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Comment Trump prive le Moyen-Orient d’un processus et de perspectives de paix

« Allez-y, occupez-nous. Nous vous appartenons tous. Nous sommes 5,79 millions de personnes sous votre responsabilité », devrait désormais dire Mahmoud Abbas. Il n’a plus rien d’autre à faire

Lorsque Israël a planifié le blocus de Gaza après que le Hamas a remporté les élections et pris le contrôle de l’enclave en janvier 2007, un conseiller du Premier ministre israélien de l’époque, Ehud Barak, a formulé ce que peu de gens ont osé dire depuis. 

« L’idée est de mettre les Palestiniens au régime, mais pas de les faire mourir de faim », a déclaré Dov Weisglass. La brutalité de Weisglass mettait le doigt où ça faisait mal et était trop directe pour les États-Unis, les gouvernements donateurs, les Nations unies et les groupes d’aide internationaux, qui ont toutefois appliqué à peu près le même principe. 

L’aide internationale a maintenu les Palestiniens en vie mais les a empêchés de vivre. C’est de l’aide qui n’était pas vouée à aider.

Préoccupations sécuritaires

C’est pourquoi Benyamin Netanyahou a tout d’abord tenu sa langue lorsque Donald Trump a annoncé sa décision de mettre fin à tout financement américain de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA, agence créée en 1949 pour faire face au déplacement massif de 700 000 réfugiés lors de la « Nakba ») et de ne reconnaître qu’un dixième des cinq millions de réfugiés en vie aujourd’hui.

De même, les services de renseignement israéliens ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme suite à la décision de Trump. Le Shin Bet et le cabinet de sécurité israélien ne sont pas des libéraux refoulés. Ils n’ont aucun sentiment de culpabilité caché pour le sort des Palestiniens.

L’aide internationale a maintenu les Palestiniens en vie mais les a empêchés de vivre

Comme la plupart des Israéliens, ils n’ont pas vu la contradiction inhérente au fait de s’opposer à la présence d’une quatrième génération de réfugiés palestiniens tout en revendiquant un droit de naissance juif sur la terre d’Israël qui s’étend sur des centaines de générations.

Comme Netanyahou, ils ont accusé l’UNRWA d’avoir un intérêt institutionnel à perpétuer le problème des réfugiés et, comme Netanyahou, ils ne pouvaient plus tolérer un droit au retour des Palestiniens, même symbolique.

Non, leurs préoccupations étaient fondées sur la sécurité – principalement celle d’Israël. Si les écoles de l’UNRWA ne parvenaient pas à ouvrir à temps cet automne, si des milliers d’adolescents étaient condamnés à traîner autour des camps en n’ayant pas grand-chose d’autre à faire que de ramasser des pierres, les soldats israéliens se trouveraient dans la ligne de mire. La politique consiste à maintenir les conditions propices à l’occupation la moins chère possible. Les conflits coûtent cher.

Des Palestiniens protestent contre la décision américaine de couper le financement de l'UNRWA, à Beit Hanoun, dans la bande de Gaza, le 4 septembre 2018 (MEE/Mohammed al-Hajjar)

Le Shin Bet et le cabinet de sécurité israélien ont donc rappelé à leur Premier ministre qu’ils dépendaient de la coopération en matière de sécurité avec l’Autorité palestinienne (AP) et qu’il n’était pas dans l’intérêt d’Israël de pousser l’économie palestinienne dans le précipice et de raviver les protestations à la frontière de Gaza.

Dimanche soir, leur exaspération envers Netanyahou a fait surface. La chaîne israélienne Channel 10 a publié un reportage de Barak Ravid indiquant que Netanyahou avait rompu avec la politique de soutien au financement de l’UNRWA dans une lettre envoyée en privé à la Maison-Blanche il y a deux semaines. Il l’a fait « sans aucune consultation notable auprès des responsables des FDI [l’armée israélienne] et des services de sécurité et de renseignement israéliens ».

Netanyahou a court-circuité son propre comité ministériel sur des questions de sécurité nationale. Selon le reportage, ils ont été pris par surprise.

L’hypocrisie arabe

Pour l’essentiel, ils accusaient Trump d’être plus catholique que le pape, mais aussi d’être si pressé de tuer Jérusalem-Est en tant que capitale d’un État palestinien et d’enterrer le problème des réfugiés qu’il risquait de mener à sa perte l’ensemble du projet, qui consiste à établir l’intégralité des revendications territoriales d’Israël comme des faits sur le terrain.

Le raisonnement de Trump était plus cru que cela. Comme l’a déclaré son ambassadrice à l’ONU Nikki Haley, le président palestinien Mahmoud Abbas crache dans la soupe en refusant de négocier et en embarrassant les États-Unis et Israël à l’ONU. 

Les agissements de Trump compliquent effectivement la vie de ses alliés arabes. Il dénonce leur hypocrisie en les accusant de toujours se précipiter pour défendre leurs frères palestiniens sans réellement parvenir à leur venir en aide

« Les Américains sont des gens très généreux. Nous sommes orientés vers l’humanitaire. Nous continuons de chercher des moyens d’aider le peuple palestinien, dont la situation est vraiment préoccupante pour nous. Mais nous ne sommes pas des imbéciles. Si nous tendons la main en signe d’amitié et de générosité, nous ne nous attendons pas à ce qu’on nous la morde. Et lorsque nous tendons la main, nous nous attendons également à ce que les autres fassent de même », a déclaré Haley au Conseil de sécurité de l’ONU.

Trump en compagnie du roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz à Riyad (Reuters)

Les agissements de Trump compliquent effectivement la vie de ses alliés arabes. Il dénonce leur hypocrisie en les accusant de toujours se précipiter pour défendre leurs frères palestiniens sans réellement parvenir à leur venir en aide. L’an dernier, l’Arabie saoudite a consacré 2 000 fois plus de ressources à l’achat d’armes américaines qu’au financement d’écoles palestiniennes.

Le royaume a signé des accords d’intention d’une valeur de 110 milliards de dollars avec les États-Unis pour des armes, alors qu’il n’a consacré que 51 millions de dollars à l’UNRWA, ne se hissant qu’au sixième rang des donateurs derrière le Royaume-Uni. Trump dénonce l’hypocrisie arabe comme aucun président américain ne l’a jamais fait auparavant.

Trump, un véritable danger

Il mijote également une crise interne pour deux pays arabes alliés, la Jordanie et le Liban. La stabilité intérieure des deux pays passe par le maintien de la définition du terme de réfugié palestinien. Une fois que Trump aura démantelé l’UNRWA, des millions de réfugiés perdront non seulement leurs écoles, leurs services de santé et leur aide au revenu, mais aussi leur statut et leur identité.

Cependant, ils ne s’évaporeront pas dans la nature. Privés de leur rêve de retour en Palestine et peu enclins à rester là où ils se trouvent, où iront-ils alors ? Leur destination évidente serait l’Europe au nord.

Trump fait une faveur aux Palestiniens en faisant tomber les piliers, en détruisant tout le simulacre et en effaçant tout le maquillage qui a été posé sur le processus d’Oslo

Comment l’Allemagne et la France feraient-elles face à une nouvelle vague de réfugiés qui se dirigeraient vers les côtes européennes ? Cette possibilité n’est pas lointaine si le statu quo dans les camps palestiniens est rompu à jamais. 

Il est facile de voir pourquoi le président américain n’a jamais été en mesure de publier l’« accord du siècle ». Plus des détails sont révélés, plus ceux qui sont disposés à y inscrire leur nom se font rares. En Asie, Trump a rencontré le dirigeant nord-coréen pour un sommet sans apporter de plan. Au Moyen-Orient, il a un plan qui ne pourra jamais se concrétiser en un sommet. Dans les deux cas, Trump présente un véritable danger.

Une faveur aux Palestiniens

Il y a un seul avantage au chaos que Trump cause au conflit central et dominant du Moyen-Orient. Et celui-ci ne doit pas être sous-estimé. Trump fait une faveur aux Palestiniens en faisant tomber les piliers, en détruisant tout le simulacre et en effaçant tout le maquillage qui a été posé sur le processus d’Oslo.

Tout ce qui maintient depuis des décennies le mythe selon lequel un jour, dans un avenir radieux, un État palestinien pourrait naître pacifiquement à la suite de négociations, est désormais en train de disparaître. L’espace physique propice à sa création fond comme neige au soleil.

Jeunes Palestiniens en deuil à l’hôpital al-Shifa dans la bande de Gaza, en juillet, après la mort de deux adolescents lors d’un raid israélien (AFP)

En un rien de temps, Trump a anéanti Jérusalem-Est, 4,5 millions de réfugiés palestiniens et leur droit au retour et « éjecté [l’UNRWA] de la table ». Il en va de même pour un État palestinien, selon Netanyahou. Que doivent donc faire les Palestiniens désormais ? Sanctionner Israël est un acte antisémite. L’attaquer est un acte terroriste. Pour un député arabe à la Knesset, écrire une lettre à un grand journal occidental comme le Guardian pourrait être considéré comme un acte de trahison. 

Inversement, il est désormais légal pour les colons de s’emparer de terres palestiniennes, même si elles appartiennent à des propriétaires privés, tant qu’ils le font « de bonne foi ». En effet, la nouvelle loi fondamentale emploie des mots aussi brutaux que ceux que Weisglass a utilisés, stipulant que la colonisation est un impératif moral de l’État juif.

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Que doivent faire les Palestiniens qui s’en tiennent exclusivement à des moyens non violents pour défendre leurs droits qui disparaissent ? Quel est désormais le but de l’Autorité palestinienne ? Devrait-elle continuer d’exister en tant que sous-traitante de la sécurité israélienne ? Je ne suis pas sûr que cette issue ait l’air très attrayante.

La seule réponse à avoir lorsque tout votre dossier de réclamations est « éjecté de la table », emportant vos terres, vos oliveraies, vos maisons, vos écoles, votre eau, votre histoire, vos réfugiés et vos institutions, est sûrement de rendre les clés au commandant militaire israélien le plus proche. 

« Allez-y, occupez-nous. Nous vous appartenons tous. Nous sommes 5,79 millions de personnes sous votre responsabilité », devrait désormais dire Mahmoud Abbas. Il n’a plus rien d’autre à faire. 

David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants palestiniens organisent un rassemblement pro-Fatah à Naplouse (Cisjordanie), le 17 juillet (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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