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L’axe des autocrates arabes se range derrière Donald Trump

Trump n’aurait pas pu faire son annonce et ne l’aurait pas faite sans soutiens régionaux

Donald Trump a donc abattu ses cartes au sujet de Jérusalem. Ce faisant, il a laissé tomber tout semblant de capacité des États-Unis à négocier un accord entre Israël et la Palestine. Il ne peut y avoir de « neutralité » désormais. Sans Jérusalem comme capitale, il ne peut exister d’État palestinien. Sans cela, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un nouveau soulèvement ne commence.

Seul un symbole aussi puissant que Jérusalem peut unir des Palestiniens aussi viscéralement opposés les uns aux autres que Mahmoud Abbas du Fatah et Ismaël Haniyeh du Hamas. Seule Jérusalem a le pouvoir d’unir les détenus de toutes les prisons et de tous les lieux d’exil où se trouvent des Palestiniens – les prisons physiques et métaphoriques d’Israël, les Palestiniens de 1948, Gaza, la Cisjordanie, les camps de réfugiés et la diaspora. Seule Jérusalem parle à des milliards de musulmans à travers le monde.

Comme Trump va bientôt l’apprendre, les symboles sont puissants. Ils créent généralement une réalité qui leur est propre.

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Néanmoins, Trump n’agit pas seul. Quel que soit l’électorat national qu’il pense satisfaire – et les chrétiens évangéliques figurent en bonne position sur la liste –, Trump n’aurait pas pu faire son annonce et ne l’aurait pas faite sans soutiens régionaux.

Le soutien du Likoud de Benyamin Netanyahou et des nationalistes religieux du Foyer juif est acquis, mais d’une familiarité lassante. Le soutien étranger exotique et tentant provient d’une nouvelle génération d’enfants gâtés arabes du Golfe – jeunes, irrévérencieux, adeptes du dune bashing et des selfies, rentre-dedans et présents dans tous les coups d’État proches de chez vous.

Sous Trump, ils ont formé un axe d’autocrates arabes dont l’ambition géopolitique est aussi grande que leur portefeuille. Ils pensent réellement qu’ils ont le pouvoir d’imposer leur volonté non seulement aux fragments d’un État palestinien, mais également à la région dans son ensemble.

Du moins dans leur esprit, un réseau d’États policiers modernes est en cours de construction, tous maquillés d’un vernis de libéralisme occidental. Tous voient le Likoud comme leur partenaire naturel et Jared Kushner comme leur interlocuteur discret.

Pensée, réflexion, coopération, consultation et consensus ne sont pas des mots qui figurent dans leur lexique. La démocratie doit être remise à plus tard, la liberté d’expression est là pour être maîtrisée. Et les Arabes ? Ils sont là pour être achetés.

Trump a permis à Mohammed ben Salmane de briser les piliers de l’État saoudien, de dépouiller ses cousins de leurs richesses et de déguiser tout cela en une entreprise de modernisation et de réforme

C’est pourquoi Mohammed ben Salmane, prince héritier et dirigeant de facto du royaume, pensait pouvoir intimider Mahmoud Abbas, le président palestinien mal en point, pour le contraindre à acquiescer. Il a signifié à Abbas qu’il devait soit accepter les termes – pas de Jérusalem, ni de droit de retour –, soit laisser la place à quelqu’un qui le fera, selon de multiples sources citées par le New York Times.

Plusieurs de ces sources ont déclaré que Mohammed ben Salmane avait proposé d’édulcorer l’accord en versant un paiement direct à Abbas, ce qu’il a refusé.

La normalisation des relations avec Israël

Les menaces de Mohammed ben Salmane ont été orchestrées par un chœur d’auteurs et de journalistes saoudiens sous licence qui se sont tous distanciés de la cause palestinienne et qui ont appelé à la normalisation des relations avec Israël.

Le romancier et auteur saoudien Turki al-Hamad figure en première ligne. Pourquoi, s’est interrogé al-Hamad dans un tweet, devrait-il prendre la peine de soutenir la Palestine si les Palestiniens eux-mêmes l’ont vendue ? La Palestine devrait alors ne plus être considérée comme la première cause arabe.

« On a rapporté que j’avais tweeté que Jérusalem n’était pas le problème, a-t-il écrit. Ce n’est pas vrai. Ce que j’ai dit, c’est que la Palestine n’est plus la première cause arabe depuis que son peuple l’a vendue. »

« Mon propre pays a sa propre cause à défendre en matière de développement, de liberté et d’émancipation du passé. Quant à la Palestine, la maison [la Palestine] a un Seigneur [Dieu] qui la protégerait si elle était abandonnée par ses habitants [les Palestiniens]. »

« Depuis 1948, nous souffrons au nom de la Palestine, a-t-il ajouté. Des coups d’État ont été orchestrés au nom de la Palestine [...] Le développement a été suspendu au nom de la Palestine [...] Des libertés ont été réprimées au nom de la Palestine [...] Finalement, même si la Palestine devait revenir, ce ne serait rien de plus qu’un pays arabe traditionnel [...] Cessons donc cette arnaque. »

« En Afrique du Sud, les jeunes ont lutté avant les plus anciens [...] Les Palestiniens l’ont-ils fait, malgré tout le soutien ? Non [...] Je ne soutiendrai pas une cause que le peuple concerné a été le premier à abandonner. »

De nombreuses autres voix saoudiennes vont dans le même sens.

L’auteur et analyste économique Hamzah Muhammad al-Salim a ainsi tweeté : « Une fois la paix conclue avec Israël, ce pays deviendra la première destination touristique de l’Arabie saoudite ».

Sa’ud al-Fawzan a écrit : « Je ne suis pas un défenseur des juifs, mais nommez-moi un seul juif qui a tué un Saoudien et je vous donnerai le nom d’un millier de Saoudiens qui ont tué leurs propres compatriotes avec des ceintures explosives. »

Abd al-Rahman al-Rashed, ancien directeur de la chaîne de télévision Al-Arabiya, a quant à lui écrit : « Il est temps de repenser le concept de notre attitude à l’égard de la Palestine et d’Israël. »

Muhammad al-Sheikh a pour sa part affirmé : « La question de la Palestine n’est pas la nôtre [...] Si un islamiste maquillé vient vous appeler au djihad, crachez-lui au visage. »

Dans un pays où un mauvais tweet peut vous coûter trois ans de prison, il ne s’agit pas là d’expressions spontanées. Celles-ci servent plutôt de musique d’ambiance pour l’annonce faite par Trump.

La région divisée

Voici donc l’axe qui se range derrière Trump, composé des princes héritiers et des dirigeants de facto de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Égypte et de Bahreïn. Mohammed ben Salmane, Mohammed ben Zayed, Abdel Fattah al-Sissi sont tous les trois personnellement dépendants de Trump.

Aucun Palestinien ni aucune Palestinienne, que cette personne soit nationaliste, laïque, islamiste ou chrétienne, ne peut accepter de perdre Jérusalem en tant que capitale, et nous verrons exactement ce que cela signifie dans les jours et les semaines à venir

Ni le blocus contre le Qatar, ni les efforts déployés dans le but de forcer Saad Hariri à démissionner de son poste de Premier ministre au Liban, ni la décomposition du Conseil de coopération du Golfe, accompagnée de la formation d’une alliance militaire et économique entre Saoudiens et Émiratis, n’auraient pu se produire sans le feu vert de Trump.

Trump a permis à Mohammed ben Salmane de briser les piliers de l’État saoudien, de dépouiller ses cousins de leurs richesses et de déguiser tout cela en une entreprise de modernisation et de réforme.

Mais en échange, ils ont également autorisé Trump à imposer son « Muslim ban » et à retweeter le poison des fascistes britanniques contre les musulmans.

Le chaos engendré par ce groupe a créé un écart net avec un autre groupe d’alliés des États-Unis qui ressentent les effets de ces politiques. Le roi Abdallah de Jordanie et Mahmoud Abbas ont tous deux tenté de mettre en garde Washington contre les dangers inhérents à ce que Trump s’apprêtait à annoncer au sujet de Jérusalem. Ils ont l’impression d’être coincés et ils ont perdu leur marge de manœuvre.

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La Jordanie est rejointe par la Turquie, dont le président Recep Tayyip Erdoğan jouit du soutien de tous les partis pour suspendre les relations avec Israël. La Turquie dirige actuellement l’Organisation de la coopération islamique, forte de 57 pays membres.

Les nationalistes se joignent également au tollé. Devlet Bahçeli, chef du Parti d’action nationaliste, parti d’opposition en Turquie, a averti que les États-Unis commettaient une « erreur historique » en décidant de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. « Le complot de Jérusalem est un poignard qui a été brandi pour frapper toutes les choses que nous considérons comme sacrées », a déclaré Bahçeli.

Le troisième groupe, composé de l’Iran, de l’Irak, de la Syrie et du Hezbollah, s’est vu offrir un nouveau cadeau sur un plateau d’argent. Désormais, Trump a donné à l’Iran une énorme opportunité de réparer les dégâts causés par la guerre civile en Syrie vis-à-vis des groupes et nations sunnites, et de proclamer une fois de plus : « Nous sommes avec vous pour Jérusalem ». C’est une invitation que Téhéran acceptera avec enthousiasme.

Le quatrième groupe est un groupe que Trump, Netanyahou, Mohammed ben Salmane ou Mohammed ben Zayed ne peuvent jamais atteindre. Il s’agit des Palestiniens eux-mêmes. Historiquement, ils ne sont jamais aussi puissants que lorsqu’ils sont au plus haut point isolés. C’est cette puissance qui a été démontrée au début des deux premières intifadas. C’est ce qui est apparu au grand jour lorsqu’ils ont contraint Israël à enlever les barrières de sécurité à l’entrée de la vieille ville cet été.

Aucun Palestinien ni aucune Palestinienne, que cette personne soit nationaliste, laïque, islamiste ou chrétienne, ne peut accepter de perdre Jérusalem en tant que capitale, et nous verrons exactement ce que cela signifie dans les jours et les semaines à venir. La capitale israélienne nouvellement proclamée abrite 300 000 Hiérosolymites qui en sont des habitants, mais pas des citoyens, et Trump vient de lancer une grenade en plein milieu.

« Vendredi marquera le trentième anniversaire de la première Intifada. Observez simplement la réaction palestinienne à la vue des murs de la vieille ville, le seul « bien immobilier » qu’il leur restait, illuminés aux couleurs des drapeaux israélien et américain.

- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il est éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : murs de la vieille ville, à Jérusalem-Est, illuminés par la municipalité de Jérusalem avant l’annonce de Trump (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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