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En Algérie, la mort d’un militant des droits humains en prison provoque une onde de choc 

En grève de la faim depuis son incarcération le 31 mars, Kameleddine Fekhar, militant des droits humains et de la cause mozabite, est décédé ce mardi. La société civile réclame une enquête
Pancarte en hommage à Kameleddine Fekhar, lors des manifestations étudiantes hebdomadaires à Alger, le 28 mai 2019 (AFP)
Par MEE

« Je dénonce cet acharnement et cette mort programmée prévue par les autorités judiciaires de Ghardaïa ». C’est en retenant avec difficulté ses larmes que Salah Dabouz, avocat, a annoncé ce mardi 28 mai le décès de son client, Kameleddine Fekhar, militant des droits humains et de la cause mozabite, une minorité berbérophone d’Algérie.

Arrêté et placé le 31 mars en détention préventive à Ghardaïa, à environ 480 km au sud d’Alger, pour « atteintes aux institutions », Kameleddine Fekhar avait entamé une grève de la faim depuis son incarcération. Il avait été transféré à l’hôpital de Blida « dans un état comateux », précise Salah Dabouz dans une vidéo postée sur son compte Facebook. 

« J’ai tiré la sonnette d’alarme, ça fait trois semaines que Kameleddine était détenu dans des conditions inhumaines au pavillon carcéral de l’hôpital de Ghardaïa. Rien n’a été fait », poursuit l’avocat.

En juillet 2015, suite aux violences entre entre Mozabites (musulmans berbérophones de rite ibadite) et les populations musulmanes arabophones de rite malékite qui avaient causé la mort de 23 personnes près de Ghardaïa, la capitale du Mzab, Kameleddine Fekhar, fondateur du Mouvement pour l’autonomie du Mzab, avait été placé, avec plusieurs autres militants mozabites, en détention provisoire. Il purgera finalement deux ans de prison notamment pour « atteinte à la sûreté de l’État » et « trouble à l’ordre public » et sera libéré en juillet 2017.

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« Avant même d’être jugé coupable, Fekhar a tout d’un martyr en devenir », avait expliqué à Middle East Eye un notable mozabite juste après son incarcération, en devinant que le gouvernement allait le laisser en prison « pour qu’il serve d’exemple ».

Me Dabouz est lui-même inculpé depuis début avril de quatorze chefs d’infraction – dont incitation à la haine ou la discrimination, atteinte à l’intégrité du territoire national, tentative de pression sur les juges –liées, selon lui, à ses critiques publiques des actions de la justice de Ghardaïa contre les militants mozabites.

Me Dabouz a annoncé qu’il allait déposer plainte pour « non-assistance à personne en danger », accusant les magistrats « qui ont ordonné la détention de Kameleddine Fekhar » et « l’ont laissé mourir en prison », et le personnel de l’hôpital de Ghardaïa « qui l’ont très mal traité ».

https://twitter.com/el_manchar/status/1133382791478095872
https://twitter.com/grim26742213/status/1133431613767991297

Il a indiqué tenir pour « responsables les autorités [algériennes] de l’intégrité physique des autres détenus » et demandé « à ce que tous les dossiers des Mozabites soient transférés vers une autre juridiction ».

Dans l’opinion publique, ce décès a provoqué une véritable onde de choc. Non seulement parce que Kameleddine Fekhar était connu, mais aussi parce que sa mort en rappelle une autre : celle de Mohamed Tamalt, journaliste décédé en décembre 2016 après trois mois de grève de la faim alors qu’il était lui aussi en prison, où il purgeait une peine de deux ans pour « outrage au président de la République ».

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La mort de Fekhar a suscité des appels à l’ouverture d’une enquête sur les circonstances de son décès.  

La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) a réclamé « la vérité au sujet du décès » en détention de Kameleddine Fekhar qualifié de « prisonnier d’opinion » et exigé « que justice soit faite ».

Le Front des forces socialistes (FFS), plus ancien parti d’opposition en Algérie, a demandé que « toute la lumière soit faite sur les circonstances de ce décès » qui « survient après plusieurs semaines de détention abusive et arbitraire dans des conditions insoutenables et inhumaines ». Le parti a également exigé « la libération immédiate des autres détenus d’opinion ».

Organisation citoyenne, le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ) a demandé « l’ouverture d’une d’enquête indépendante et transparente pour déterminer les circonstances de la mort de Kameleddine Fekhar ».

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