Terrorisme : l'écueil du loup solitaire
Pourquoi le remède sera pire que la maladie
Il semblerait qu'une nouvelle menace laisse planer son ombre sur le paysage de la sécurité nationale : le loup solitaire.
« Le loup solitaire est le nouveau cauchemar », a récemment écrit Charles Krauthammer, chroniqueur au Washington Post. L'expert conservateur n'est pas le seul à penser ainsi. « Je considère vraiment [les loups solitaires] comme une menace plus grande qu'al-Qaïda, l'Etat islamique ou les franchises d'al-Qaïda », a déclaré Scott Stewart, vice-président chargé de l'analyse tactique chez Stratfor, une société mondiale de renseignement et de conseil. De même, dans la foulée des attentats terroristes de Paris, le procureur général Eric Holder a déclaré dans l'émission « Meet the Press » : « La seule chose qui m'empêche de dormir la nuit, [c'est] cette inquiétude au sujet du loup solitaire que l'on ne peut détecter ».
Des déclarations qui se multiplient, encore et encore. Or, il y a un seul problème avec ces alarmes qui vont crescendo au sujet des loups solitaires : elles sont en grande partie infondées. Cette « menace » n’est pas nouvelle et le concept, notoirement peu fiable, est utilisé de manière sélective. (De nos jours, le « loup solitaire » est dans une large mesure devenu un synonyme de « terrorisme islamique », bien que la catégorie en elle-même ne soit pas liée à une idéologie spécifique.) Pire encore, l’accent mis récemment sur ce concept ouvre la voie à une recrudescence des pratiques abusives et contre-productives en matière de police et de sécurité nationale, comme l'infiltration des communautés minoritaires et militantes et les coups montés visant à prendre au piège les plus vulnérables. En outre, la catégorisation de ces individus isolés en tant que terroristes agissant soi-disant par idéologie (de gauche ou de droite, laïque ou religieuse) contribue souvent à obscurcir les multiples autres facteurs susceptibles de les pousser effectivement à se livrer à la violence.
Comme tout crime violent, le terrorisme individuel représente un risque réel, mais un risque extrêmement rare et marginal. Ce n'est pas le genre de chose qui devrait permettre au gouvernement de mettre en place de tout nouveaux programmes de surveillance intrusive, ou lui servir de prétexte pour envoyer des agents infiltrer les communautés. Les programmes nationaux mis en place actuellement pour lutter contre les loups solitaires ont tendance à exagérer largement la prévalence et les dangers de ce type de terrorisme, et ne pourraient au final qu'exacerber le problème. Pour les Américains, céder davantage de libertés civiles en échange de la « sécurité » contre ces loups solitaires ne serait pas une bonne affaire, mais une arnaque.
Anatomie du loup
Il convient d'aborder la « littérature » portant sur le terrorisme et sur le loup solitaire avec un tant soit peu de scepticisme. A ce jour, très peu s'accordent sur la définition exacte du terrorisme ; il en est de même quant à l'espèce du loup solitaire.
Selon les médias et de récentes études universitaires, ce qui sépare le loup solitaire du phénomène du terrorisme en général est l'auteur du méfait. Les loups solitaires sont, par définition, des individus isolés, presque toujours des hommes, qui ont souvent des problèmes de santé mentale et qui se déchaînent violemment contre des cibles civiles. Du moins d’une certaine façon, ces individus sont mus par une croyance. Le chercheur Michael Becker définit ce concept ainsi : « Acte de violence ou tentative d'acte de violence de nature idéologique, perpétré par un individu qui planifie et exécute un attentat sans collaborer avec d'autres individus ou groupes. » Sans que vous le sachiez, à l'heure actuelle, en Amérique, des attaques de ce type peuvent être motivées par tout un éventail d'idéologies, des convictions anti-avortement inspirées par la religion au suprémacisme blanc, des droits des animaux à une vision du monde inspirée par al-Qaïda.
D'après la littérature, les loups solitaires sont uniques dans les annales du terrorisme, dans la mesure où ils planifient et réalisent seuls leurs actes. Ils ne subissent aucune pression par des pairs ou par un groupe et leurs crimes sont conçus et exécutés sans assistance. De cette façon, ils ressemblent fortement aux tireurs fous dans les écoles et aux tueurs déchaînés auxquels les Américains sont déjà tellement habitués.
Selon les chercheurs, beaucoup de ces individus agissent seuls pour une raison pratique : la peur d'être détectés. Dans Laws for the Lone Wolf [Lois du loup solitaire], le suprémaciste blanc Tom Metzger écrit : « Moins les autres en savent, plus vous serez en sécurité et plus vous aurez du succès. Taisez-vous et tendez l'oreille. N'admettez jamais réellement quoi que ce soit. » (Avant le 11 septembre, les loups solitaires étaient très majoritairement une question de droite aux Etats-Unis.)
Cela ne signifie pas que les individus qui commettent un acte de violence politique ne parlent à personne avant d'attaquer. D'après des recherches menées récemment sur 119 terroristes isolés aux Etats-Unis et en Europe qui ont été reconnus coupables de leur crime ou qui sont morts en le perpétrant, les terroristes expriment souvent leurs convictions extrémistes, leurs revendications et parfois même leurs intentions violentes à d'autres personnes, pour la plupart les amis et la famille ou des communautés en ligne. La bonne nouvelle devrait être que la famille, les amis et les collègues pourraient contribuer à empêcher leurs proches de se livrer à des actes de violence politique si, en tant que société, nous adoptions des stratégies qui favorisent la confiance dans les forces de l’ordre, en particulier chez les communautés touchées, plutôt que la peur et la suspicion. (Mais compte tenu des antécédents de ces dernières années, ne vous faites pas d'illusions.)
D'autre part, les méthodes que la police et l'Etat de sécurité nationale semblent explorer pour faire face à la question (comme par exemple essayer de déterminer quels types d'individus se joindront à des groupes terroristes ou procéder à un profilage des loups solitaires) seront sans effet. Les raisons qui poussent ces individus à rejoindre des groupes terroristes sont notoirement complexes, et il en va de même pour les personnes qui commettent seules un acte de violence politique. Par exemple, suite à l'étude de ces 119 loups solitaires, les chercheurs ont conclu qu'« il n'existait pas de profil uniforme du terroriste isolé ». Même si un « profil » devait émerger, les chercheurs ont ajouté que ce dernier serait essentiellement sans valeur : « [L']usage de ce profil serait injustifié dans la mesure où beaucoup de personnes ne se livrant pas à des actes de terrorisme individuel partageraient ces caractéristiques, tandis que d'autres ne partageant pas ces caractéristiques pourraient entreprendre de tels actes de terrorisme individuel. »
En tant que groupe, ces terroristes isolés divergent en général de la société sur un point crucial : près d'un individu sur trois était atteint d'une maladie mentale ou d'un trouble de la personnalité avant de s'engager dans la violence politique. Une autre étude se concentrant sur 98 auteurs américains d'actes de violence a révélé qu'environ 40 % des individus en question avaient des problèmes de santé mentale identifiables. Pour l'ensemble de la population, ce chiffre s'élève à 1,5 %.
Compte tenu de ces proportions élevées de troubles psychologiques, il serait possible de prévenir des attentats individuels si les personnes à risque recevaient les soins psychologiques nécessaires avant qu'elles ne recourent à la violence.
Réalité vs. fiction
Heureusement, ce qui rend les loups solitaires si difficiles à détecter à l'avance est également ce qui limite leur force de frappe.
Puisque ces individus ne bénéficient pas d’un plus vaste réseau de financement et de formation, et peuvent être également dérangés mentalement, ils disposent probablement d'une gamme de compétences beaucoup moins avancée au moment de se fournir en armement ou de planifier un attentat. Ramon Spaaij, chercheur spécialiste en terrorisme à l'université de Victoria (Australie), a créé une base de données recensant 88 loups solitaires identifiés ayant perpétré des attentats dans quinze pays entre 1968 et 2010. Ce qu'il a constaté devrait dissiper quelque peu la peur associée aujourd'hui aux loups solitaires et, en même temps, les programmes gouvernementaux de plus en plus complexes et exagérément zélés sur le sujet.
Ramon Spaaij a identifié au total 198 attaques perpétrées par ces 88 individus, soit seulement 1,8 % des 11 235 incidents terroristes recensés de par le monde. Etant donné que les loups solitaires ne disposent généralement pas du savoir-faire nécessaire à la fabrication de bombes (comme l'a fait Unabomber), ils s'en remettent habituellement aux armes à feu et attaquent des cibles faciles dans des zones à forte densité humaine, ce à quoi les forces de l'ordre répondent rapidement. Par conséquent, Spaaij a constaté que le taux de mortalité moyen était de 0,062 mort par attaque, alors que les terroristes issus de groupes causaient en moyenne 1,6 décès par attentat.
Aux Etats-Unis, 136 personnes sont décédées suite à un attentat perpétré par un terroriste isolé entre 1940 et 2012. Bien que chaque décès soit une tragédie indéniable, ce total reste infime par rapport aux 14 000 meurtres signalés tous les ans par le FBI lors des cinq dernières années. En d'autres termes, les loups solitaires ne devraient pas vous empêcher de dormir. En tant qu'Américain, vos chances d'être victime d'un acte terroriste de tout type est tout d'abord infinitésimale. Vous avez en fait quatre fois plus de chances de mourir foudroyé. Au contraire, le fait d'élever le loup solitaire au statut de menace existentielle par Washington crée un sentiment de peur et pousse le gouvernement à aller trop loin, et c'est justement ce type de réaction que les auteurs de ces attentats cherchent à provoquer.
Loup solitaire ≠ musulman
En décembre, au cours de la prise d'otages orchestrée dans un café de Sydney (Australie) par Man Haron Monis, un immigré iranien, l'ex-directeur adjoint de la CIA Michael Morell avait cette sombre prédiction : « Nous allons voir ce type d'attentats sur notre territoire », a-t-il déclaré dans l'émission « CBS This Morning ». « Il ne serait pas surprenant que cela arrive ici-même à un certain moment au cours de l'année à venir, je vous le garantis. »
Cette déclaration est un exemple typique de la récente escalade rhétorique des fonctionnaires et anciens fonctionnaires de l’appareil étatique de sécurité nationale au sujet de ce genre de terreur. Mais la prédiction de Morell n'en était pas du tout une. De telles attaques ont bien lieu ici-même. Une affaire similaire a été résolue par exemple il y a un peu plus d'un mois. La veille d'Halloween, Eric Matthew Frein a été appréhendé suite à des recherches intensives dans les Poconos, en Pennsylvanie, après avoir tiré en septembre sur deux policiers à l'extérieur d'une caserne de police avec un fusil de précision. Le caporal Bryon K. Dickson II n'a pas survécu tandis que l'agent Alex T. Douglass a été blessé. Frein, que les autorités ont d'abord défini comme un « survivaliste anti-gouvernemental », a finalement été inculpé de deux chefs de terrorisme après avoir déclaré à la police que les fusillades étaient un moyen de « réveiller les gens ». Les autorités ont également découvert une lettre qu'il avait écrite à ses parents, indiquant qu'il voulait « mettre le feu » car seule « une autre révolution pourra nous ramener les libertés dont nous jouissions autrefois ».
Ce type de violence individuelle, qu'elle soit étiquetée terroriste ou non, n'est pas nouveau. Cette violence a été traitée pendant des décennies sans que l'on observe la panique, les campagnes de peur et les mesures constatées aujourd'hui. Après tout, selon l'étude de Ramon Spaaij, entre 1968 et 2010, 45 % de l'ensemble des attaques terroristes individuelles enregistrées dans les quinze pays de l’étude se sont produites aux Etats-Unis.
Cependant, comme Spaaij et son partenaire de recherche Mark Hamm l'ont découvert, ces chiffres sont clairement gonflés. La raison est simple : on y inclut de nombreux exemples d'actes terroristes « individuels » inspirés par l'idéologie de type al-Qaïda résultant, en réalité, de complots instigués par les forces de l'ordre ou réalisés avec leur aide. Spaaij et Hamm ont constaté qu'au moins quinze d'entre eux ont eu lieu entre 2001 et 2013. Dans ces cas, un terroriste « solitaire » aurait effectivement été en relation avec un informateur du gouvernement ou un agent infiltré, et souvent dirigé ou encouragé par celui-ci. Ceci équivaut à environ 25 % des attaques de loups solitaires commises aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, bien que l'étiquette ne soit guère appropriée dans les circonstances. Il s'agit pour l'essentiel de pièges tendus par le gouvernement qui non seulement gonflent le nombre d'occurrences du terrorisme individuel aux Etats-Unis, mais dirigent également de manière disproportionnée l'attention des forces de l'ordre vers les communautés musulmanes américaines.
L'affaire Rezwan Ferdaus, un musulman américain de 26 ans originaire du Massachusetts, en est un exemple flagrant. Le FBI l'a arrêté en 2011 pour avoir conspiré avec des agents infiltrés pour construire des drones chargés d'explosifs censés être largués sur le Pentagone et le Capitole à partir d'avions télécommandés. Il s'agissait en réalité d'un complot concocté par le gouvernement et Ferdaus n'était pas un loup solitaire. (Il était incapable d'envisager cette attaque ou de la réussir seul.) Le FBI a ignoré des signes clairs indiquant que sa cible n'était pas un terroriste mais un individu atteint d'une maladie mentale dont l'état de santé se détériorait rapidement. Cependant, les forces de l'ordre et les médias l'ont désigné à maintes reprises comme un loup solitaire. Accusé d'avoir apporté un soutien matériel à des terroristes, il a été condamné en 2012 à dix-sept ans de prison.
En revanche, lorsque celui qui apparaît comme un loup solitaire ne fait pas partie d'une minorité musulmane ou autre, le gouvernement, les médias et les experts en sécurité lui attribuent rarement l'étiquette alarmiste de terroriste. Prenez par exemple James von Brunn, un suprémaciste blanc qui a tué un agent de sécurité au musée du mémorial de l’Holocauste des Etats-Unis. Selon le département de la Sécurité intérieure, cet acte n'avait aucun lien avec le terrorisme, même s'il avait été perpétré par conviction idéologique, ainsi que l'a reconnu un agent du FBI.
Ou encore Francis Grady, qui a tenté d'incendier une clinique d'avortement Planned Parenthood à Grand Chute, Wisconsin, en 2012, car « ils y tuent des bébés », comme il l'a déclaré à un juge de la cour fédérale des Etats-Unis. Grady n'a pas non plus été accusé de terrorisme. Lorsqu’on lui a demandé la raison, le procureur adjoint William Roach a indiqué que Grady avait essayé d'incendier une salle inoccupée dans un bâtiment vide.
Comparez ces réactions à l'affaire Zale Thompson, un homme afro-américain atteint de troubles mentaux qui a attaqué quatre policiers à la hachette à New York en octobre. Un jour seulement après l'attaque, le commissaire de police Bill Bratton a déclaré : « Je peux dire sans problème qu'il s'agissait certainement d'une attaque terroriste ». Preuve apparente : Thompson s'était récemment converti à l'islam et avait consulté des sites web affiliés à des groupes terroristes comme al-Qaïda et l'Etat islamique.
Ainsi que l'a souligné Glenn Greenwald, « "terrorisme" est à la fois le mot le plus insignifiant et le plus manipulé du lexique politique américain ». On peut dire la même chose du loup solitaire. Sans surprise, ce terme est désormais devenu essentiellement synonyme de musulman, et c'est à peu près tout. Un terme qui stigmatise les musulmans américains et qui en fait la cible des méthodes abusives des forces de l'ordre, dont des opérations d'infiltration telles que celles réalisées par le FBI et une surveillance massive et intrusive. Comme on pouvait s'y attendre, un chercheur spécialisé dans le terrorisme a défini les loups solitaires comme des « individus poursuivant individuellement des objectifs terroristes à caractère islamiste ». En réalité, les musulmans n'ont pas davantage le monopole sur ce type de terrorisme que sur le terrorisme en général.
Des réponses contre-productives
A l'heure actuelle, la réponse à tout ce raffut autour du loup solitaire, comme tant d'autres choses au cours des dernières années, nous fait progresser lentement vers un Etat policier. L’une des réponses du gouvernement, aujourd'hui de nouveau mise en valeur, vient avec son propre acronyme (évidemment) : CVE, ou « countering violent extremism » (« lutter contre l'extrémisme violent »).
Le programme, annoncé en 2011, vise à travailler en partenariat avec les collectivités (en pratique, presque exclusivement les communautés musulmanes) au nom de la prévention du terrorisme. Les communautés sont appelées à y participer en créant des espaces sûrs où les individus peuvent discuter de politique et de religion sans qu'ils aient à craindre la présence dissimulée d'agents du gouvernement. Toutefois, les membres de ces mêmes communautés sont ensuite encouragés à rapporter aux autorités ce qui a été dit et par qui dans le but d’identifier les individus susceptibles de devenir des extrémistes violents, seuls ou de concert avec d'autres. Les communautés musulmanes américaines ont déjà connu les coups montés du gouvernement et les infiltrations d'informateurs, et il ne semble pas y avoir une énorme différence entre demander à leurs membres de rendre des comptes aux autorités et être infiltrées directement par des agents de l’Etat.
Si l'objectif de la stratégie CVE est de renforcer les capacités des communautés à prévenir la violence et le terrorisme, individuel ou autre, alors des organes gouvernementaux comme le département de la Santé et des Services sociaux ou celui de l'Education devraient être en tête de file. Ces organes pourraient fournir des services sociaux et de santé mentale ainsi que des ressources éducatives, et ce à toutes les communautés, sans stigmatiser en particulier celles qui sont fondées sur un caractère religieux, racial ou ethnique. Au lieu de cela, et sans surprise, la Maison Blanche a chargé le département de la Sécurité intérieure, le département de la Justice et le FBI de l'exécution de ses programmes CVE, tout en soulignant le rôle de coordination des bureaux des procureurs locaux. Les communautés musulmanes américaines se méfient à juste titre de cet arrangement, compte tenu notamment de la façon dont les autorités ont récemment identifié les croyances religieuses comme étant la base de leur suspicion, et du fait, du moins dans le cas du FBI, qu’elles ont déjà monté des complots terroristes ciblant les malades et les plus vulnérables.
D'autres solutions proposées pour s'attaquer à ce problème des « loups solitaires » sont encore plus hasardeuses.
Dans un livre publié récemment, Jeffrey Simon, ancien analyste de la RAND Corporation, propose un inventaire de stratégies technologiques possibles dans le but d'identifier le loup déguisé en mouton avant qu'il n'attaque. Ces stratégies sont typiques de notre temps : généraliser l'utilisation de caméras de surveillance intelligentes connectées à Internet, procéder à une surveillance des usages d'Internet et des médias sociaux de manière active et insoupçonnable. Jeffrey Simon propose une autre approche de plus en plus populaire, qui consiste à étendre la collecte de données biométriques ; le gouvernement collecterait ainsi les caractéristiques biologiques propres à chaque individu, telles que les dimensions du visage et l'ADN, sans aucune preuve d'actes répréhensibles.
Il convient de noter que cette approche, qui est typique de la direction prise par l'appareil étatique de sécurité nationale et les forces de l'ordre au cours de ces dernières années, représenterait une violation fondamentale des acquis d'une société libre. Ces « contre-mesures » devraient vous faire froid dans le dos. Ce que Jeffrey Simon semble reconnaître : « Il faudra réfléchir aux questions de confidentialité, et notamment savoir si les gens souhaitent que leurs expressions faciales, leurs mouvements oculaires, leur rythme cardiaque et respiratoire ainsi que d'autres caractéristiques soient enregistrés par des capteurs sophistiqués partout où ils vont pour que d'autres prennent une décision au sujet de ce qu'ils pourraient avoir l'intention de faire. »
Si les Américains donnent aux organes gouvernementaux la possibilité de recueillir ces renseignements intimes pour découvrir si l'un d'entre eux est un potentiel loup solitaire, la menace d'une annihilation de la vie privée, entre autres, devrait sauter aux yeux. Le résultat serait à la fois un monde orwellien et un monde sans espoir en termes de sécurité. Il est déjà clair qu'aucune de ces « solutions » technologiques coûteuses et sophistiquées ne fonctionnera. Des conduites totalement innocentes (les « faux positifs ») écraseront les conduites réellement menaçantes. Certaines de ces approches, comme les caméras de surveillance, peuvent aider à mettre le doigt sur l'auteur d'un crime après que celui-ci a été commis, tandis que d'autres, comme chercher à identifier un individu prêt à commettre un acte de terrorisme sur la base de son langage corporel, ne contribueront qu'à perpétuer la comédie sécuritaire que le gouvernement met en scène depuis le 11 septembre.
Néanmoins, l'inefficacité d'un Etat de sécurité intrusif n'empêchera pas ses partisans de faire pression pour obtenir davantage de puissance et de méthodes de contrôle toujours plus intrusives. « Nous devons mettre [...] de côté [...] toutes les bonnes âmes, toutes les personnes politiquement correctes qui disent que nous ne pouvons pas mettre l'accent sur une communauté plutôt que sur une autre », a déclaré à la radio le membre du Congrès Peter King. Avant d’ajouter que la menace « provient de la communauté musulmane, ce qui montre que [la police de New York] et [l'ancien commissaire de police] Ray Kelly avaient raison depuis tant d'années de saturer complètement les zones qu’ils soupçonnaient comme étant l’origine de la menace ».
Le programme auparavant secret de la police de New York auquel Peter King se réfère (mis en œuvre du Connecticut à la Pennsylvanie) n'a jamais donné lieu à la moindre piste de terrorisme, encore moins à une condamnation. Ce programme a eu du « succès » sur un seul point : il a poussé les communautés musulmanes américaines de la région métropolitaine à se sentir en état de siège et a détruit la relation de confiance entre celles-ci et la police.
Comme le montre Peter King, ceux qui s'engagent à protéger nos vies et nos libertés sont souvent les mêmes qui crient au loup. Avec ces bergers-là pour garder le troupeau, les loups pourraient bien être hors sujet.
- Matthew Harwood est auteur et rédacteur en chef de l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) et titulaire d'un Master en Sécurité internationale obtenu à l'université de St. Andrews, en Ecosse. Ses écrits ont été publiés par Al Jazeera America, The American Conservative, The Guardian, Guernica, Salon, War is Boring et The Washington Monthly.
Copyright 2015 Matthew Harwood. Cet article est paru pour la première fois sur TomDispatch.com.
Légende photo : Aéroport national Ronald Reagan, 26 novembre 2014 – Un voyageur se dirige vers un poste de sécurité de la Transportation Security Administration (TSA) avant d'embarquer (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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