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La Turquie a menacé des candidats à la présidentielle en Chypre du Nord, affirme son ancien dirigeant

Mustafa Akıncı accuse le président turc Recep Tayyip Erdoğan d’avoir mené une campagne contre lui à l’occasion de l’élection d’octobre
L’ancien dirigeant chypriote turc Mustafa Akıncı (à droite) et le dirigeant élu Ersin Tatar arrivent à la cérémonie de passation de pouvoir dans la partie nord de Nicosie, capitale de l’autoproclamée République turque de Chypre du Nord (RTCN), le 23 octobre 2020 (AFP)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

L’ancien président de la République séparatiste turque de Chypre du Nord a affirmé mercredi que des agents du gouvernement turc l’avaient menacé et avaient tenté de faire pression sur lui et d’autres candidats pour qu’ils se retirent de l’élection présidentielle en octobre dernier.

« Erdoğan veut tout gérer ici comme il contrôle totalement Ankara »

- Mustafa Akıncı

« Ils ont dit à mon secrétaire particulier qu’il vaudrait mieux pour moi, ma famille, mes amis proches et tout le monde que je retire ma candidature », a déclaré au site d’informations turc T24 Mustafa Akıncı, qui a perdu l’élection avec 48 % des voix. « Ils ont dit que tout était fait pour me vaincre aux élections et que même si je gagnais, je n’aurais pas été en mesure de rester au pouvoir. »

Akıncı allègue que les institutions de l’État turc sous contrôle du président Recep Tayyip Erdoğan – y compris l’ambassade de Turquie à Nicosie – ont mené une campagne silencieuse contre lui. « Erdoğan veut tout gérer ici comme il contrôle totalement Ankara », estime Akıncı.

Ersin Tatar, nationaliste turc proche d’Ankara, a remporté le second tour de la présidentielle en octobre, avec 51, 69 % des voix.

Une île divisée

L’île méditerranéenne de Chypre est divisée selon des lignes ethniques depuis 1974 : au sud, le gouvernement chypriote grec reconnu par la communauté internationale ; au nord, une région sécessionniste établie à la suite d’une invasion turque en réaction à un coup d’État cherchant à annexer Chypre à la Grèce.

Après avoir unilatéralement déclaré son indépendance en 1983, la République turque de Chypre du Nord, qui est soutenue financièrement par la Turquie, n’a été reconnue que par Ankara.

Un rapport rédigé par des observateurs indépendants chypriotes turcs vient étayer les allégations d’Akıncı concernant une ingérence turque dans l’élection.

L’équipe de relations publiques et de communication du vice-président turc Fuat Oktay a passé trois semaines sur l’île pour soutenir la campagne de Tatar, selon ce rapport, pour lequel des politiciens, des journalistes et des candidats à la présidentielle ont été interrogés. 

« Chypre du Nord n’est pas la France. Les coutumes de la Turquie doivent être appliquées. Cette erreur devrait être rapidement corrigée, sinon nos prochaines étapes seront différentes »

Recep Tayyip Erdoğan

Ankara a également apporté son soutien à Tatar pendant la campagne en réparant une canalisation d’eau et en rouvrant partiellement la ville côtière de Varosha (interdite aux civils depuis l’invasion turque) avant les élections. De leur côté, les médias publics pro-turcs ont présenté Akıncı comme un agent grec et un traître.

Les observateurs ont aussi interrogé un autre candidat à la présidentielle, Serdar Denktaş, qui affirme que des agents du gouvernement turc (des renseignements notamment) ont fait pression sur lui et des hommes d’affaires qui l’ont soutenu pour qu’il se retire de la campagne.

Denktaş, fils du président fondateur de Chypre du Nord, Rauf Denktaş, assure par ailleurs que son téléphone a été mis sur écoute et qu’il a été suivi par des voitures avec des plaques d’immatriculation officielles pendant la campagne. 

Le rapport affirme également que la Turquie a payé des centaines de milliers de Chypriotes du Nord pour les encourager à voter Tatar, lequel privilégie une solution à deux États plutôt qu’un système fédéral pour l’île.

La Turquie accroît son ingérence dans les affaires intérieures de Chypre du Nord depuis les élections. En avril, Erdoğan a descendu en flammes cet État allié pour sa décision de justice qui restreindrait les cours de Coran, le menaçant de mesures indéterminées si le jugement n’était pas cassé.

« La cour constitutionnelle doit commencer par apprendre ce qu’est la laïcité. Chypre du Nord n’est pas la France », a déclaré le président turc à propos de cette décision. « Les coutumes de la Turquie doivent être appliquées. Cette erreur devrait être rapidement corrigée, sinon nos prochaines étapes seront différentes. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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