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L’ambition secrète d’Israël et de l’Arabie saoudite : sur la bonne voie ?

Les liens commerciaux entre Israël et l’Arabie saoudite sont florissants, et ce avant même que le couloir israélo-sunnite ne devienne une réalité

Deux corridors terrestres occupent les esprits des dirigeants et responsables militaires israéliens. L’un est source d’inquiétude, l’autre est source d’espoir : les deux sont connectés et dérivent de la même stratégie.

Le premier couloir terrestre, celui qui inquiète Israël, est ce qu’il appelle le « Croissant chiite ».

Conformément à l’ancien adage selon lequel « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », Israël et l’Arabie saoudite ont accru leurs contacts réciproques

Il résulte des efforts iraniens visant à profiter des guerres civiles en Syrie et en Irak. Téhéran a établi des liens terrestres directs de l’Iran à la Syrie, via des zones contrôlées par les chiites en Irak, puis au Hezbollah, son allié au Liban, lui donnant ainsi accès à la Méditerranée.

L’Iran est l’ennemi à la fois d’Israël et de l’Arabie saoudite. Conformément à l’ancien adage selon lequel « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », les deux pays ont accru leurs contacts réciproques, bien que la plupart se fassent dans le secret et le plus discrètement possible. Ces contacts sont toutefois à l’origine du deuxième couloir.

Relations saoudo-israéliennes : top secret

Officiellement, Israël et l’Arabie saoudite sont encore en guerre. Avec d’autres nations arabes, l’Arabie saoudite a dépêché un petit contingent militaire pour combattre Israël en 1948 et en 1967. Puis le royaume a décrété un embargo pétrolier contre les pays européens et les États-Unis en 1973 pour marquer sa solidarité avec l’Égypte et la Syrie qui combattaient Israël.

L’Arabie saoudite, selon la loi israélienne, est définie comme « un État ennemi ». Cependant, depuis 1981, les rois et princes héritiers d’Arabie saoudite ont renforcé leur implication dans les efforts de paix israélo-arabes. Ils ont ainsi présenté plusieurs plans visant à résoudre le conflit israélo-palestinien.

Le ministre des affaires étrangères saoudien, le prince Saoud al-Fayçal, lors d’une réunion visant à relancer les pourparlers de paix avec Israël en 2002 (AFP)

L’initiative de paix de la Ligue arabe, également connue sous le nom d’« Initiative saoudienne », a été adoptée en 2002 et reconfirmée lors d’une autre réunion du Sommet de la Ligue arabe en 2007.

L’initiative suggère l’instauration de relations normales entre le monde arabe et Israël en échange d’un retrait complet d’Israël des territoires occupés, y compris Jérusalem-Est. Elle propose également un « règlement juste » du problème des réfugiés palestiniens sur la base de la Résolution 194 des Nations unies, adoptée en 1948.

Toutes ces rencontres et réunions sont top-secrètes : les responsables israéliens savent que toute confirmation serait extrêmement embarrassante pour la maison des Saoud

Depuis, les liens entre les deux pays ont évolué autour d’intérêts partagés, en particulier au cours des deux dernières décennies. Plus précisément, les deux pays veulent arrêter les efforts de Téhéran pour produire une bombe nucléaire, ainsi que ses ambitions hégémoniques dans la région, comme l’illustre son implication directe – et indirecte – dans les guerres en Irak, au Yémen et en Syrie.

En conséquence de cette vision stratégique commune, il est arrivé que des officiels et des responsables militaires et du renseignement israéliens rencontrent leurs homologues saoudiens.

Selon certains rapports, les dirigeants du Mossad auraient ainsi rencontré les chefs des services de renseignement et du Conseil de sécurité nationale saoudiens.

Il a également été signalé que l’ancien Premier ministre Ehud Olmert aurait rencontré le prince Bandar ben Sultan lorsqu’il était le chef du renseignement saoudien et, en même temps, le chef du Conseil de sécurité nationale saoudien.

Meir Dagan, directeur du Mossad de 2002 à 2010, a discuté avec les autorités saoudiennes de la possibilité que l’Arabie saoudite permette aux avions israéliens de survoler son espace aérien dans l’éventualité où Israël souhaiterait attaquer les sites nucléaires iraniens.

Meir Dagan, directeur du Mossad de 2002 à 2010, a tenu des réunions de très haut niveau avec ses homologues saoudiens (AFP)

Toutes ces rencontres et réunions sont top-secrètes : les responsables israéliens savent que toute confirmation serait extrêmement embarrassante pour la maison des Saoud.

Que ce soit de la part du Premier ministre Benyamin Netanyahou ou de ses subalternes, on entend uniquement des discours vagues et généraux sur la multiplication des intérêts partagés avec le « monde sunnite ». Toutefois, tous les experts et observateurs savent bien que ces termes sont une référence codée à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, à Bahreïn, à Oman et même au Qatar (qui est actuellement en conflit avec ses voisins du Golfe et l’Arabie saoudite)

De temps en temps, un aparté jette un peu de lumière sur la situation. Lors de sa visite en Pologne le 28 juin, Yariv Levin, ministre israélien du Tourisme, a ainsi déclaré qu’il avait demandé aux États-Unis d’aider les pourparlers entre son ministère et plusieurs États du Golfe.

Les ambitions ferroviaires d’Israël

C’est ici que nous arrivons à cet autre corridor terrestre : le chemin de fer reliant Israël à l’Arabie saoudite, au Qatar, à Oman et aux Émirats arabes unis via la Jordanie.

Israël espère que le port méditerranéen de Haïfa vu sur cette photo renforcera son rôle de passerelle terrestre (AFP)

Israël dispose d’un chemin de fer de 60 kilomètres reliant le port de Haïfa à Beït Shéan, dans la vallée du Jourdain. Il veut prolonger la ligne de 6 kilomètres jusqu’au passage frontalier israélo-jordanien. Cela permettrait de transporter des marchandises en train, plutôt qu’en camion, vers et depuis la Jordanie.

La prochaine étape, selon le plan israélien, est que la Jordanie construise sa propre extension ferroviaire jusqu’à la voie ferrée israélienne. De là, les lignes se dirigeraient vers l’Arabie saoudite et les émirats du Golfe. Les responsables israéliens et jordaniens ont discuté de cette idée il y a trois ans et ont récemment renouvelé ces discussions

Un document publié par le gouvernement israélien, intitulé « Les rails de la paix régionale », décrit Israël comme un « pont terrestre » et la Jordanie comme un « carrefour »

Un document publié par le gouvernement, intitulé « Les rails de la paix régionale », décrit Israël comme un « pont terrestre » et la Jordanie comme un « carrefour ».

Il indique que « l’initiative contribuera à l’économie d’Israël et renforcera l’économie stressée de la Jordanie », en plus de « relier Israël à la région et consolider le camp pragmatique vis-à-vis de l’Iran et de l’axe chiite ».

Le partenariat régional est nécessaire, selon le document, car « les combats en Syrie et en Irak ont ​​dégradé et bloqué les routes de transport terrestre ». Il met également l’accent sur le potentiel d’Israël en tant que « pont terrestre » fournissant un accès à la Méditerranée.

Cela est particulièrement nécessaire dans la mesure où la politique expansionniste de Téhéran constitue une « menace pour les routes maritimes » dans le détroit d’Ormuz, de la mer Rouge et de Bab-el-Mandeb, que les intermédiaires houthis de l’Iran au Yémen aspirent à contrôler.

Trop de bavardages ?

Toutefois, les liens commerciaux entre les deux parties sont florissants, et ce avant même que le couloir israélo-sunnite ne devienne une réalité.

Israël vend des produits agricoles et des technologies de recueil de renseignements, de cybersécurité et de sécurité intérieure à Bahreïn, Oman, au Qatar, à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (le plus grand marché et destinataire étant Abou Dabi).

La plupart des transactions se font par l’intermédiaire d’un tiers comme la Jordanie, l’Irak, le Kurdistan ou Chypre, mais certaines sont menés directement.

Parfois, des produits de l’industrie pétrochimique saoudienne, tels que des matières premières, sont expédiés en Israël via la Jordanie.

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Récemment, il a été suggéré que les avions de la compagnie aérienne nationale israélienne El Al à destination de l’Inde seraient autorisés à traverser l’espace aérien saoudien.

Mais une telle possibilité demeure prématurée. L’Arabie saoudite, en tant que gardienne des sites sacrés de l’islam, aurait du mal à vendre l’idée au public, surtout en l’absence de progrès sur le front israélo-palestinien.

Les liens entre le royaume islamique et l’État juif peuvent être assimilés à une citation de l’essayiste Charles Dudley Warner sur la météo : « Tout le monde s’en plaint, mais personne ne fait rien à ce sujet ».

- Yossi Melman est un commentateur spécialiste de la sécurité et du renseignement israéliens. Il est co-auteur de Spies Against Armageddon.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des étourneaux à la frontière israélo-jordanienne, dans la vallée du Jourdain, le 22 janvier 2017. Israël veut relier son service ferroviaire à celui de la Jordanie (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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