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France : l’annonce d’une enquête sur « l’islamogauchisme » à l’université ne cesse d’indigner

L’intention de la ministre de l’Enseignement supérieur de lutter contre « l’islamogauchisme » qui « gangrène la société » et notamment « l’université » a choqué une partie du monde politique et académique, qui parle de « chasse aux sorcières »
Des étudiants de l’université de Rennes 1 assistent à un cours de physique le 4 janvier 2021 (AFP)
Par MEE

La ministre française de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a annoncé, mardi 16 février à l’Assemblée nationale, son intention de demander au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) « un bilan de l’ensemble des recherches » qui se déroulent en France, afin de distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève selon elle du « militantisme ». 

Trois jours plus tôt, Frédérique Vidal avait pointé, sur la chaine CNews, l’« islamogauchisme » qui, toujours d’après la ministre, « gangrène la société dans son ensemble », y compris l’université, qui « n’est pas imperméable ». La ministre a notamment donné l’exemple des recherches sur le postcolonialisme.

« Ce que l’on observe dans les universités, c’est qu’il y a des gens qui peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont, ils sont minoritaires […] pour porter des idées radicales ou pour porter des idées militantes », a-t-elle affirmé.

Ces propos ont provoqué l’indignation sur les réseaux sociaux et dans le milieu académique.

La Conférence des présidents d’université (CPU) a fait part de « sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile sur le sujet de l’’’islamogauchisme’’ à l’université ».

« Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition », a-t-elle proposé dans un communiqué.

Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a pointé pour sa part une regrettable « instrumentalisation de la science », condamnant avec « fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique ».

Tandis qu’une partie de la classe politique, y compris au sein de la majorité présidentielle, a dénoncé ces déclarations, comme la députée Bénédicte Taurine (La France insoumise, gauche), qui a évoqué « des chasses aux sorcières dignes d’un autre régime », certains internautes ont qualifié l’annonce de la ministre de « honte », en particulier en ces temps de crise sanitaire, où les étudiants paient un lourd tribut sur les plan psychologique, éducatif et financier.

https://www.facebook.com/francois.burgat/posts/10222635381825550
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Le 22 octobre dernier, un autre membre du gouvernement, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, avait lui aussi dénoncé sur Europe 1 « l’islamogauchisme » qui fait « des ravages à l’université ».

Peu après, un amendement avait été ratifié pour encadrer les recherches universitaires afin que celles-ci soient conformes aux valeurs de la République, notamment au principe de laïcité. Cette réforme visait en particulier les études décoloniales et subalternes, que Jean-Michel Blanquer accuse de « complicités intellectuelles » de crimes comme celui de Samuel Paty.

L’amendement, qui a fait énormément réagir au sein de la communauté universitaire, a finalement été modifié.

Dans une opinion accordée à Middle East Eye, le chercheur universitaire Philipe Marlière mettait en garde contre l’accusation d’« islamogauchisme » : « Ce terme flou autorise un amalgame politicien : ‘’islamo’’ fait référence à l’islamisme fondamentaliste violent (c’est-à-dire à une idéologie politico-religieuse radicale issue du wahhabisme), mais renvoie aussi implicitement à l’islam pacifique de la très grande majorité des pratiquants. L’idée est d’ancrer dans les esprits que l’islam est, par essence, une religion dangereuse, voire criminelle. »

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