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Comment l’emprise israélienne sur Jérusalem a détruit ses sites les plus sacrés

La décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël sert à légitimer la discrimination contre les Palestiniens en Terre sainte et approfondit un processus de nettoyage ethnique au ralenti dont les origines remontent à la Nakba

La reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël il y a deux semaines a été un coup d’éclat diplomatique d’une ampleur sans précédent pour le gouvernement israélien.

Depuis des décennies, les responsables israéliens soutiennent que « seul un Israël libre et démocratique protégera les lieux saints de toutes les grandes religions à Jérusalem » et que la ville mériterait donc d’être sous son contrôle.

Dans la foulée de la décision de Trump, les commentateurs israéliens ont inlassablement répété cette affirmation mot pour mot dans les principaux médias, faisant écho au discours du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou selon lequel Israël a garanti aux chrétiens, aux musulmans et aux juifs l’accès à leurs lieux sacrés dans la vieille ville de Jérusalem. 

Démolition à grande échelle       

L’affirmation selon laquelle Israël garantit les droits d’existence et de culte des religions abrahamiques à Jérusalem n’a cependant de sens que pour des observateurs qui, de toute évidence, ne connaissent pas l’histoire de l’occupation de Jérusalem par Israël depuis 1967.

Depuis sa prise de contrôle de la ville, Israël se livre à une démolition à grande échelle de sites sacrés, détruit des quartiers historiques entiers, déplace des habitants dont les origines dans la ville remontent à plusieurs générations et impose des restrictions généralisées contre le droit d’accès des fidèles musulmans et chrétiens à leurs lieux saints. 

Les autorités israéliennes ont séparé la ville de son arrière-pays palestinien en imposant un système complexe de postes de contrôle militaires et de permis, empêchant ainsi l’accès à ces sites à des communautés dont l’identité est fondée sur ces lieux saints.

Par conséquent, la majorité des musulmans et des chrétiens palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ne peuvent accéder à la ville et à ses lieux saints.

Des Palestiniens se dirigeant vers la mosquée al-Aqsa traversent un check-point israélien entre la ville cisjordanienne de Bethléem et Jérusalem, le 2 juin 2017 (AFP)

En 2011, un rapport établi par le département d’État américain a décrié les restrictions israéliennes contre la liberté de culte des Palestiniens : « Les fermetures et les couvre-feux stricts imposés par le gouvernement israélien ont affecté négativement la capacité des habitants à pratiquer leur religion dans les lieux saints, notamment l’église du Saint-Sépulcre et la mosquée al-Aqsa à Jérusalem, ainsi que la basilique de la Nativité à Bethléem. »

En raison des restrictions israéliennes, il est aujourd’hui plus facile pour un chrétien de n’importe quel endroit sur Terre de se rendre à Jérusalem que pour un chrétien palestinien vivant à Bethléem, à quinze minutes de là.

Un « nettoyage ethnique » au ralenti

Dans le même temps, les habitants palestiniens de Jérusalem ont des droits sociaux et politiques limités, alors même que leurs voisins juifs jouissent pleinement de leurs droits en tant que citoyens d’Israël. Par exemple, en vertu de la politique israélienne dite du « centre de vie », les Palestiniens doivent prouver chaque année que Jérusalem est le centre de leur vie ; s’ils ne le font pas pendant sept années consécutives, leur droit de résidence peut être révoqué et ils seront contraints à l’exil permanent sans droit au retour.

Human Rights Watch signale que près de 15 000 Palestiniens ont ainsi été expulsés de la ville.

La majorité des musulmans et des chrétiens palestiniens de Cisjordanie ne peuvent accéder à la ville et à ses lieux saints

Ceux qui parviennent à rester sont quant à eux confrontés à une variété déconcertante de restrictions. Le rapport du département d’État américain précise que des « barrières insurmontables » privent les Palestiniens vivant à Jérusalem de choses aussi simples que l’obtention d’un permis de construire ou la possibilité de faire des réparations dans leur propre maison, tandis que la tenue de ces travaux sans la permission des autorités israéliennes engendre la démolition immédiate des logements palestiniens.

Ces restrictions sont liées à la politique à plus large échelle de « judaïsation de Jérusalem » entreprise par les autorités israéliennes, qui vise à ce que la ville maintienne une majorité juive de 70 % contre 30 %. Étant donné que les Palestiniens ont constitué historiquement la majorité des habitants de Jérusalem, cette politique a entraîné ce que les détracteurs décrivent comme un nettoyage ethnique au ralenti.

Un quartier effacé

Ces politiques ne sont pas nouvelles ; elles ont commencé au premier jour de l’occupation de Jérusalem par Israël.

De nos jours, on ne se souvient guère du fait que l’arrivée de l’armée israélienne à Jérusalem a été accompagnée de la démolition de deux quartiers historiques : le quartier marocain et le quartier syriaque.

L’histoire du quartier marocain remonte au XIVe siècle ; il aurait été fondé par le fils de Salah ad-Din quelques années après la libération de Jérusalem des croisés. Comme l’a établi l’historien Thomas Abowd, ce quartier est devenu le lieu d’accueil de pèlerins musulmans marocains qui se sont installés à Jérusalem au fil du temps.

Photo prise après l’assaut des forces israéliennes dans le complexe d’al-Aqsa en septembre 2015, après les prières de l’aube (MEE)

Contigu au Mur des Lamentations, le quartier marocain était un site important pour la coexistence religieuse qui caractérisait depuis longtemps les relations entre musulmans et juifs en Palestine.

Les fidèles juifs traversaient les ruelles du quartier majoritairement musulman pour atteindre l’un des sites les plus sacrés du judaïsme, tandis que les musulmans passaient le Mur des Lamentations pour rejoindre la mosquée al-Aqsa située juste au-dessus.

Lorsqu’Israël a occupé Jérusalem en 1967, le quartier marocain a été sa première cible.

Les habitants n’ont eu que deux heures pour partir ; plusieurs centaines d’entre eux ont fui avec quelques effets personnels sous la surveillance de l’armée israélienne, qui a immédiatement commencé à « nettoyer » le secteur. Israël a démoli des centaines de maisons ainsi que plusieurs sanctuaires islamiques et tué certains habitants qui n’avaient pas évacué les lieux à temps.

À LIRE : « Nettoyage ethnique » : comment Israël chasse les Palestiniens du Grand Jérusalem

Cette horrible destruction du tissu urbain de Jérusalem a privé 650 Palestiniens d’un toit et a permis la création de la place du Mur des Lamentations, qui est aujourd’hui un lieu de culte juif de premier plan. Le fait que cela ait été accompli en détruisant des centaines d’habitations palestiniennes est aujourd’hui totalement oublié.

La deuxième cible d’Israël a été le quartier syriaque. Ce quartier abritait des réfugiés chrétiens qui ont fui les massacres de masse orchestrés contre les Assyriens dans l’Empire ottoman à la fin des années 1910, ainsi que contre les Arméniens

Ces chrétiens syriaques sont devenus une partie intégrante de la société palestinienne dans les décennies qui ont suivi en construisant des maisons autour d’une église syriaque ancienne dans la vieille ville. 

L’histoire de Joseph Khano

Lorsqu’Israël a envahi Jérusalem en 1967, beaucoup de gens terrorisés ont fui de chez eux. Des centaines de personnes sont à nouveau devenues des réfugiés lorsque les autorités israéliennes se sont progressivement emparées des propriétés du quartier afin d’agrandir le quartier juif voisin, qui a gonflé jusqu’à atteindre trois fois sa superficie d’origine au détriment de ses voisins chrétiens palestiniens. 

Ces syriaques qui ont fui Jérusalem se sont vu révoquer leur droit de résidence et leur droit au retour ; beaucoup de ceux qui sont restés sont quant à eux partis en exil au fil du temps, poussés par ces mêmes politiques israéliennes qui ont rendu la vie à Jérusalem insupportable pour les Palestiniens.

La vie de Joseph Khano, un syriaque de Jérusalem que j’ai interviewé, illustre les ravages causés par l’occupation israélienne pour les syriaques palestiniens.

Les parents de Khano ont fui les massacres de masse en Turquie ottomane pour trouver refuge en Palestine ; il a grandi à Katamon, un riche quartier palestinien de Jérusalem-Ouest. 

En 1948, les milices sionistes ont expulsé tous les Palestiniens de Jérusalem-Ouest ; ils faisaient alors partie des 750 000 Palestiniens chassés de chez eux suite à la création d’Israël. Sa famille s’est réfugiée dans la vieille ville de Jérusalem-Est, passée sous contrôle jordanien.

Ils ont trouvé refuge dans le monastère Saint-Marc, une église syriaque située au cœur du quartier qui daterait du Ve siècle.

Célébrations du samedi de la Lumière à Bethléem (MEE/Alex Shams)

Au moment de l’invasion israélienne de 1967, Khano voyageait au Liban ; par conséquent, il lui a été interdit de revenir, pour toujours. Il a seulement réussi à revenir en traversant le Jourdain à la nage et en soudoyant des responsables israéliens. Il a eu de la chance : en 1967, 300 000 Palestiniens ont fui de chez eux et sont devenus des réfugiés, et la grande majorité d’entre eux n’ont plus le droit de revenir.

Aujourd’hui, le quartier syriaque est une coquille vide, la majorité de ses maisons ont été prises par les autorités israéliennes et ses habitants palestiniens ont été remplacés par des colons israéliens.

Al-Aqsa menacée

La destruction par Israël du quartier marocain et du quartier syriaque de Jérusalem en 1967 révèle que la destruction du tissu urbain historique de la ville, celle de ses lieux saints et celle de son caractère palestinien vont de pair depuis le début de l’occupation militaire de la ville.

Ces menaces contre les lieux saints palestiniens n’appartiennent pas simplement au passé. Au cours de la dernière décennie, Israël a autorisé des fouilles sous la mosquée al-Aqsa qui ont entraîné une série d’effondrements d’habitations et d’affaissements qui menacent les habitations voisines.

Les Palestiniens craignent que ces fouilles, liées à une tentative d’agrandissement d’un parc à thème consacré à l’histoire juive – la Cité de David, construite sur des terres confisquées aux Palestiniens dans le quartier hiérosolymite de Silwan –, ne menacent l’intégrité de la structure d’al-Aqsa. 

Les inquiétudes portant sur les fouilles sont aggravées par la destruction répétée par les autorités israéliennes de sites islamiques situés dans les environs d’al-Aqsa. En 2016, l’Autorité des antiquités d’Israël a démoli plusieurs tombes historiques dans un cimetière voisin.

De même, au cours des dernières décennies, de vastes parties du cimetière hiérosolymite de Mamilla ont été rasées et des centaines de tombes ont été détruites afin de construire – croyez-le ou non – un « musée de la tolérance ». 

Avec son système de permis et de check-points, Israël refuse de respecter le droit des fidèles palestiniens, tant chrétiens que musulmans, d’accéder à leurs lieux saints. L’État opère une discrimination systématique à l’encontre de ses habitants palestiniens dans le cadre de ses politiques de judaïsation de Jérusalem. 

La décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël sert à légitimer la discrimination contre les Palestiniens en Terre sainte et approfondit un processus de nettoyage ethnique au ralenti dont les origines remontent à la Nakba de 1948.

- Alex Shams est un auteur irano-américain, doctorant en anthropologie à l’Université de Chicago (@UChicago). Basé auparavant en Palestine, il a également occupé le poste de rédacteur au sein de l’agence de presse @MaanNewsAgency.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : les forces israéliennes dans l’enceinte de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem (MEE/Mahfouz Abu Turk).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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