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Lors du dîner de Pompeo avec le chef du Mossad, il était question d’egos, pas de frappes en Syrie

Deux choses sont certaines quant aux événements futurs : Mike Pompeo et Yossi Cohen vont tenter de faire pencher la balance en leur faveur et les raids israéliens contre des cibles iraniennes vont se poursuivre
Image satellite non datée publiée par le ministère israélien de la Défense, prise par le nouveau satellite de reconnaissance Ofek (Horizon) 16, montrant le théâtre romain endommagé de la cité antique de Palmyre, dans le centre de la Syrie (AFP)
Image satellite non datée publiée par le ministère israélien de la Défense, prise par le nouveau satellite de reconnaissance Ofek (Horizon) 16, montrant le théâtre romain endommagé de la cité antique de Palmyre, dans le centre de la Syrie (AFP)
Par Yossi Melman à Tel Aviv, Israël

Le 11 janvier, le chef sortant du Mossad Yossi Cohen s’est entretenu avec le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, lui aussi sur le départ.

Ils se sont rencontrés au Cafe Milano, un prestigieux restaurant italien de Washington, dans le quartier chic de Georgetown. Le dîner a été repéré par Meredith McGraw, correspondante de Politico à la Maison-Blanche, qui a tweeté à ce sujet.

Cohen est connu pour organiser les rencontres « fortuites » devant les caméras et les journalistes, qu’il organise afin de profiter du meilleur des deux mondes : être vu en public tout en faisant semblant d’être dans l’ombre, comme on l’attend d’un membre de la famille du renseignement qui jure de garder les secrets.

Cohen est connu pour organiser les rencontres « fortuites » devant les caméras et les journalistes qu’il organise afin de profiter du meilleur des deux mondes : être vu en public tout en faisant semblant d’être dans l’ombre

Au lendemain de l’entrevue, l’armée de l’air israélienne a déclenché l’un de ses raids les plus dévastateurs de ces derniers mois en frappant des cibles dans l’est de la Syrie, près de la frontière irakienne.

Un bilan de 23 morts a été dressé à l’origine, principalement des membres de milices pro-iraniennes et des commandants de la force d’élite iranienne al-Qods. Mais plus tard, l’Observatoire syrien des droits de l’homme, un groupe d’activistes établi au Royaume-Uni qui documente le conflit en Syrie, a fait état de 57 morts.

Au cours de l’attaque, quelques bâtiments ont été endommagés. Des sources des services de renseignement américains ont affirmé qu’ils servaient à dissimuler des équipements sensibles pour le programme nucléaire iranien et des composants permettant d’améliorer la précision des missiles qui devaient être envoyés au Hezbollah au Liban.

Depuis 2013, des milliers de frappes

Selon toute probabilité, les frappes n’étaient pas liées à l’entrevue de Washington. Des attaques de ce genre reposent sur des informations précises et sur la faisabilité opérationnelle, des éléments qui sont du ressort d’analystes professionnels des services de renseignement et militaires et permis par l’imagerie satellite – et non sur un chef du Mossad et un membre du cabinet américain attablés dans un restaurant.

En réalité, Cohen était à Washington pour faire ses adieux à la directrice de la CIA, Gina Haspel, qui sera remplacée la semaine prochaine par William Barnes, un diplomate de carrière nommé par le président américain élu Joe Biden.

Toujours est-il que Cohen et Pompeo sont deux personnalités politiques ambitieuses. Les fanfaronnades et l’attention des médias qui les présentent comme des opposants farouches à l’Iran servent les ambitions des deux hommes et perturbent dans le même temps l’arrivée de Biden.

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Cohen espère devenir le prochain Premier ministre d’Israël le jour où Benyamin Netanyahou prendra sa retraite ou perdra les élections, bien que les chances soient minces. Pompeo prévoit quant à lui de se présenter au Sénat américain dans son État du Kansas.

Mais ce tête-à-tête dans l’ambiance feutrée du Cafe Milano n’est pas le seul indice de l’évolution future des événements. Les frappes aériennes qui ont suivi témoignent elles aussi d’une certaine ambition et d’une certaine intention.

L’attaque de mardi était la quatrième de ce type au cours du dernier mois, preuve de l’intensification de la campagne menée par Israël pour réduire la présence de l’Iran et de ses alliés en Syrie.

Depuis 2013, Israël a lancé des milliers de frappes contre des cibles militaires liées à l’Iran en Syrie, mais il est rare que le pays reconnaisse de telles opérations ou qu’il en discute.

L’attaque de mardi était la quatrième de ce type au cours du dernier mois, preuve de l’intensification de la campagne menée par Israël pour réduire la présence de l’Iran et de ses alliés en Syrie

Selon des sources des services de sécurité israéliens, la présence militaire de l’Iran en Syrie pour soutenir le gouvernement du président Bachar al-Assad a été réduite au cours des deux dernières années pour diverses raisons : le déclin de la guerre civile, l’implication profonde de la Russie dans les affaires politiques et militaires syriennes, la pandémie de COVID-19 et la poursuite des frappes aériennes israéliennes qui ont gravement affecté l’Iran et le Hezbollah en Syrie.

Selon ces sources, l’attaque de mardi s’est produite dans le contexte du retranchement de l’Iran à la frontière syro-irakienne et de tensions croissantes dans la région avant l’entrée en fonction de Biden.

D’après une estimation des services de renseignement israéliens, l’Iran a eu du mal à maintenir le déploiement de ses forces dans les secteurs proches de Damas en raison des frappes aériennes israéliennes.

En réponse, l’Iran a déplacé ses troupes et ses équipements, tels que des missiles et des drones, à la frontière syro-irakienne, une zone sous le contrôle total de l’Iran et relativement éloignée d’Israël.

Des priorités différentes

Son calcul se fonde sur la possibilité de frapper le territoire israélien avec ses missiles depuis ses nouveaux sites dans l’est de la province de Deir Ezzor.

Les préoccupations d’Israël sont doubles. Premièrement, après l’entrée en fonction de Biden, Washington se désintéressera de l’Irak, qui glissera encore davantage vers un contrôle iranien.

Deuxièmement, il est possible que les États-Unis renouent avec l’accord sur le nucléaire iranien et assouplissent les sanctions imposées par le président Donald Trump, ce qui allégerait la pression économique qui pèse sur Téhéran et lui donnerait une plus grande marge de manœuvre.

L’Iran s’interroge également dans le contexte de l’arrivée de Biden dans le Bureau ovale. Téhéran espère que la nouvelle administration démocrate lèvera la plupart voire la totalité des sanctions et ramènera les États-Unis à la case départ – l’accord sur le nucléaire de 2015 – en l’espace de quelques semaines.

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Mais l’Iran sait aussi que ce ne sera pas facile. Biden est préoccupé par des questions plus urgentes au niveau national, telles que la pandémie et l’économie du pays. Et sur la scène internationale, la Chine et la Russie sont des priorités plus importantes.

L’Iran, qui se prépare pour une élection présidentielle prévue en juin 2021, est confronté au défi de la division entre partisans de la ligne dure et modérés.

Les modérés, sous la houlette du président Hassan Rohani, se contenteront d’un compromis avec Washington – une levée partielle des sanctions – avant les élections.

Pour éviter de donner aux modérés une victoire avant le jour du scrutin, les partisans de la ligne dure préfèreront probablement saboter les éventuels pourparlers avec Washington et les reporter après les élections.

Néanmoins, les deux camps comprennent qu’en attendant, il est préférable de s’abstenir de toute opération violente contre les intérêts américains, qui risquerait d’agiter la nouvelle administration.

Il y a toutefois un consensus en Iran sur la nécessité de venger l’assassinat par le Mossad de leur scientifique nucléaire en chef Mohsen Fakhrizadeh ainsi que de ne pas céder à la supériorité aérienne israélienne en renonçant à la présence militaire et à au déploiement en Syrie.

Dans l’ensemble, un accord entre l’Iran et les États-Unis se profile à l’horizon sous une forme ou une autre. Mais pour ce qui est d’Israël et de l’Iran, les choses sont vouées à ne pas changer.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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