Des députés britanniques enquêtent sur la « disparition » de membres importants de la famille royale saoudienne
Un groupe de députés et d’avocats britanniques a ouvert une enquête sur le bien-être de deux importants princes saoudiens qui sont emprisonnés dans le royaume depuis six mois.
Tous deux considérés comme des rivaux potentiels du prince héritier Mohammed ben Salmane, l’ancien prince héritier Mohammed ben Nayef (61 ans) et le prince Ahmed ben Abdelaziz (78 ans) ont été arrêtés en mars dans le cadre d’une campagne de répression visant des membres importants de la famille royale.
Peu après leur arrestation, des informations indiquaient qu’ils avaient été arrêtés parce qu’ils planifiaient de renverser Mohammed ben Salmane (MBS) avant son accession au trône, mais certaines sources ont fait plus tard marche arrière, affirmant qu’ils avaient été arrêtés pour une « accumulation de mauvaises conduites ».
« Si des membres importants de la famille royale saoudienne peuvent disparaître et subir des violations de leurs droits, il faut s’inquiéter grandement pour les détenus qui n’appartiennent pas à cette famille »
- Tayab Ali, avocat
Depuis, aucun des princes n’aurait été formellement inculpé et peu d’informations ont émergé concernant le lieu ou leurs conditions de détention, bien que ces dernières semaines, des avocats représentant ben Nayef aient exprimé leurs inquiétudes pour le bien-être du prince.
Désormais, un panel de législateurs et d’avocats britanniques, sous la houlette de Crispin Blunt, un député conservateur, a ouvert une enquête pour savoir ce qui était arrivé aux princes et essayera de leur rendre visite en Arabie saoudite.
En plus de se concentrer sur les princes, ce panel cherche à mettre en lumière les conditions de détention des prisonniers politiques saoudiens qui ne sont pas membres de la famille royale et produira un rapport à la fin de ses travaux pour détailler ses découvertes.
« Quel message cela envoie-t-il si les gens de cette distinction dans la société saoudienne se retrouvent emprisonnés et disparaissent ? », s’interrogeait Blunt en conférence de presse mercredi.
Il a rapporté avoir rencontré l’ambassadeur saoudien au Royaume-Uni, le prince Khalid ben Bandar, plus tôt cette semaine et que ce dernier avait accepté de rencontrer l’ensemble du panel la semaine prochaine. L’ambassade saoudienne à Londres n’a pas répondu aux sollicitations de MEE.
Blunt et les autres politiciens du panel, la porte-parole des Libéraux-démocrates pour les Affaires étrangères Layla Moran et le député conservateur Imran Ahmad Khan ont souligné à plusieurs reprises que leur travail serait mené l’esprit ouvert et de manière indépendante.
« Tout ce que je veux, c’est que quiconque, où que ce soit dans le monde, sache que si ses droits sont bafoués d’une quelconque façon, des gens veillent », assure Moran.
« [Le gouvernement saoudien] sait que nous sommes là pour nous impliquer. Nous sommes là pour leur faire rendre des comptes, à eux et aux autres pays, s’ils ne respectent pas leurs obligations en matière de droits de l’homme […] et pour le faire de façon amicale et respectueuse. »
Les efforts du panel interviennent avant le sommet du G20 qui devait avoir lieu à Riyad le mois prochain, mais qui se tiendra en ligne en raison de la pandémie de COVID-19.
Tayab Ali, associé du cabinet d’avocats londonien Bindmans qui participe à l’examen, a déclaré avoir été engagé et payé par un ressortissant saoudien dont l’identité est gardée secrète pour sa sécurité.
« Si des membres importants de la famille royale saoudienne peuvent disparaître et subir des violations de leurs droits, il faut s’inquiéter grandement pour les détenus qui n’appartiennent pas à cette famille », estime maître Ali. « Mon client s’inquiète de la façon dont tous les citoyens sont traités en Arabie saoudite lorsqu’ils sont emprisonnés par l’État pour des raisons politiques. »
Il y a trois issues potentielles à ce panel selon lui. Les Saoudiens pourraient se désengager, « ce qui serait extrêmement inquiétant ». Ils pourraient fournir des informations écrites à propos des détenus, lesquelles pourraient être croisées avec les informations obtenues auprès d’autres sources.
Ou ils pourraient « autoriser le panel à rendre visite aux détenus en Arabie saoudite pour constater par eux-mêmes leurs conditions de détention. Cela serait dans l’intérêt de tout le monde », affirme-t-il.
Les familles des princes, notamment leurs proches vivant dans le royaume, n’ont pas été contactées à propos du panel, qui est mené indépendamment des avocats représentant les membres de la famille royale.
Les avocats de ben Nayef, s’exprimant sous couvert d’anonymat dans le Financial Times, ont dit s’inquiéter de l’éventualité que sa femme et ses deux filles, qui ne peuvent pas quitter le royaume, puissent être arrêtées pour faire pression sur cet ancien ministre de l’Intérieur.
Les enfants de l’ancien proche conseiller de ben Nayef, Saad al-Jabri – qui a fui le royaume en 2017 et a engagé des poursuites aux États-Unis accusant le prince héritier d’avoir envoyé une équipe pour l’assassiner au Canada –, ont été arrêtés en mars et n’ont pas depuis été libérés.
MEE a demandé à Tayab Ali s’il y avait des inquiétudes particulières quant au fait que des membres de la famille puissent être arrêtés en réaction aux travaux du panel. « Je ne vois aucune raison pour laquelle l’enquête du panel devrait avoir un effet négatif sur les détenus ou leurs familles », assure l’avocat.
« Il s’agit d’un panel indépendant. Le panel a contacté le gouvernement saoudien à travers son ambassade pour que les informations examinées pour son rapport soient justes et équilibrées. Il est très prometteur que l’ambassadeur saoudien ait accepté notre requête de rencontre et qu’un dialogue ait été noué. »
Rivaux pour le trône
Les deux princes, figurant parmi la vingtaine de membres importants de la famille royale arrêtés en mars, sont considérés comme des rivaux potentiels du prince héritier Mohammed ben Salmane.
Ben Nayef, autrefois ministre de l’Intérieur d’Arabie saoudite aux liens étroits avec les agences de renseignement occidentales et parfaitement au fait des machinations internes du royaume, était deuxième dans l’ordre de succession jusqu’en juin 2017, lorsqu’il a été déchu de ses pouvoirs de prince héritier et remplacé par son cousin, ben Salmane.
Depuis, ses actions auraient été étroitement surveillées et contrôlées.
Le prince Ahmed ben Abdelaziz, qui a également été brièvement ministre de l’Intérieur, est le dernier frère à part entière du roi Salmane et il est membre du conseil d’allégeance qui doit approuver l’accession au trône de MBS.
En 2018, il a vécu à l’étranger pendant une brève période et, à cette époque, il a été filmé en train de discuter avec des manifestants à Londres, semblant critiquer l’intervention des dirigeants saoudiens dans la guerre au Yémen.
« Qu’est-ce que la famille a à voir là-dedans ? Certains individus sont responsables… le roi et le prince héritier », avait-il dit, d’après une vidéo très partagée en ligne.
Il avait plus tard publié un communiqué affirmant que ces remarques avaient été mal interprétées et qu’il disait simplement que le roi et le prince héritier étaient responsables de l’État et de ses décisions.
Leurs arrestations ne sont que la plus récente des purges menées sous le prince Mohammed ben Salmane depuis que son père a accédé au trône en 2015, lui servant à consolider son pouvoir.
Depuis 2017, sous le dirigeant de facto du royaume, âgé de 35 ans, des centaines de leader religieux, de membres de la famille royale, de dissidents et d’hommes d’affaires ont été arrêtés.
En octobre 2018, le chroniqueur du Washington Post et de Middle East Eye Jamal Khashoggi a été brutalement assassiné à Istanbul, un acte ordonné par le prince héritier selon les conclusions d’une enquête de la CIA.
Le panel britannique cherche désormais à obtenir des témoignages d’individus et d’organisations sur la situation des deux princes et, plus largement, des détenus politiques saoudiens.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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