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Arabie saoudite : des bikinis pour les touristes, mais pas de short pour les hommes

Une nouvelle loi sur « la décence dans l’espace public » pourrait se prêter à différentes interprétations et entraîner des sanctions arbitraires
Des Saoudiennes devant un restaurant, à Riyad (MEE/Catalina Martin-Chico)

« La Hay’ah [la police religieuse] est de retour sans la barbe ». C’est avec humour que Sultan al-Amer, un universitaire, s’est moqué sur Twitter d’une nouvelle loi sur la « décence dans l’espace public », approuvée par le cabinet royal saoudien en avril. 

De quoi s’agit-il ? Cette nouvelle loi veut faire respecter les « valeurs et principes » saoudiens en interdisant par exemple les vêtements jugés « offensants pour le goût général », notamment les shorts pour les hommes, selon les médias locaux. Les contrevenants risqueraient une amende pouvant aller jusqu’à 5 000 riyals (1 200 euros).

Dans un pays régi par une vision rigoriste de l’islam, les membres de cette police, appelée officiellement Comité de promotion de la vertu et de prévention du vice, veillaient, parfois brutalement, au respect de la morale islamique en vertu de laquelle, par exemple, les hommes et les femmes devaient être séparés dans l’espace public.

Cette police des mœurs avait été ensuite marginalisée dans le cadre de la politique de relative libéralisation engagée par le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS).

Selon de nouvelles décisions approuvées en avril 2016 en conseil des ministres, les officiers et les agents de la police religieuse ne peuvent plus « arrêter ou détenir des personnes, ni demander leurs cartes d’identité, ni les suivre », mais seulement effectuer des signalements à la police ou à l’agence chargée de la lutte antidrogue. 

Les membres de cette police des mœurs sont aussi contraints à une « bonne conduite », veillant à la « réputation » de leur commission et présentant clairement leurs cartes d’identité en opération. L’idée était, selon les mesures de 2016, de « conseiller aimablement et gentiment » la population, avait souligné l’agence de presse officielle SPA.

Mohammed ben Salmane cherche à débarrasser l’Arabie saoudite de son image de pays ultraconservateur avec la réouverture de salles de cinéma, des concerts mixtes et autres spectacles. Mais ces décisions politiques, comme la levée de l’interdiction de conduire pour les femmes, ne sont pas parvenues à masquer les arrestations, détentions et menaces de mort qui pèsent sur les activistes, les écrivains, les universitaires et les blogueurs.

L’image d’un réformateur

La nouvelle loi, vague à dessein, peut se prêter à différentes interprétations et entraîner des sanctions arbitraires, soulignent ses détracteurs. Elle est commentée avec sarcasme sur les réseaux sociaux.

Le hashtag en arabe « les shorts ne portent pas atteinte à la moralité publique » est vite devenu viral.

« C’est l’Arabie saoudite qui rencontre Singapour », a commenté Kristin Diwan, de l’Arab Gulf States Institute à Washington. « Les dirigeants saoudiens veulent saper les fondements islamistes de la société, tout en conservant un pouvoir absolu dans les domaines de la politique et de l’ordre public », a-t-il déclaré à l’AFP.

Traduction : « Au lieu d’imposer une amende sur le port des shorts, il faut pénaliser ceux qui ne se douchent pas et ne se parfument pas »

Les médias progouvernementaux ont indiqué que la loi devait être appliquée à partir du 25 mai, le ministère de l’Intérieur et l’Autorité du tourisme étant chargés de la faire respecter.

Mais le 27 mai, ces mêmes médias ont affirmé qu’elle n’était pas encore entrée en vigueur, sans préciser de nouvelle date.

La nouvelle loi est « un effort pour atténuer les pressions des conservateurs au sein de la société, qui accusent le gouvernement de laisser-aller », explique Ali Shihabi, du groupe de réflexion prosaoudien Arabia Foundation.

« Conduire un changement social est tout un art car il faut aller le plus loin possible sans provoquer de contre réaction. Ce qui n’est pas facile ! ».

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MBS, qui a concentré tous les pouvoirs, a réduit le rôle politique de l’establishment religieux ultraconservateur tout en encourageant un nationalisme prononcé dans le cadre d’une réorganisation historique de l’État saoudien.

Le dirigeant de fait du royaume s’est donné l’image d’un réformateur, tout en arrêtant des religieux, dont certains sont perçus comme modérés, et en contrôlant étroitement le discours religieux.

Beaucoup d’autres religieux semblent suivre désormais la ligne officielle.

Ayedh al-Qarni, un salafiste, a récemment présenté à la télévision des excuses pour ses interprétations passées de l’islam et mis tout son poids derrière le jeune prince.

Adil al-Kalbani, ancien imam de la Grande mosquée de La Mecque, a remis en cause l’interdiction de la mixité dans l’espace public.

Pourtant, la transformation sociale semble susciter le ressentiment dans les milieux conservateurs.

En juillet 2017, une jeune mannequin, qui avait été filmée en train de se promener dans un site historique en minijupe, le visage, les bras et le nombril découverts, avait été arrêtée avant d’être libérée plus tard.

De tels appels ne pourraient que s’amplifier avec les projets destinés à créer un secteur du divertissement comparable à celui de Dubaï, un nouveau secteur lucratif pour diversifier des revenus trop dépendants du pétrole et relancer une croissance en peine, seulement 0,1 % pour 2017 selon les prévisions.

MBS a proposé des plans pour un nouveau complexe touristique de luxe sur la mer Rouge, dans lequel des lois spéciales autoriseront les femmes à porter des bikinis. La monarchie saoudienne planifie la création de centaines de lieux d’attractions et d’amusement à travers le pays d’ici 2020. 

Traduction : « Danser et se toucher dans les soirées DJ à Djeddah sera aussi pénalisé ?!! Ou peut-être pas, pour protéger la saison touristique. C’est là où il faut protéger #lamoralitépublique pour nous et pour les générations futures »

Pour tester les réactions, des religieux autoproclamés commencent à s’opposer à la fermeture des magasins pendant les prières et soutiennent l’ouverture d’une boîte de nuit halal pendant un festival culturel dans la ville de Jeddah, dans l’ouest du pays. 

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