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Maroc : jusque dans la classe politique, la condamnation de Hajar Raissouni est jugée « injuste »

ONG, politiques, écrivains, militants de la société civile… Les réactions se multiplient après la condamnation de la journaliste marocaine à un an de prison ferme pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage » 
Manifestation de solidarité pour Hajar Raissouni, devant le tribunal de Rabat, le 9 septembre 2019 (AFP)
Par MEE

« Un procès politique ». « Une injustice folle ». « Un jour noir pour les libertés au Maroc ». La condamnation, lundi, par le tribunal de Rabat de la journaliste marocaine Hajar Raissouni à un an de prison ferme pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage » a provoqué une onde de choc au Maroc et à l’étranger.

« C’est une criante injustice, une flagrante violation des droits humains et une atteinte frontale aux libertés individuelles », dénonce sur Twitter Ahmed Benchemsi, directeur de la communication et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord auprès de Human Rights Watch (HRW). 

Depuis son arrestation, fin août à l’entrée d’un cabinet médical de Rabat – la reporter avait été soumise à « un examen médical sans son accord » –, plusieurs ONG se sont mobilisées pour exiger, entre autres, sa libération ou la dépénalisation des relations sexuelles consensuelles hors mariage.

Amnesty a dénoncé dans un communiqué « un coup dévastateur pour les droits des femmes au Maroc. Les autorités devraient annuler sa condamnation et ordonner sa libération immédiate et sans conditions ».

Reporters sans Frontières (RSF), qui défend la journaliste du quotidien arabophone Akhbar el Youm, un des derniers journaux indépendants du Maroc, a aussi, au début du mois, mis en ligne une pétition pour demander sa libération.

https://twitter.com/zineblaraqui8/status/1178788806553751552

Arrêtés et jugés en même temps qu’elle, son gynécologue a écopé de deux ans de prison ferme et son fiancé d’un an ferme. Un anesthésiste octogénaire a été condamné à un an de prison avec sursis et une secrétaire à huit mois avec sursis, selon un journaliste de l’AFP.

Les proches de la journaliste ont confié à l’AFP qu’elle allait faire appel, tout comme Me Meriem Moulay Rachid, l’avocate du gynécologue. 

« Ce procès n’avait pas lieu d’être, les accusations étaient infondées : il n’y a ni débauche [relations sexuelles hors mariage] ni avortement », a regretté l’avocat de la journaliste, Me Abdelmoula El Marouri, à l’issue du verdict.

Hajar Raissouni, qui dénonce un procès « politique », est arrivée à la salle d’audience l’air serein, vêtue d’une djellaba noire, un voile à motifs couvrant sa tête. 

Elle a fait un signe de la main à ses proches avant de prendre place sur le banc des accusés. Le jugement a été accueilli par des cris de colère et de déception par les familles des accusés, et certains ont scandé en chœur le prénom de la reporter, visiblement effondrée.

https://twitter.com/Alamovsky/status/1178914720784486401

Plusieurs personnalités politiques, interrogées par l’hebdomadaire marocain Tel Quel, ont aussi réagi à ce verdict. 

Nouzha Skalli, ex-ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, a jugé que cette condamnation était le « fruit d’une législation obsolète et moyenâgeuse, en parfait décalage avec la réalité marocaine qui place nos jeunes par centaines de milliers, nos filles, nos nièces, dans une situation de hors-la-loi ».

Mehdi Bensaïd, membre du Parti authenticité et modernité (PAM), estime quant à lui qu’il y a « de nombreuses lois qui ne vont plus avec le Maroc d’aujourd’hui ». 

Hajar Raissouni, qui risquait jusqu’à deux ans de prison en vertu du code pénal marocain, lequel sanctionne les relations sexuelles hors mariage et l’avortement quand la vie de la mère n’est pas en danger, avait nié tout avortement, assurant avoir été traitée pour une hémorragie interne, ce que son gynécologue a confirmé au tribunal. 

https://twitter.com/Aylatah/status/1178753724757532673

Ses avocats avaient même assimilé l’examen effectué après son interpellation comme de « la torture », pointant des « manquements de la police judiciaire » et des « preuves fabriquées », et plaidant pour sa libération. 

« C’est une affaire de répression politique, de répression d’une opinion indépendante, et une vengeance contre sa famille », a déclaré à l’AFP l’historien engagé Maâti Monjib, présent à l’audience.

« On est bien conscient que c’est une affaire politique. Mais en tant que mouvement féministe, ce sont les motifs qui nous inquiètent. Ce sont souvent les femmes qui sont victimes de lois liberticides », a affirmé peu avant le verdict Ibtissam Lachgar, cofondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI).

Des dizaines de journalistes et représentants d’ONG étaient présents dans la salle d’audience.

La journaliste dit avoir été interrogée par la police sur ses proches, son journal et ses écrits. Un de ses oncles est un éditorialiste engagé de Akhbar el Yaoum, un autre est un idéologue islamiste opposé au statut de « commandeur des croyants » du roi Mohammed VI. 

Le parquet de Rabat avait assuré que son arrestation n’avait « rien à voir avec sa profession » mais était liée à une enquête judiciaire visant le cabinet médical.

L’affaire a soulevé des débats sur les libertés individuelles dans le royaume et sur les poursuites judiciaires visant les voix critiques. 

Dans un manifeste rédigé par la romancière Leïla Slimani et publié le 23 septembre dans plusieurs médias au nom des libertés individuelles, des centaines de femmes se sont déclarées « hors-la-loi », proclamant avoir déjà violé la législation « obsolète » du pays sur les mœurs et l’avortement.  

« Tout cela est triste. Tragique. Et donne l’image d’un Maroc arriéré alors que beaucoup de ses citoyens se battent avec courage pour changer et les mentalités et les lois », a réagi un autre écrivain, Abdellah Taïa, sur sa page Facebook.

Quelques centaines de personnes s’étaient rassemblées devant le tribunal début septembre pour apporter leur soutien à la journaliste.

En 2018, la justice marocaine a poursuivi 14 503 personnes pour débauche, 3 048 pour adultère, 170 pour homosexualité et 73 pour avortement, selon les chiffres officiels. 

Entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour au Maroc, selon des estimations.

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