Aller au contenu principal

Koweït : une princesse et son conjoint visés par un mandat « politique » d’Interpol

Cheikha Moneera Fahad al-Sabah et le blogueur Mesaed al-Mesaileem se disent menacés de torture, voire de mort, en cas d’extradition
L’année dernière, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a exhorté la Bosnie-Herzégovine à suspendre l’extradition de Mesaed Mesaileem vers le Koweït où il encourt une peine de prison de 87 ans (Twitter)
L’année dernière, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a exhorté la Bosnie-Herzégovine à suspendre l’extradition de Mesaed Mesaileem vers le Koweït où il encourt une peine de prison de 87 ans (Twitter)
Par MEE

Une princesse koweïtienne qui a demandé asile en Bosnie-Herzégovine indique que le Koweït utilise une notice rouge d’Interpol délivrée contre son conjoint, un célèbre défenseur des droits de l’homme, pour la harceler et les faire extrader vers l’Émirat.

EXCLUSIF : Le Caire utilise Interpol pour s’attaquer aux dissidents égyptiens à l’étranger
Lire

Cheikha Moneera Fahad al-Sabah et Mesaed al-Mesaileem disent risquer la torture et même la mort s’ils sont renvoyés chez eux, selon The Guardian.

L’année dernière, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a exhorté la Bosnie-Herzégovine à suspendre l’extradition de Mesaileem vers le Koweït, où il encourt une peine de prison de 87 ans.

Mesaileem a été arrêté une première fois au Koweït en 2015 et inculpé pour outrage public envers l’émir sur Twitter. Il a été acquitté en 2016 mais dit avoir subi des mauvais traitements en détention. 

Installé depuis à Sarajevo depuis 2017, il a été inculpé à trois reprises pour ses tweets et condamné par contumace.

Moneera Fahad al-Sabah et Mesaed al-Mesaileem ont tous deux critiqué le Koweït sur les réseaux sociaux et la princesse de 35 ans affirme que la famille régnante aux Émirats est « corrompue ».

Son grand-oncle, Nawaf al-Ahmad al-Jaber al-Sabah, est arrivé au pouvoir au Koweït en septembre 2020.

« Ils vont me tuer »

Le couple a déclaré au quotidien britannique que des hommes se présentant comme des agents d’Interpol ont perquisitionné leur maison en avril 2020, affirmant agir en vertu d’une notice rouge délivrée en 2018 pour des accusations liées à la possession d’armes.

Moneera Fahad al-Sabah a confié au Guardian avoir reçu de multiples menaces relatives à sa sécurité de la part de sa famille et d’autres personnalités puissantes au Koweït.

« Ils vont me tuer. Ils ont monté des dossiers contre moi [devant la justice] au Koweït pour outrage à la famille royale », indique la jeune femme. « Lorsque j’ai commencé à parler de corruption, ils m’ont accusée d’être mentalement dérangée et disaient que je devais être internée. Donc j’ai peur qu’ils m’enferment, m’enlèvent mes téléphones et ne me laissent pas parler parce que je sais de nombreux secrets. »

« J’ai peur qu’ils m’enferment, m’enlèvent mes téléphones et ne me laissent pas parler parce que je sais de nombreux secrets »

- Moneera Fahad al-Sabah, princesse koweïtienne

Les organisations de défense des droits de l’homme ont fait part de leurs inquiétudes à propos du possible détournement des notices rouges (sorte de mandats d’arrêt internationaux) afin d’arrêter les dissidents lorsque Ahmed Nasser al-Raissi, général émirati accusé de torture, a été élu à la présidence d’Interpol en novembre.

Trois députés européens ont alors écrit une lettre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour la prévenir des répercussions de la désignation du général à la tête d’Interpol sur l’organisation.

« L’élection du général Al-Raissi mettrait à mal la mission et la réputation Interpol et affecterait énormément la capacité de l’organisation à mener sa mission efficacement », lui écrivaient-ils.

En octobre 2020, dix-neuf ONG (dont Human Rights Watch) ont exprimé leur inquiétude à propos du choix possible d’Al-Raissi, présenté comme « appartenant à un appareil sécuritaire qui continue de viser systématiquement des détracteurs pacifiques ».

Des ressortissants britanniques poursuivent le candidat émirati à la présidence d’Interpol pour torture
Lire

Alexis Thiry, conseiller juridique de MENA Rights Group, ONG suisse fournissant une représentation légale à Mesaileem, indique au Guardian : « Les États ayant un bilan exécrable en matière de droits de l’homme multiplient les demandes d’extradition sur la base de motifs politiques. » 

« C’est une évolution très inquiétante du point de vue des droits de l’homme car ces pratiques sapent le principe de non-refoulement, une règle du droit international coutumier. »

Le non-refoulement est un principe fondamental du droit international qui interdit à un pays recevant des demandeurs d’asile de les ramener dans un pays où ils risquent d’être persécutés en raison de leur origine ethnique, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou en raison de leur opinion politique.

Appel à la réforme

Interpol est depuis longtemps critiquée car l’organisation n’arrive pas à réformer le système de notice rouge par lequel les États membres peuvent émettre des alertes prévenant les autres membres qu’un individu fait l’objet d’un mandat d’arrestation.

Le mois dernier, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme ont appelé Interpol à réformer sa façon de gérer ces requêtes, après la récente extradition d’un dissident bahreïni, Ahmed Jafar Mohammed Ali, depuis la Serbie vers Bahreïn.

L’organisation de défense des droits de l’homme a noté qu’au moment où la notice rouge était délivrée à l’encontre d’Ali en 2015, les informations disponibles publiquement indiquaient qu’il risquait la torture à Bahreïn.

Au total, 13 377 notices rouges ont été émises en 2019 et il y a actuellement au moins 62 000 notices en vigueur. Elles n’ont aucun poids juridique officiel et les États membres d’Interpol y répondent différemment.

La demande d’asile de Moneera Fahad al-Sabah et Mesaed al-Mesaileem a été rejetée par le gouvernement bosniaque, ce qui les place dans un flou juridique

Bien que les notices rouges puissent faire l’objet d’un appel et être abrogées si elles violent les règles et la constitution d’Interpol, ce processus peut être compliqué.

Yuriy Nemets, avocat vivant aux États-Unis et spécialiste des affaires d’abus d’Interpol expliquait à MEE en 2019 que ceux qui souhaitent contester une notice rouge « n’ont pas le droit d’être entendus, d’examiner les preuves produites par les gouvernements à leur encontre ni le droit de faire appel des décisions de la commission ».

La demande d’asile de Moneera Fahad al-Sabah et Mesaed al-Mesaileem a été rejetée par le gouvernement bosniaque, ce qui les place dans un flou juridique. Leur extradition pourrait se faire à n’importe quel moment.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].