EXCLUSIF : Des responsables égyptiens ont menacé Morsi quelques jours avant sa mort
Mohamed Morsi et les dirigeants des Frères musulmans emprisonnés en Égypte ont reçu un ultimatum de la part de hauts dirigeants : dissoudre l’organisation ou en subir les conséquences, a appris Middle East Eye.
Ils avaient jusqu’à la fin du mois du Ramadan pour se décider. Morsi a refusé et il est mort quelques jours plus tard.
Des membres des Frères musulmans en Égypte comme à l’étranger craignent désormais pour la vie de Khairat al-Chater, ancien candidat à la présidentielle, et Mohammed Badie, le guide suprême des Frères musulmans, qui ont tous deux refusé de céder.
Cet ordre adressé à Morsi et aux dirigeants des Frères musulmans en vue de fermer l’organisation a été initialement défini dans un document stratégique rédigé par de hauts responsables autour du président Abdel Fattah al-Sissi
Cet ordre adressé à Morsi et aux dirigeants des Frères musulmans en vue de fermer l’organisation a été initialement défini dans un document stratégique rédigé par de hauts responsables autour du président Abdel Fattah al-Sissi et consigné peu après sa réélection l’année dernière.
MEE a pris connaissance de son contenu grâce à différentes sources au sein de l’opposition égyptienne : l’une d’entre elles l’a vu et en a parlé sous couvert d’anonymat.
Plusieurs sources ont ainsi affirmé à MEE qu’elles étaient au courant du document et des négociations secrètes menées avec Morsi avant sa mort subite en prison lundi dernier.
« Clore le dossier des Frères musulmans »
Certains détails sur les contacts prolongés entre les responsables égyptiens et Morsi au cours des derniers mois ont été retenus de peur de mettre en danger la vie de prisonniers.
Intitulé « Clore le dossier des Frères musulmans », le document du gouvernement affirmait que le coup d’État militaire de 2013 avait porté à l’organisation islamiste un coup sans précédent dans son histoire et plus important que les mesures de répression auxquelles elle avait été confrontée sous les anciens présidents Nasser et Moubarak.
Le document soutenait que les Frères musulmans avaient été irrémédiablement affaiblis et qu’il n’existait plus de chaîne de commandement claire.
Il indiquait que les Frères musulmans ne pouvaient plus être considérés comme une menace pour l’État égyptien et que le principal problème était désormais le nombre de personnes en prison.
Le nombre de prisonniers politiques de toutes les factions de l’opposition, laïques comme islamistes, est estimé à 60 000 environ.
Le document du gouvernement prévoyait la fermeture de l’organisation d’ici trois ans.
Il offrait la liberté aux membres des Frères musulmans qui garantissaient de ne plus prendre part à la politique ou à la da`wa (la prédication et les activités sociales du mouvement).
Ceux qui refuseraient seraient menacés de peines encore plus sévères et de prison à vie. Le document estimait que 75 % des membres subalternes accepteraient.
S’ils acceptaient de cesser les activités du mouvement, les dirigeants se verraient offrir de meilleures conditions de détention.
Morsi sous pression
Des pressions énormes ont été exercées sur Morsi, placé en isolement cellulaire dans une annexe de la prison de Tora, tenu à l’écart des avocats et de sa famille et privé de tout contact avec les autres prisonniers.
« Le gouvernement égyptien voulait garder ces négociations aussi secrètes que possible. Il ne voulait pas que Morsi s’entretienne avec des collègues », explique une personne ayant eu connaissance des événements à l’intérieur de la prison.
À mesure que les négociations s’éternisaient, les responsables égyptiens ont été de plus en plus frustrés par Morsi et les hauts dirigeants des Frères musulmans en prison.
« Ils ont décidé de le tuer principalement parce qu’ils avaient conclu qu’il n’accepterait jamais leurs exigences »
- Une personnalité égyptienne
Morsi a refusé de parler du démantèlement des Frères musulmans, expliquant qu’il n’en était pas le chef, tandis que dirigeants des Frères musulmans ont refusé de parler des questions d’ordre national telles que la renonciation de Morsi à son titre de président de l’Égypte et ont renvoyé les responsables vers lui.
Le président déchu a refusé de reconnaître le coup d’État et de renoncer à sa légitimité en tant que président élu de l’Égypte. Quant à la fin des Frères musulmans, il a déclaré qu’il était le président de toute l’Égypte et qu’il ne ferait aucun compromis.
« Cela a continué pendant un certain temps. Les efforts se sont intensifiés pendant le Ramadan. Le régime a été frustré et a fait clairement comprendre aux autres dirigeants que s’ils ne le persuadaient pas d’abandonner et de négocier d’ici la fin du Ramadan, le régime prendrait d’autres mesures. Leur nature n’a pas été précisée », ont déclaré à MEE des sources informées des événements.
Pour cette raison, les sources qui se sont entretenues avec MEE pensent que Morsi a été tué et que les autres dirigeants des Frères musulmans qui ont désobéi à l’ordre de dissoudre l’organisation sont désormais en danger de mort.
Morsi est décédé lundi 17 juin à l’âge de 67 ans peu après s’être effondré dans un tribunal où il était rejugé pour espionnage. Les autorités égyptiennes et les médias d’État ont déclaré qu’il avait été victime d’une crise cardiaque.
Toutefois, sa famille et ses partisans se disent depuis plusieurs années préoccupés par les conditions dans lesquelles il était détenu, à leurs yeux une menace pour sa santé, affirmant qu’il s’était vu refuser des soins médicaux contre son diabète et une maladie du foie.
« D’après mon analyse, ils ont décidé de le tuer à ce moment précis [le septième anniversaire du deuxième tour des élections présidentielles] », a indiqué une personnalité égyptienne. « C’est ce qui explique le timing de sa mort. Ils ont décidé de le tuer principalement parce qu’ils avaient conclu qu’il n’accepterait jamais leurs exigences. »
Le document n’était pas la première offre faite par le gouvernement de Sissi aux Frères musulmans emprisonnés.
Avant le document de 2018, deux offres leur avaient été présentées : une libération à condition de ne pas s’engager en politique pendant une période déterminée et une libération à condition de ne pas s’engager en politique, assortie toutefois d’une autorisation de continuer de participer à la da`wa, la vie religieuse de la communauté. Aucune offre n’avait été retenue.
La mort de Morsi a suscité de vives critiques dans l’opinion publique à l’égard du traitement qui lui a été réservé. Selon Ayman Nour, ancien candidat à la présidence et opposant politique, Morsi a été « tué lentement en six ans ».
« Sissi et son régime sont entièrement responsables de cette issue et il n’y a pas d’autre choix que de procéder à un arbitrage international par rapport à ce qu’il a subi, à la négligence médicale et à la privation de tout droit dont il a été victime », a tweeté Nour, qui vit aujourd’hui en exil.
Des secrets à partager
Dans les derniers moments de sa vie, Mohamed Morsi a exhorté un juge à le laisser lui révéler des secrets qu’il avait même tus à son avocat, a rapporté MEE.
Morsi a déclaré qu’il devait prendre la parole à huis clos pour révéler ces informations – une demande formulée à plusieurs reprises dans le passé, mais jamais acceptée.
Devant la cour, Morsi a déclaré qu’il garderait ses secrets avec lui jusqu’à sa mort ou sa rencontre avec Dieu. Il s’est effondré peu après.
Plus tôt lors de cette même audience, Safwat Hegazi, prédicateur islamiste, et Essam al-Haddad, ancien conseiller aux affaires étrangères de Morsi, également détenus, ont demandé au juge d’envisager la possibilité d’espacer les séances.
Le fils d’Essam al-Haddad, Abdullah, a confié à MEE qu’il craignait que son père et son frère Gehad, également emprisonné, ne subissent le sort de Morsi.
« Il y en a beaucoup d’autres qui sont sur le point de mourir et si la communauté internationale ne dénonce pas cela et ne demande pas la libération des autres, beaucoup mourront, y compris mon père et mon frère », a-t-il déclaré.
MEE a contacté l’ambassade d’Égypte à Londres pour lui adresser une demande de commentaires au sujet du document et des négociations entre le gouvernement, Morsi et les hauts responsables des Frères musulmans au cours des mois et des semaines qui ont précédé sa mort.
Le ministère égyptien des Affaires étrangères a condamné la semaine dernière les appels du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en faveur d’une enquête indépendante sur la mort de Morsi.
Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères décrit les appels en faveur d’une enquête comme une « tentative délibérée de politisation d’un cas de mort naturelle ».
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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