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Assemblée générale de l’ONU : six moments mémorables pour le monde arabe et musulman

Les sessions annuelles de l’Assemblée générale des Nations unies ont été le théâtre de moments historiques – et parfois historiquement comiques
De gauche à droite : Mahmoud Ahmadinejad, Mouammar Kadhafi, Hugo Chávez et Benyanmin Netanyahou à l'Assemblée générale de l'ONU (montage)
Par Ali Harb

Dans la pièce syrienne Kasak Ya Watan (« À la santé de la nation »), le personnage principal, Ghawar, raconte, ivre, au fantôme de son père que le monde arabe continue de se fragmenter « pour augmenter notre nombre de voix à l’Assemblée [générale] des Nations unies ».

Ce trait d’esprit déplorait le manque d’unité des États arabes – et le fait que même avec plus de voix, les résolutions votées à l’Assemblée générale des Nations unies n’étaient pas contraignantes.

Pourtant, malgré son pouvoir limité, l’Assemblée générale de l’ONU continue de réunir les dirigeants des 193 États du monde reconnus à l’échelle internationale, ce qui en fait la branche la plus inclusive de l’organisation.

Ses sessions annuelles ont été le théâtre de moments historiques – et parfois historiquement comiques.

Alors que les dirigeants mondiaux se réunissent de nouveau à New York cette semaine à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, MEE revient sur six moments clés qui se sont déroulés sur l’estrade onusienne.

Le discours de 100 minutes de Mouammar Kadhafi 

« On ne devrait pas appeler cela le Conseil de sécurité, mais le conseil de terreur » (AFP)
« On ne devrait pas appeler cela le Conseil de sécurité, mais le conseil de terreur » (AFP)

Dans son premier et unique discours à l’Assemblée générale des Nations unies, l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a rattrapé le temps perdu. 

Kadhafi a fait voler en éclats la limite de 15 minutes fixée par l’ONU en 2009 lorsqu’il a prononcé une tirade de 100 minutes dans laquelle il a dénoncé le Conseil de sécurité de l’ONU, défendu les pirates somaliens et accusé des « entreprises capitalistes » de produire des virus pour vendre des médicaments.

Kadhafi a également appelé l’ONU à ouvrir une division d’investigation pour enquêter sur les assassinats de personnalités historiques, notamment le leader de l’indépendance congolaise Patrice Lumumba, le président américain John F. Kennedy et l’icône américaine des droits civiques Martin Luther King Jr.

Le dirigeant libyen a ensuite défendu une solution à un État au conflit israélo-palestinien – une idée qu’il avait évoquée dans son « Livre blanc », un manifeste rédigé en 2000.

« Ce conflit empoisonne le monde. Le Livre blanc renferme la solution, je le tiens ici », a lancé Kadhafi en brandissant le livre avant de le lancer en direction du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon. « La solution s’appelle Isratine. Les Arabes n’ont aucune hostilité ni aucune animosité envers Israël. »

Dans un discours truffé de critiques, le colonel a toutefois réservé ses mots les plus durs au Conseil de sécurité de l’ONU, lui reprochant des dizaines de guerres qui ont tué des millions de personnes.

Kadhafi a déclaré que le conseil était par nature tyrannique, car il confère à cinq pays détenteurs d’un droit de veto une influence surdimensionnée sur les affaires mondiales. Le dirigeant libyen a également suggéré de transférer les pouvoirs du Conseil de sécurité à l’Assemblée générale, plus inclusive.

« Aujourd’hui, le Conseil de sécurité est le symbole du féodalisme de la sécurité, du féodalisme politique exercé pour ceux qui ont un siège permanent […] On ne devrait pas appeler cela le Conseil de sécurité, mais le conseil de terreur », a soutenu Kadhafi.

Durant son passage à New York, Kadhafi a érigé sa célèbre tente – dans laquelle il a séjourné avec son personnel de sécurité entièrement féminin – dans une propriété appartenant à Donald Trump dans la banlieue de Bedford. Mais après le discours, Trump, qui était alors un simple homme d’affaires new-yorkais, a demandé au dirigeant libyen de quitter sa propriété. Kadhafi s’est également vu refuser une demande d’autorisation pour installer sa tente à Central Park à New York.

Les discours de Mahmoud Ahmadinejad désertés par les diplomates 

« Ils menacent quiconque conteste l’Holocauste et les événements du 11 septembre » (AFP)
« Ils menacent quiconque conteste l’Holocauste et les événements du 11 septembre » (AFP)

Au cours de ses huit années à la tête de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad a été au centre de plusieurs controverses qui ont fait les gros titres de la presse internationale. Son discours inaugural à l’Assemblée générale des Nations unies en 2005 n’a pas dérogé à la règle ; lors de celle-ci, Ahmadinejad a souligné que toutes les nations, y compris l’Iran, avaient droit à l’énergie nucléaire.

« Nous pensons que tous les pays et toutes les nations ont droit à des avancées technologiques et scientifiques dans tous les domaines, en particulier la technologie pacifique de production de combustible nucléaire », a-t-il déclaré à l’époque. « Cet accès ne peut être limité à quelques-uns. »

Lors de son discours de 2005, Ahmadinejad a employé un ton de défi qui allait devenir caractéristique des apparitions du président iranien à l’Assemblée générale de l’ONU et provoquer le départ de diplomates à deux reprises.

Alors que ses discours critiquaient l’inégalité économique mondiale et présentaient l’Iran comme une véritable démocratie, Ahmadinejad a fait l’objet de condamnations mondiales en 2007 pour avoir remis en question ce qui s’était passé pendant l’Holocauste ainsi que le discours américain sur les attentats du 11 septembre 2001.

S’exprimant à l’Université Columbia de New York en marge de l’Assemblée générale cette année-là, le président iranien a soulevé des questions sur la campagne d’extermination massive des nazis qui a visé le peuple juif et coûté la vie à six millions de personnes au cours de la Seconde Guerre mondiale.

« Je ne dis pas que cela ne s’est pas produit », a-t-il déclaré. « Ce n’est pas le jugement que je porte ici. Si cela s’est bien passé, qu’est-ce que cela a à voir avec le peuple palestinien ? »

Dans le même discours, Ahmadinejad s’est attiré de nombreuses railleries en affirmant qu’il n’y avait pas d’homosexuels en Iran. Pendant son séjour à New York, il s’est également vu interdire de déposer une gerbe à Ground Zero, le site du World Trade Center détruit lors des attentats du 11 septembre.

En 2010, des diplomates européens et américains ont quitté l’assemblée lors du discours prononcé par Ahmadinejad lors de l’Assemblée générale des Nations unies, après que ce dernier a avancé une théorie du complot selon laquelle « des segments du gouvernement américain [avaient] orchestré l’attaque [du 11 septembre] ».

Un an plus tard, des délégués ont encore quitté la salle lorsque le dirigeant iranien a réitéré son scepticisme au sujet du 11 septembre et de l’Holocauste. « En utilisant leur réseau médiatique impérialiste, qui est sous l’influence du colonialisme, ils menacent quiconque conteste l’Holocauste et les événements du 11 septembre avec des sanctions et des actions militaires », avait alors déclaré le président iranien.

Le marqueur rouge de Benyamin Netanyahou

« La ligne rouge doit être tracée juste ici » (AFP)
« La ligne rouge doit être tracée juste ici » (AFP)

Sur l’estrade de l’Assemblée générale des Nations unies en 2012, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a littéralement tracé une ligne rouge sur le programme nucléaire iranien – avec un marqueur.

Brandissant une pancarte représentant un dessin de bombe avec une mèche, Netanyahou a déclaré que Téhéran pourrait construire une arme nucléaire en quelques mois – voire en quelques semaines – s’il était autorisé à poursuivre l’enrichissement d’uranium.

« La ligne rouge doit être tracée juste ici, avant que l’Iran ne finalise la deuxième étape de son enrichissement nucléaire nécessaire à la fabrication d’une bombe, avant que l’Iran n’en soit qu’à quelques mois ou quelques semaines d’avoir amassé suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer une arme nucléaire », a déclaré Premier ministre israélien, faisant crisser son marqueur à plusieurs reprises près d’une ligne indiquant 90 %.

L’intervention théâtrale de Netanyahou a également été perçue comme une critique à l’encontre de Barack Obama, le président américain de l’époque, qui avait refusé de fixer une ligne rouge à un programme nucléaire iranien susceptible de donner lieu à des frappes militaires.

À la consternation du Premier ministre israélien, Obama et plusieurs autres dirigeants mondiaux ont signé trois ans plus tard un accord avec l’Iran visant à restreindre le programme nucléaire du pays en échange de la levée des sanctions internationales contre son économie. Bien que Donald Trump ait retiré les États-Unis de l’accord en mai 2018, Netanyahou a continué de tirer la sonnette d’alarme au sujet du programme nucléaire iranien. 

Plus tôt ce mois-ci, Netanyahou a accusé l’Iran d’avoir rasé un site nucléaire, affirmant que Téhéran était en train d’y construire une arme atomique – et encore une fois, il s’est servi de supports visuels pour se faire comprendre.

« Sur ce site, l’Iran a mené des expériences pour développer des armes nucléaires », a soutenu Netanyahou lors d’un discours télévisé prononcé devant la photo granuleuse de bâtiments entourés de collines.

Netanyahou et ses pancartes ne se rendront pas à l’Assemblée générale cette année : il a annulé son voyage à New York pour superviser l’impasse politique qui a suivi les élections israéliennes, lesquelles n’ont pas permis de dégager un titulaire pour le poste de Premier ministre.

Quand George W. Bush tente de vendre la guerre en Irak

« Si l’Irak achetait des matières fissiles, il serait en mesure de fabriquer une arme nucléaire en moins d’un an » (AFP)
« Si l’Irak achetait des matières fissiles, il serait en mesure de fabriquer une arme nucléaire en moins d’un an » (AFP)

En 2002, au lendemain du premier anniversaire des attentats du 11 septembre à New York, le président de l’époque, George W. Bush, a consacré l’essentiel de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies à des invectives contre l’Irak. Insistant sur un arsenal d’armes de destruction massive et des liens entre Saddam Hussein et al-Qaïda qui se sont avérés mensongers, le président américain a exhorté les autres pays à « défendre » la sécurité mondiale.

Il a averti que l’absence d’action contre Saddam Hussein entraînerait des « abominations encore plus grandes » que celle du 11 septembre, accusant Bagdad de développer des armes « terribles » qu’il pourrait fournir à ses « alliés terroristes ». Bush est allé jusqu’à dire que l’Irak n’était pas loin d’être en mesure de construire une bombe nucléaire.

« L’Irak emploie des scientifiques et des techniciens du nucléaire compétents. Il dispose de l’infrastructure nécessaire pour fabriquer une arme nucléaire », a affirmé Bush. « L’Irak a essayé à plusieurs reprises d’acheter des tubes d’aluminium à haute résistance utilisés dans l’enrichissement de l’uranium destiné à une arme nucléaire. Si l’Irak achetait des matières fissiles, il serait en mesure de fabriquer une arme nucléaire en moins d’un an. »

Déterminé à dénoncer Saddam Hussein, Bush a également cité la guerre menée par l’Irak contre l’Iran dans les années 1980 et soutenue par les États-Unis parmi les nombreux conflits déclenchés par le dirigeant irakien. 

Moins d’un an plus tard, l’invasion de l’Irak menée par les États-Unis a commencé, Saddam Hussein a été renversé et sa statue sur la place Firdos à Bagdad a été détruite après que les troupes américaines l’ont recouverte d’un drapeau américain. Mais l’effusion de sang sectaire généralisée, la corruption endémique et la montée de groupes tels que l’État islamique ont ensuite gangrené un Irak post-Saddam Hussein très éloigné de la vision optimiste que Bush avait envisagée dans son discours de 2002.

« Si nous faisons face à nos responsabilités, si nous surmontons ce danger, nous parviendrons à un tout autre avenir. Le peuple d’Irak pourra se libérer de sa captivité […] et inspirer des réformes dans tout le monde musulman », avait déclaré Bush à l’époque.

Quand Chávez accuse « le diable » de détruire le Moyen-Orient

« Hier, le diable est venu ici. Juste ici […] Et ça sent encore le soufre aujourd’hui » (AFP)
« Hier, le diable est venu ici. Juste ici […] Et ça sent encore le soufre aujourd’hui » (AFP)

Lorsque l’ancien président vénézuélien Hugo Chávez est monté sur l’estrade de l’Assemblée générale des Nations unies en 2006, il a parlé d’une odeur persistante de soufre émanant du « diable » qui était monté sur cette même estrade la veille.

Ce n’était pas Lucifer, ni quelque autre ange déchu ; Chávez, un détracteur d’Israël qui s’est aligné avec les gouvernements cubain et iranien, faisait référence au président américain de l’époque, George W. Bush. 

« Hier, le diable est venu ici. Juste ici », a déclaré Chávez, avant de faire le signe de croix et de joindre les mains pour prier. « Et ça sent encore le soufre aujourd’hui, sur cette tribune où je me tiens maintenant. »

Chávez a ensuite fustigé la politique étrangère américaine, accusant Bush de parler « comme s’il était le propriétaire du monde » dans le but de consolider une dictature mondiale.

Il s’est concentré en particulier sur la politique des États-Unis en Palestine, en Irak et au Liban. Quelques semaines seulement avant son intervention, l’armée israélienne avait lancé une attaque militaire contre le Liban lors de laquelle, en un peu plus d’un mois, plus de 1 000 civils avaient été tués, des villages avaient été ravagés et des infrastructures essentielles avaient été détruites.

« Le gouvernement des États-Unis ne veut pas la paix. Il veut exploiter son système d’exploitation, de pillage, d’hégémonie par la guerre. Il veut la paix ? Mais que se passe-t-il en Irak ? Que s’est-il passé au Liban ? En Palestine ? Que se passe-t-il ? », a lancé Chávez sur l’estrade de l’Assemblée générale des de l’ONU en septembre 2006.

« Que s’est-il passé ces 100 dernières années en Amérique latine et dans le monde ? Et à présent il menace le Venezuela – de nouvelles menaces contre le Venezuela, contre l’Iran. »

Sous les moqueries du monde entier, Trump s’attaque à l’Iran

« En moins de deux ans, mon administration a accompli davantage que presque toutes les administrations dans l’histoire de notre pays » (AFP)
« En moins de deux ans, mon administration a accompli davantage que presque toutes les administrations dans l’histoire de notre pays » (AFP)

À l’Assemblée générale des Nations unies, les dirigeants appellent souvent à la coopération et à la fin des conflits, abordent des problèmes internationaux ou vantent le rôle de leur pays dans le monde. Cependant, en ouverture de son deuxième discours devant l’organe mondial en 2018, Donald Trump a jugé bon de promouvoir ses propres avancées nationales en employant les superlatifs qui lui sont caractéristiques.

« En moins de deux ans, mon administration a accompli davantage que presque toutes les administrations dans l’histoire de notre pays. L’Amérique… C’est vrai », a déclaré Trump, provoquant les rires des chefs d’État et diplomates qui remplissaient la salle.

Le président américain a ensuite gloussé. « Je ne m’attendais pas à cette réaction, mais c’est très bien », a-t-il ajouté, suscitant des rires encore plus nourris.

Trump s’est ensuite emporté contre le mondialisme et a mis en avant sa vision du monde prônant « l’Amérique d’abord », ce qui, selon ses détracteurs, étaye la réticence de la Maison-Blanche à dénoncer les violations des droits de l’homme dans le monde. « L’Amérique est gouvernée par les Américains. Nous rejetons l’idéologie du mondialisme et nous embrassons la doctrine du patriotisme », a affirmé Trump.

Tout en prônant pourtant une version de la politique mondiale dans laquelle les États sont libres de poursuivre leurs propres intérêts et de gérer leurs affaires intérieures sans ingérence internationale, Trump a librement qualifié l’Iran de « dictature ».

« Les Iraniens sont indignés, à juste titre, que leurs dirigeants aient détourné des milliards de dollars du Trésor iranien, saisi des portions précieuses de l’économie et pillé les dotations religieuses du peuple, le tout pour se remplir les poches et envoyer des intermédiaires faire la guerre à leur place », a-t-il lancé.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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