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La mouvance islamiste dans le collimateur de la police et de la justice française

Après la décapitation vendredi d’un professeur d’histoire en région parisienne, des opérations de police ont été lancées ce lundi et plusieurs enquêtes ont été ouvertes pour haine en ligne
Depuis l’assassinat de Samuel Paty, « plus de 80 enquêtes » ont été ouvertes contre « tous ceux qui de façon apologique ont expliqué d’une manière ou d’une autre que ce professeur l’avait bien cherché », a déclaré Gérald Darmanin (à droite) sur Europe 1 (AFP)
Depuis l’assassinat de Samuel Paty, « plus de 80 enquêtes » ont été ouvertes contre « tous ceux qui de façon apologique ont expliqué d’une manière ou d’une autre que ce professeur l’avait bien cherché », a déclaré Gérald Darmanin (à droite) sur Europe 1 (AFP)

L’éventuelle implication de mouvements islamistes radicaux, notamment actifs sur les réseaux sociaux, dans la décapitation vendredi d’un professeur d’histoire en région parisienne par un jeune Russe tchétchène de 18 ans suscite l’inquiétude des services de renseignement et du gouvernement français.

Des opérations de police ont été lancées lundi matin en France contre « des dizaines d’individus » évoluant dans la mouvance islamiste, a annoncé le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

Plus de 80 enquêtes ont été ouvertes pour haine en ligne et des interpellations ont eu lieu depuis cet assassinat, a ajouté le ministre.

Ces opérations de police, décidées à la suite du Conseil de défense tenu dimanche, sont menées depuis lundi matin et se poursuivront dans les prochains jours.

Sur France Inter, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve a déclaré ce lundi 19 octobre : « Les réseaux sociaux sont devenus le creuset de l’abjection », dénonçant « l’anonymat », et rappelant qu’en 2014, il avait introduit une disposition dans la loi du 13 avril 2014 qui consistait à bloquer les sites et les blogs et les moyens de communication qui appelaient au terrorisme. « Sur les réseaux sociaux comme sur toutes les questions qui concernent la provocation au terrorisme, l’appel à la haine, à l’antisémitisme, la plus grande fermeté s’impose », a-t-il martelé. 

La présence du militant islamiste radical Abdelhakim Sefrioui parmi les onze personnes gardées à vue dans le cadre de l’enquête ouverte sur l’assassinat de Samuel Paty est venue samedi renforcer ces soupçons.

Ces mouvements islamistes « minoritaires, cherchent à convaincre les musulmans que la France serait un pays islamophobe. Ils cherchent à les instrumentaliser, à créer un conglomérat », affirme à l’AFP Laurent Nuñez, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte antiterroriste. « Et au moindre incident, ils se mettent à l’œuvre. »

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Connu des services, Abdelhakim Sefrioui est le fondateur du collectif cheikh Yassine (du nom du fondateur du Hamas tué par l’armée israélienne en 2004).

Début octobre, il avait accompagné au collège où exerçait Samuel Paty le père d’une élève pour demander le renvoi de l’enseignant qui avait montré des caricatures du prophète Mohammed à ses élèves.

Se présentant comme « membre du Conseil des imams de France », il avait aussi diffusé il y a quelques jours sur Youtube une vidéo dans laquelle il dénonçait le professeur, en le qualifiant de « voyou ».

« Né en 1959 au Maroc, devenu Français après son mariage avec une convertie qui milite avec lui, l’homme est un vieux briscard de l’islamisme. Il est fiché S, inscrit au FSPRT [le fichier des radicalisés] et sa carrière d’extrémiste est impressionnante : imam autoproclamé, responsable d’une librairie islamique, activiste antisioniste aux franges de l’antisémitisme. Un palmarès qui lui a valu d’être ciblé par les services de police et de renseignement. Sans qu’ils aient jamais pu réussir, visiblement, à le déchoir de sa nationalité française ou à le mettre en cause dans une procédure judiciaire », rapporte Le Figaro.

« On voit bien qu’un palier a été franchi »

Le procureur national antiterroriste Jean-François Ricard n’a fait samedi devant la presse aucune connexion entre cet homme et le tueur. 

S’il n’y a « pas un lien direct » établi, Laurent Nuñez considère toutefois qu’il existe sans aucun doute « un lien indirect ». « On voit bien qu’un palier a été franchi », juge-t-il en pointant du doigt la « qualité de la victime – un enseignant – et la barbarie » de son assassinat.

Une atmosphère haineuse sur les réseaux accompagnée d’une résurgence des mouvements islamistes radicaux, selon Laurent Nuñez qui pointe le contexte : « Le procès Charlie, la republication des caricatures et le discours du président Macron sur une prochaine loi destinée à renforcer la laïcité et à lutter contre le séparatisme islamiste ».

Le procès est celui des complices des assaillants des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, qui avaient tué douze personnes, là encore en représailles après la publication de ces mêmes caricatures.

Après l’attaque au hachoir perpétrée fin septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo par un jeune Pakistanais, une source sécuritaire avait expliqué à l’AFP que c’était « la republication des caricatures plutôt que le procès qui avait joué dans l’aggravation des menaces ».

« La volonté de frapper l’Occident est intacte » mais « entre ceux qui sont décédés et ceux qui sont incarcérés », la capacité d’action des groupes terroristes est « très réduite », avait-elle ajouté en insistant sur la menace endogène venue d’individus agissant seuls.

« Depuis un mois particulièrement, il y a convergence et mobilisation de trois courants d’islamistes : ‘’Les musulmans’’ dirigé par Marwan Muhammad, ancien porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France [CCIF], le CCIF, et ‘’Baraka City’’ », a confirmé à l’AFP une source proche du gouvernement.

Le président de cette association caritative musulmane, Driss Yemmou, a été placé plutôt cette semaine sous contrôle judiciaire avant d’être jugé pour harcèlement sur les réseaux sociaux contre une journaliste.

Marwan Muhammad s’est inscrit en faux contre « une connivence, convergence » entre ces associations. « Elles sont indépendantes et ont parfois des positions divergentes », a-t-il indiqué à l’AFP. « Quant aux accusations de discours de haine contre la France, c’est exactement l’opposé. »

« Cinquante-et-une structures associatives verront toute la semaine un certain nombre de visites des services de l’État et plusieurs d’entre elles, sur ma proposition, se verront dissoudre en Conseil des ministres », a annoncé Gérald Darmanin.

Le CCIF est « manifestement impliqué » et « un certain nombre d’éléments nous permettent de penser que c’est un ennemi de la République », a poursuivi le ministre. L’association « touche des aides d’État, des déductions fiscales et dénonce l’islamophobie d’État », a-t-il ajouté. 

« Ils veulent le chaos et la guerre civile »

Marwan Muhammad a souligné que « Les musulmans » apportait des conseils sur des sujets comme « les pèlerinages » ou « la collecte des dons ». « Notre discours de fond est une déclaration d’amour à la France. Nous ne sommes pas là pour nous opposer à notre pays. »

Ces mouvements « ont pris aujourd’hui le lead de l’islamosphère, avec une démarche politique, religieuse, radicale, de haine contre la France », insiste toutefois la source proche du gouvernement.

« Pour eux, la France est un État raciste, islamophobe, le pays impie et mécréant absolu », insiste-t-elle, « ils veulent le chaos et la guerre civile pour élaborer un nouvel ordre autour de la charia. »

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Selon cette source proche du gouvernement, le récent discours d’Emmanuel Macron sur le séparatisme islamiste a accentué leur colère.

« Le passage à l’acte de ce jeune [le tueur de Conflans] s’inscrit dans ce sillon-là », estime-t-elle. Cette source souligne aussi le rôle « des messages de haine sur les réseaux sociaux qui abreuvent des jeunes » en regrettant, au passage, « la censure de la quasi-totalité de la loi de lutte contre les contenus haineux sur internet ».

Le Conseil constitutionnel a jugé en juin que le coeur de ce texte, qui imposait plus d’obligations aux opérateurs de plateformes internet, portait atteinte à la liberté d’expression et de communication.

Mis en garde à vue samedi, le père de l’élève du professeur assassiné avait posté sur Facebook le 7 octobre un message appelant à la mobilisation où il mentionnait le CCIF.

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