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L’arrestation d’Omar Radi, dernier épisode d’une année difficile pour la liberté d’expression au Maroc

Placé en détention jeudi, le journaliste et militant marocain Omar Radi est poursuivi pour « outrage à magistrat » pour un tweet fustigeant l’indépendance de la justice
Par Amine Saadani à RABAT, Maroc

Après l’arrestation d’Omar Radi, journaliste et militant pour les droits humains, une vague d’indignation a submergé les réseaux sociaux.

Convoqué jeudi 26 décembre par la police judiciaire, le Marocain de 33 ans a été déféré le même jour devant le procureur du roi qui l’a aussitôt placé en détention et décidé d’une comparution immédiate pour « outrage à magistrat ». 

« Un des substituts du procureur l’a interrogé, en présence de la défense, au sujet d’une opinion qu’il avait exprimée sur Twitter, il y a neuf mois, à propos du verdict rendu par un magistrat concernant des détenus du hirak du Rif », explique à Middle East Eye Me Saïd Benhammani, qui assure à ce stade la défense d’Omar Radi aux côtés de quatre autres avocats. 

« Le substitut lui a demandé ce qu’il voulait dire, si le tweet était bien le sien. Ensuite, il a été décidé de le poursuivre en détention pour outrage à magistrat en comparution immédiate. »

En vertu de l’article 263 du code pénal, il risque un mois à un an de prison.

Lors de cette première audience, le tribunal a rejeté la demande de liberté provisoire présentée par la défense. « La demande a été refusée sans motif, alors qu’il dispose de toutes les garanties de représentation », regrette Me Benhammani. 

La prochaine audience a été fixée au 2 janvier.

Le tweet sur « le bourreau de nos frères »

« Lahcen Talfi, juge de la cour d’appel, bourreau de nos frères, souvenons-nous bien de lui. Dans beaucoup de régimes, les petits bras comme lui sont revenus supplier après en prétendant "avoir exécuté des ordres". Ni oubli ni pardon avec ces fonctionnaires sans dignité ! », écrivait, en avril, Omar Radi sur Twitter. 

Ce tweet lui avait valu une première convocation la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), qui avait alors ouvert une enquête. Pourquoi a-t-il arrêté neuf mois plus tard ? 

« C’est une question importante. Pourquoi cela n’a pas été activé juste après le tweet ? Peut-être que ce n’était pas le bon contexte pour eux », s’interroge son avocat.

« Ces dernières années, il s’est consacré à de nombreux sujets d’intérêt public, comme les expropriations des terres tribales, un sujet à la confluence de tous les pouvoirs, de toutes les prédations. Il en a parlé avec franchise sur les ondes d’une webradio algérienne quelques jours avant son arrestation. Est-ce pour cela que la justice a déterré un de ses vieux tweets pour le punir ? La question mérite d’être posée, car, sans aucun doute, un esprit de vengeance se tapit derrière son cas », suppute le journaliste Ali Amar dans un article publiée ce vendredi.

Cette première convocation constituait en tout cas une épée de Damoclès au-dessus de la tête du journaliste qui avait décidé de ne pas se taire. Le 18 décembre, il s’interrogeait, réagissant au verdict rendu contre les passeurs de Hayat Belkacem.

Sept Marocains et deux Espagnols venaient d’être condamnés à des peines allant jusqu’à dix ans de prison ferme pour un trafic de migrants ayant notamment entraîné la mort d’une étudiante marocaine de 22 ans en septembre 2018, au large du Maroc.

L’arrestation du journaliste intervient au moment où une commission spéciale a été nommée par le roi Mohammed VI pour dessiner les contours d’un nouveau modèle de développement, le modèle actuel ayant échoué.

Pilotée par l’ambassadeur du Maroc à Paris, Chakib Benmoussa, l’équipe a pourtant promis, dans un communiqué diffusé le 24 décembre, « dans sa volonté d'interaction et d’ouverture (…) des rencontres sur le terrain afin d’écouter les citoyens et les différentes composantes de la société marocaine ».

Après la première nuit passée par Omar Radi en prison, des voix au sein de la commission commencent déjà à s’élever contre l’état des libertés.

L’islamologue et politologue Rachid Benzine a réagi ce vendredi sur Twitter. 

Karim Tazi, homme d’affaires et militant désigné par Mohammed VI membre de la commission spéciale sur le modèle de développement, s’est lui aussi exprimé.

« Je suis tenu à une obligation de réserve avec les personnes et les institutions avec lesquelles je suis engagé. Cette obligation de réserve s’applique à la communication externe de travaux ou atmosphères qui pourrait nuire à la marche de l’action commune (…) L’obligation de réserve ne peut toutefois m’amener à taire mes positions ou à mettre en veilleuse mes autres activités sur ce qui ne touche pas directement la cuisine interne de ces collectif », défend-il sur Médias 24

« Un des préalables que j’ai toujours défendus, publiquement et dans les apartés, est que le respect des libertés [voire une large tolérance pour certains écarts à travers une politique pénale conciliante] sont des exigences impérieuses pour donner du crédit à la volonté de changer de cap et de s’engager sur une voie réellement novatrice et inclusive. »

Maroc : du code de la presse au code pénal pour museler la presse
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Un nouveau code de la presse ne prévoyant plus de peines de prison est entré en vigueur en 2016, mais les journalistes continuent d’être poursuivis selon le code pénal.

Plusieurs ONG internationales s’inquiètent des condamnations de journalistes en vertu du code pénal.

Mi-octobre, la journaliste Hajar Raissouni avait été condamnée à un an de prison pour « avortement illégal et sexe hors mariage » avant d’être graciée par le roi dans la foulée.

Dans son dernier classement annuel sur la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) a classé le Maroc 135e sur 180 pays.

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