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L’espoir du Liban aux Oscars est bel et bien une insulte… aux Palestiniens

Dans L’Insulte, du réalisateur libanais Ziad Doueiri, les Libanais sont décrits comme des personnes toujours bienveillantes, tandis que les Palestiniens sont agressifs et privilégiés

Comme beaucoup de ceux de ma génération qui ont vécu la guerre civile libanaise, j’avais hâte de regarder L’Insulte, un film du réalisateur libanais Ziad Doueiri, qui a récemment offert au Liban sa toute première nomination aux Oscars.

La plupart des spectateurs ont convenu que le film était excellent, juste et équilibré. Après l’avoir vu deux fois, je partage l’avis de mes amis qui avaient prévenu que ce film faisait mal. À mon égard – et à l’égard de quiconque a une goutte de sang palestinien en lui –, ce film est injuste. Il s’agit bel et bien d’une insulte, d’une insulte aux Palestiniens.

Un film injuste envers les Palestiniens

Le film se déroule dans l’actuelle Beyrouth : Yasser, un Palestinien immédiatement reconnaissable par son accent et son nom qui travaille comme contremaître, tente d’imposer une réglementation municipale sur les gouttières à Tony, un mécanicien membre des Forces libanaises (un parti qui prétend représenter tous les chrétiens libanais, malgré les contestations) qui vit à Fassouh, un quartier chrétien de Beyrouth.

Bien que les réglementations municipales soient largement ignorées à Beyrouth, Yasser et Tony se disputent au sujet de la gouttière et Yasser qualifie Tony d’« arsa », ou « sale con », une insulte grave.

Tony demande des excuses à Yasser par l’intermédiaire de son patron. Yasser se rend à l’atelier de Tony pour s’excuser ; il y surprend alors Tony en train d’écouter un discours incendiaire de Bachir Gemayel, chef de milice au cours de la guerre civile, évoquant la « vermine » que sont devenus les Palestiniens au Liban et la nécessité de les expulser.

Au lieu d’excuses, un violent échange a lieu entre Yasser et Tony. Tony hurle à Yasser qu’il aurait souhaité que Sharon (l’ancien Premier ministre israélien) les anéantisse. À ces mots, Yasser assène un coup de poing à Tony, lui cassant deux côtes.

Le film n’apporte aucun équilibre entre les deux protagonistes : tandis que Yasser, le Palestinien, est présenté comme une personne relativement privilégiée, la vie de Tony est ponctuée de souffrances, la plupart du temps infligées par les Palestiniens

Tony porte plainte pour agression. L’affaire est entendue devant le tribunal, où Yasser plaide coupable. En grande partie en raison du comportement de Tony au tribunal, qui ne se montre pas injuste envers Yasser mais qui affirme notamment à haute voix qu’il aurait souhaité être palestinien parce que le système penche en leur faveur, le juge déclare Yasser non coupable. Tony fait appel de la décision.

C’est principalement à travers ce que l’avocat de Tony – issu des Forces libanaises – soutient devant le tribunal, ou plutôt ce qu’il est autorisé à déclarer en relation ou non avec l’affaire, que le film est injuste envers les Palestiniens. Dirigées par Samir Geagea, les Forces libanaises sont un parti chrétien impliqué dans des atrocités de la guerre civile.

Un discours partial

L’avocat de Tony est décidé à prouver que les propos de son client, qui ont précédé et provoqué l’agression de Yasser, sont compréhensibles et justifiés. En tant que prémisse de la tribune offerte aux Forces libanaises dans le film, il s’agit en soi d’une injustice.

Ce sont l’agression de Yasser et ses conséquences pour Tony qui sont en cause, pas les propos de Tony. Pourtant, de nombreuses déclarations, sans rapport avec la question et totalement préjudiciables à Yasser, sont autorisées à être prononcées et enregistrées.

Des étrangers, des Libanais et des Palestiniens se rassemblent devant le bâtiment des Nations unies à Beyrouth, le 27 juin 2010, pour réclamer des droits civiques au Liban pour les réfugiés palestiniens vivant dans le pays (AFP)

Évidemment, cela profite aux spectateurs, qui sont les destinataires passifs de ce discours partial.

Pour ne citer qu’une partie de ce vitriol, l’avocat de Tony se moque de la cause palestinienne, citant de nombreuses autres causes dignes, dont celle des primeurs, afin de soutenir que les Palestiniens ont forcé le monde à considérer leur cause comme « sacrée ».

En réalité, il soutient que l’acquittement de Yasser serait uniquement dû à la cause « sacrée ». L’avocat de Tony poursuit en citant, sans aucune objection ou interférence, excepté lorsqu’il est trop tard et que le discours de haine a déjà été formulé, toutes les « guerres » déclenchées et perdues par les Palestiniens.

Ainsi, ils sont accusés d’avoir tenté de déstabiliser et d’envahir la Jordanie en 1971. En réponse, l’avocat de Yasser manifeste un intérêt de pure forme pour Septembre noir, le carnage qui a visé les Palestiniens en Jordanie.

La fausse représentation la plus grave doit toutefois être l’évocation décontextualisée du massacre de Damour, qui a eu lieu le 20 janvier 1976. Pour justifier la haine de Tony, son avocat révèle qu’il était un survivant des tueries.

La description crue du massacre de Damour – lors duquel des civils de la ville majoritairement chrétienne ont été assassinés par une coalition de milices palestiniennes et de forces de gauche libanaises – est autorisée au tribunal.

Compte tenu de la dynamique régionale et mondiale du pouvoir, le film est en effet une insulte aux Palestiniens et à la vérité. Mais on ne peut arrêter la justice

Tony souffrirait d’un trouble de stress post-traumatique car, à l’âge de 6 ans, il a vécu les événements de cette journée.

Il s’agit là d’un témoignage gratuit. Rappelez-vous que Tony n’a rien contre lui dans le procès. Si les scénaristes se sont sentis obligés de raviver le souvenir de Damour, ils devaient aux spectateurs l’histoire qui réside derrière Damour.

Une histoire de massacres

Le massacre de « Karantina », une tuerie orchestrée contre des civils palestiniens par les Phalangistes et les miliciens d’al-Ahrar, qui se sont regroupés plus tard pour former les Forces libanaises, avait eu lieu deux jours seulement avant celui de Damour, alors que Damour était assiégé.

On aurait pu facilement intégrer dans l’histoire une survivante d’un viol à Karantina, une cousine ou une sœur de Yasser vivant aujourd’hui avec lui dans le camp, pour contextualiser sa propre colère, voire un survivant de Tel al-Zaatar ou de Sabra et Chatila. Ces massacres ne se voient pas prêter un visage humain et ne sont même pas mentionnés.

Le réalisateur franco-libanais Ziad Douieri pose avec des acteurs lors de la pré-projection de L’Insulte à Beyrouth, le 12 septembre 2017 (AFP)

Le film n’apporte aucun équilibre entre les deux protagonistes : tandis que Yasser, le Palestinien, est présenté comme une personne relativement privilégiée, la vie de Tony est ponctuée de souffrances, la plupart du temps infligées par les Palestiniens. Ainsi, nous voyons que Yasser vit plutôt bien au Liban.

Il vit dans un camp, certes, mais dans un logement confortable. Le drapeau palestinien y est brandi par tout le monde.

Il pratique sa religion librement. Il a une épouse libanaise aimante, qui se trouve être chrétienne (Mauvais point pour l’idée d’autoriser les femmes libanaises à transmettre la citoyenneté à leur mari étranger. Regardez ce qu’elles rapporteraient.) Yasser se voit offrir un emploi convenable au Liban, là où il ne devrait pas avoir le droit de travailler.

Tony souffre quotidiennement parce qu’il est psychologiquement incapable de rentrer chez lui à Damour. À cause de sa gouttière, il doit faire face à un Palestinien, qui finit par lui asséner un coup de poing qui l’envoie à l’hôpital. Ses blessures l’empêchent de porter des charges lourdes, mais Tony doit travailler pour payer ses factures.

Il finit par porter une batterie de voiture et perd conscience. Lorsque son épouse enceinte le trouve, elle est elle-même affectée et commence à subir des contractions prématurées, ce qui met en danger la vie du bébé.

Une attitude agressive

Tandis que Tony se montre patient et laisse les problèmes entre les mains de la justice libanaise, les Palestiniens adoptent un comportement agressif. Alors que la procédure d’appel se poursuit, ils harcèlent Tony avec des appels téléphoniques menaçants chez lui tard dans la nuit, ils dessinent une étoile de David dans son atelier et ils le heurtent probablement avec une moto alors qu’il marche dans son propre quartier avec son épouse, le faisant tomber.

Le tribunal statue en faveur de Yasser. À ce stade, cela ne devrait pas surprendre les spectateurs. Nous avons suffisamment entendu les scénaristes nous expliquer que quand les Libanais et les Palestiniens souffrent, ce sont les Palestiniens qui se retrouvent sous le feu des projecteurs. Nous avons entendu Samir Geagea, chef de la milice des Forces libanaises, affirmer que ce sont les gagnants qui écrivent l’histoire en fin de compte.

À LIRE : Georges Nasser, le retour d’un grand nom du cinéma libanais

Et pourtant, les Libanais sont décrits dans le film comme des personnes toujours bienveillantes, tandis que les Palestiniens demeurent ingrats. Un jour, Tony et Yasser sont seuls en territoire neutre et la voiture de Yasser ne démarre pas. Tony se dirige vers lui et la lui répare.

Compte tenu de la dynamique régionale et mondiale du pouvoir, le film est en effet une insulte aux Palestiniens et à la vérité. Mais on ne peut arrêter la justice. 

- Fadia Elia est une citoyenne libanaise et américaine d’origine palestinienne. Elle a grandi à Beyrouth avant d’étudier dans une école de droit aux États-Unis. Elle travaille actuellement sur un roman consacré à la guerre civile libanaise.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le réalisateur Ziad Doueiri arrive à la cérémonie de remise des prix du 74e Festival international du film de Venise, le 9 septembre 2017, au Lido de Venise (AFP)

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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