Rentrer chez soi, reconstruire sa vie : des Syriens rentrent dans leur pays natal
Ils sont rentrés chez eux dans les ruines d’une ville détruite. Cependant, le sentiment de bonheur chez les réfugiés syriens était intact.
« Malgré les cicatrices de la guerre et la destruction omniprésentes, il n’y a rien à voir ici », a déclaré Ahmed al-Ali (50 ans) à Middle East Eye alors qu’il s’aventurait à al-Bab dans le nord de la Syrie.
Malgré les cicatrices de la guerre et la destruction omniprésentes, il n’y a rien à voir ici
– Ahmed al-Ali, al-Bab
Des milliers de réfugiés ont pénétré dans les régions rebelles de Syrie depuis la Turquie avant la fête de l’Aïd qui marque la fin du Ramadan.
Ankara a donné aux réfugiés le droit de retourner en Turquie pendant un mois, mais beaucoup ont choisi de rester malgré la guerre et les innombrables obstacles auxquels ils s’attendent.
Pour eux, rien ne peut se comparer à la vie dans leur pays d’origine. Ahmed est revenu avec sa femme et ses trois enfants à al-Bab après près de trois ans passés en Turquie.
Il avait été contraint de partir quand l’État islamique (EI) s’est installé dans sa ville natale en 2014. Il s’est installé dans la banlieue de Konya, une ville du sud de la Turquie, où son fils de 19 ans et lui ont subvenu aux besoins de la famille en faisant des petits boulots dans une usine de vêtements et une scierie.
Mais malgré le sentiment de sécurité et de stabilité relative, Ahmed ne s’est jamais senti établi en Turquie. Au lieu de cela, l’idée de retourner en Syrie ne le quittait pas.
« J’ai commencé à espérer lorsque l’opération bouclier de l’Euphrate a été lancée et dès que ma ville a été libérée de l’EI, j’ai commencé à prendre les dispositions nécessaires pour mon voyage de retour », a déclaré Ahmed, qui est rentré en Syrie au cours de la dernière semaine du Ramadan.
Les combattants de l’armée syrienne libre, soutenus par les avions de chasse, les chars et les forces spéciales turcs ont chassé de l’EI de la frontière turque avant de lancer une offensive, surnommée bouclier de l’Euphrate, sur al-Bab en décembre. Ankara et ses alliés rebelles syriens ont repris cette ville-clé en février.
« Mon voyage à al-Bab était un pur bonheur, je rentrais enfin chez moi où j’avais habité avec ma femme pendant quatorze ans et dans les rues et quartiers dans lesquels j’avais grandi », a déclaré Ahmed à MEE.
Le désir d’être de retour
L’histoire d’Ahmed fait écho à celle de nombreux autres réfugiés syriens qui ont quitté la Turquie pour s’installer à al-Bab et dans d’autres districts rebelles de Syrie.
Selon l’ONU, depuis janvier 2017, 450 000 Syriens sont rentrés chez eux dans des régions de Syrie, dont 31 000 en provenance des États voisins.
Comme Ahmed, Said al-Gebaily (42 ans), sa femme et ses deux enfants se sont dirigés vers al-Bab juste avant l’Aïd.
« C’était un sentiment indescriptible, respirer l’air de ma patrie, le pays dans lequel j’ai grandi et où j’espère mourir », a-t-il déclaré à MEE.
Il a été obligé de fuir lorsque l’EI s’est installé en ville au début de 2014. Il s’est installé à Killis, une petite ville turque près de la frontière syro-turque, où il a pris un travail dans un restaurant pour soutenir sa famille.
« J’ai quitté [la Syrie] parce que j’avais peur pour ma famille, mais j’avais l’espoir d’y revenir un jour », a-t-il déclaré à MEE.
Said al-Gebaily a déclaré que bien que ses voisins turcs l’aient traité avec la plus grande gentillesse et l’ait accueilli avec lui et sa famille, il n’avait jamais prévu de rester en Turquie.
« Dès que j’ai eu l’occasion de revenir, je l’ai saisie », a déclaré Said, qui a pris des dispositions pour son voyage en Syrie quand il a eu les informations selon lesquelles l’EI avait fui al-Bab. Il a traversé la frontière lorsque les autorités turques l’ont ouverte avant l’Aïd.
C’était un sentiment indescriptible, respirer l’air de ma patrie, le pays dans lequel j’ai grandi et où j’espère mourir
– Said al-Gebaily, al-Bab
Malgré le retour face à des dégâts et des destructions considérables, Said était déterminé à reconstruire sa vie à al-Bab.
« Il était triste de voir tant de pertes et de destructions », a déclaré Said qui a depuis reconstruit les murs de sa maison et a assemblé de nouveaux meubles pour sa famille.
« Chaque jour est une lutte, mais je ne retournerai jamais en Turquie parce que lentement, mais sûrement, les choses vont s’améliorer ici », a-t-il affirmé.
Le sens du devoir
La majorité des réfugiés syriens revenant de Turquie au cours des derniers mois avaient hâte d’être à la maison, mais le retour de Nezar al-Omar (35 ans), depuis l’Allemagne l’année dernière, a impliqué quelque chose de plus.
Nezar a quitté Alep en août 2015, puis il s’est rendu à Munich en Allemagne, avec l’aide de passeurs via la Turquie et la Grèce. Il a déclaré qu’il ressentait un fort sentiment de devoir moral envers ses compatriotes et le mouvement de résistance dans lequel il s’était impliqué depuis le début.
Bien qu’ayant été accueilli à bras ouverts en Allemagne, et ayant trouvé là-bas la paix, la sécurité et l’aide qu’il n’aurait jamais pu rêver trouver en Syrie, Nezar a décidé de rentrer chez lui peu de temps après avoir fait ce voyage éprouvant.
« Pendant les neuf mois que j’ai passés en Allemagne, tous les jours, je suivais les informations. Je ne pouvais pas regarder de loin alors que des enfants étaient massacrés et que les maisons étaient détruites », a-t-il déclaré à MEE.
« J’avais l’impression d’être un traître à mon pays et à la cause en laquelle je croyais si profondément ».
Après plusieurs mois à passer d’une ville et d’un camp de réfugiés à l’autre, Nezar a finalement obtenu un titre de séjour qui lui donnait le droit de vivre en Allemagne – mais à ce moment-là, il avait déjà décidé de rentrer chez lui.
J’avais l’impression d’être un traître à mon pays et à la cause en laquelle je croyais si profondément
- Nezar al-Omar (35 ans), Idleb
Alors il a emballé ses affaires et a parcouru l’Europe en utilisant son titre de séjour allemand, puis a encore regardé la mort en face lorsque les passeurs l’ont aidé à rejoindre la Syrie en passant par la Turquie.
Nezar est retourné dans la périphérie d’Alep au plus fort du siège de plusieurs mois à la fin de l’année dernière. Il a dit avoir aidé le mouvement rebelle jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit accepté en décembre 2016 et que les civils aient été évacués vers Idleb, où il vit aujourd’hui.
Pour Nezar, son retour en Syrie était une question de fidélité à ses convictions.
« Chaque personne vit selon certains principes ou convictions. Renoncer à ces convictions, c’est renoncer à la vie et pour moi cette conviction était la Syrie », a-t-il déclaré.
Nezar a fait face à la résistance et à la critique de sa famille et ses amis pour avoir quitté une vie prometteuse en Allemagne, mais il est en paix avec sa décision. « Je lutte à tous les niveaux en Syrie, mais au moins ma conscience est en paix ici. »
Reconstruire une patrie
Selon Nezar, la plupart des rapatriés sont revenus dans les régions rebelles où ils peuvent échapper à la persécution du gouvernement d’Assad.
« Les millions d’entre nous qui ont participé aux manifestations savent que nous serions arrêtés et exécutés par les forces de sécurité si nous essayions d’entrer dans des zones contrôlées par le gouvernement », a déclaré Nezar, qui a encouragé d’autres personnes à revenir en Syrie.
Il a dit qu’il était préférable pour les Syriens de revenir et de reconstruire que de rester dans des camps de réfugiés dans plusieurs pays voisins où ils pourraient ne pas être les bienvenus ou être négligés. Un grand nombre des millions de Syriens déplacés résident maintenant dans des camps de tentes informelles au Liban, en Jordanie et en Turquie entre autres.
Avant de quitter Alep, Nezar, professeur d’arabe de métier, a dirigé un centre de formation pour les éducateurs de la ville. Mais depuis le début du conflit, il a consacré son temps à la mise en place de la seule école pour les enfants handicapés dans la ville.
Sa passion pour l’école, qu’il appelait l’école du Printemps arabe pour les enfants ayant des besoins spécifiques, était la raison pour laquelle il est revenu.
« Même lorsque j’étais en Allemagne, j’ai économisé de l’argent et l’ai envoyé en Syrie pour aider à garder l’école ouverte », a-t-il déclaré.
Je lutte à tous les niveaux en Syrie, mais au moins ma conscience est en paix ici.
– Nezar al-Omar, Idleb
Bien que l’école qu’il avait créée a été détruite par une frappe aérienne en septembre 2016, Nezar a indiqué qu’il espère en créer une nouvelle pour les milliers d’enfants devenus handicapés suite à la guerre.
« Je me souviens que tout au long de mon séjour en Allemagne, j’ai lu des choses sur les guerres mondiales et sur la façon dont les Allemands ont œuvré à reconstruire leur pays », a-t-il déclaré. « Je pense que la Syrie méritait la même chose de ma part. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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