l’université d’al-Azhar, rappelle que « les imams d’al-Azhar ont dirigé la résistance de la nation à cette campagne durant trois ans ».

Tout en citant quelques « aspects positifs » à la présence française comme l’introduction de l’imprimerie, le professeur ajoute que l’aspect scientifique « avait pour but de servir la présence française en Égypte et la gestion du pays et pour profiter de ses richesses ».

De son côté, la cinéaste Marianne Khoury, productrice exécutive du film Adieu Bonaparte de Youssef Chahine (1985), la campagne d’Égypte confirme que le sujet « continue d’être excessivement controversé ».

Le film oppose la notion de progrès représentée par le général Cafarelli (Michel Piccoli) et le militarisme incarné par le personnage de Bonaparte (Patrice Chéreau).

Selon Marianne Khoury, les apports scientifiques sont soulignés par certains en Égypte. « Mais en même temps, il y a le côté colonisateur qui reste délicat et que beaucoup d’Égyptiens n’acceptent pas. » En conséquence, selon elle, « le film finalement a été mal reçu partout » en Égypte, mais en France aussi.

« Il y a des Français qui ont très mal pris la chose : comment Chahine en tant que réalisateur arabe ose parler de Bonaparte et ose démystifier Bonaparte ? Pour eux c’était inacceptable. »

Par Emmanuel Parisse.

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