Pas de cinquième mandat pour Bouteflika qui... reste au pouvoir
Il ne briguera pas un cinquième mandat, reporte l’élection du 18 avril et promet un large remaniement du gouvernement. Vingt-quatre heures après son retour de Genève, le président Abdelaziz Bouteflika annonce dans une lettre diffusée en son nom par l’APS, l’agence de presse officielle, plusieurs décisions laissant entendre que le message des centaines de milliers d’Algériens descendus dans la rue pour manifester a été entendu. Qu’en est-il vraiment ?
Traduction : « Le président Bouteflika se moque du peuple, ignorant ses revendications et prolonge son mandat au-delà d'avril 2019 »
Pas de cinquième mandat mais… un quatrième qui se poursuit
« L’Algérie traverse une étape sensible de son histoire. Ce 8 mars, pour le troisième vendredi consécutif, d’importantes marches populaires ont eu lieu à travers le pays », peut-on lire dans la lettre. « Je comprends tout particulièrement le message porté par les jeunes en termes, à la fois, d’angoisse et d’ambition pour leur avenir propre et pour celui du pays. » En raison de son état de santé et de son âge, le président ajoute : « Il n’y aura pas de cinquième mandat et il n’en a jamais été question pour moi ».
Des propos qui contrastent avec la déclaration du 3 mars. Car ce jour-là, alors que le chef de l’État est toujours hospitalisé à Genève, son directeur de campagne, Abdelghani Zaalane, lit une lettre en son nom dans laquelle le président promet d’organiser une présidentielle anticipée s’il est réélu pour un cinquième mandat le 18 avril.
Dans les faits donc, s’il n’y a pas de cinquième mandat, le quatrième va continuer. « Je m’engage enfin, si Dieu m’accorde vie et assistance, à remettre les charges et les prérogatives de président de la République au successeur que le peuple algérien aura librement élu », est-il précisé.
À cette échéance, une conférence nationale censée « représenter tous les courants de la société » doit fixer une date pour la prochaine présidentielle et présenter fin 2019 un projet de Constitution qui sera soumis à un référendum populaire. Conclusion : Abdelaziz Bouteflika compte rester au pouvoir jusqu’à la prochaine élection qui devrait se tenir après 2019.
Un report des élections… non prévu par la Constitution
Ces derniers jours, un consensus s’était formé autour du scénario du report de l’élection du 18 avril. Alors que plusieurs personnalités politiques – Abderrezak Makri, le leader du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), le mouvement d’opposition Mouwatana – avaient appelé à un report, certains décideurs avaient commencé à étudier cette option dès l’automne 2018, notamment le frère du président, Saïd Bouteflika.
Pour le moment, les modalités de ce report restent floues. Comme l’a souligné Walid Laggoune, enseignant en droit constitutionnel à l’Université d’Alger, à la radio publique, « la Constitution ne prévoit aucune disposition sur le report des élections ». Il a toutefois ajouté que dans certaines situations politiques, « il est du devoir de ceux qui ont la décision d’envisager ce report pour répondre à la demande sociale ».
« Sur le papier, deux voies sont possibles », explique une source proche de l’équipe de campagne d'Abdelaziz Bouteflika. « Soit une modification de la Constitution, ce qui va prendre du temps, soit le recours à l’article 107 qui permet au président de prendre des mesures d’exception en cas ''d’un péril imminent dans ses institutions, dans son indépendance ou dans son intégrité territoriale'' ».
Un remaniement gouvernemental avec… des figures du système
« Pour dire aux Algériens qu’il avait compris leur message, il fallait que des têtes tombent », commente un ex-cadre du FLN, le parti du pouvoir. C’est chose faite : le Premier ministre Ahmed Ouyahia, figure politique impopulaire mais technocrate rompu aux arcanes de la politique, est sacrifié et remplacé par un des hommes forts du moment : Noureddine Bedoui, 59 ans, qui était jusqu’à ce lundi ministre de l’Intérieur. Sans étiquette partisane, plutôt épargné par la presse privée qui le respecte en tant que commis de l’État qui communique beaucoup – cet énarque est un des rares ministres à avoir des comptes actifs sur les réseaux sociaux –, on le dit proche de Nacer, le frère du président.
Il sera secondé par un vice-Premier ministre dont le poste a été créé ce lundi par décret : Ramtane Lamamra, diplomate chevronné et estimé à l’étranger, retrouve également le portefeuille des Affaires étrangères qu’il avait détenu entre 2013 et 2017. « Pour piloter la transition, on a donc installé deux figures du système, qui ont peut-être l’intérêt de l'État comme priorité, mais qui incarnent tout sauf ‘’le changement’’ », conclut, désabusé, l’ex-militant politique.
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