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La guerre de propagande secrète d’Israël

Si l’économie d’Israël se porte aussi bien, qu’a-t-il à craindre d’un mouvement de boycott qui ne semble pas avoir eu d’effet réel jusqu’à présent ?

Le Premier ministre Benyamin Netanyahou était d’humeur triomphante début janvier. Sa coalition venait de parvenir à faire adopter quelques lois controversées, tandis que son gouvernement était sur le point d’approuver son budget record pour 2019, d’un montant de 400 milliards de shekels (environ 95,5 milliards d’euros).

« Israël se trouve dans une phase sans précédent de puissance politique, économique et militaire et cela transforme radicalement le pays », avait-il déclaré lors d’une conférence économique à Jérusalem.

Comme avec tous les responsables politiques, les propos de Netanyahou contenaient une certaine dose de vantardise. Pourtant, on ne peut nier qu’Israël semble bien se porter du point de vue des chiffres. Son économie a connu une croissance de 3 % en 2017, ses exportations ont franchi la barre des 100 milliards de dollars pour la première fois et les exportations des entreprises israéliennes de haute technologie ont plus que doublé pour atteindre un niveau record de 23 milliards de dollars.

Le PIB par habitant d’Israël a dépassé la barre des 40 000 dollars, soit plus que la France. Il y a seulement dix ans, il s’élevait à 25 000 dollars par habitant.

Une enquête réalisée par The Seventh Eye a permis de révéler que par le biais du ministère des Affaires stratégiques, le gouvernement israélien a alloué plus de 100 millions de dollars au soutien à une propagande secrète contre le mouvement BDS

Malgré tout, au début de la semaine lors de laquelle Netanyahou a prononcé son discours jubilatoire, son gouvernement a annoncé de nouvelles mesures contre le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) visant à interdire l’entrée en Israël d’activistes de plusieurs organisations accusées de soutenir le mouvement BDS. Si l’économie d’Israël se porte aussi bien, qu’a-t-il à craindre d’un mouvement de boycott qui ne semble pas avoir eu d’effet réel jusqu’à présent ? 

Cette initiative n’était en fait qu’un pas de plus dans la bataille livrée par Israël contre le mouvement de boycott. En 2011, l’État a adopté une loi définissant tout boycott d’Israël ou des « zones sous son contrôle » – terme juridique utilisé pour désigner la Cisjordanie occupée – comme un « délit civil ». Quiconque enfreint cette loi s’expose au versement d’une indemnisation pour les dommages causés. 

L’an dernier, Israël est allé un peu plus loin en adoptant une loi autorisant le ministre de l’Intérieur à interdire l’entrée à quiconque encourage le boycott ou des sanctions contre le pays. Les mesures annoncées début janvier s’inscrivent dans le cadre de cette loi sur l’interdiction d’entrée. 

Il ne fait aucun doute que ces nouvelles mesures éloignent Israël de sa prétention à être « la seule démocratie du Moyen-Orient ». Parmi les organisations citées dans l’annonce figure le groupe américain Jewish Voice for Peace (JVP). 

Des interdictions sans possibilité d’appel

Cela signifie qu’un membre juif de ce groupe peut émigrer en Israël et obtenir immédiatement la citoyenneté israélienne en vertu de la loi du retour, mais que s’il appelle au boycott des produits provenant des colonies israéliennes en Cisjordanie, il lui sera interdit d’entrer en Israël. En d’autres termes, l’entrée en Israël, du moins pour les juifs, dépend des opinions politiques de l’individu. 

Alors que la loi de 2011 sur le boycott exigeait un processus légal afin de déterminer si l’appel au boycott d’un individu avait causé un dommage réel, la loi sur l’interdiction d’entrée n’exige pas une telle chose. Le ministre de l’Intérieur est libre de déterminer qui est « pro-boycott » et qui ne l’est pas, sans réelle possibilité d’appel. 

Des passagers marchent devant un panneau d’information indiquant des vols retardés ou annulés lors d’une grève à l’aéroport Ben Gourion, près de Tel Aviv, le 17 décembre 2017 (AFP)

Alors que la loi sur le boycott visait principalement les citoyens israéliens qui s’opposaient aux colonies et souhaitaient les combattre, l’interdiction d’entrée cible les personnes et les organisations qui opèrent au-delà de sa portée juridique.

Comme la plupart des organisations concernées par l’interdiction d’entrée sont basées en Europe ou aux États-Unis, il semblerait qu’Israël soit même prêt à risquer de tendre ses relations avec ces pays tant qu’il peut poursuivre son combat contre le mouvement BDS.

Par exemple, la ministre norvégienne des Affaires étrangères Ine Eriksen Søreide a protesté contre l’interdiction dont a fait l’objet un activiste pacifiste norvégien souhaitant retourner en Israël. Des incidents similaires pourraient suivre prochainement. 

Le financement d’une propagande

L’interdiction prononcée contre les activistes du mouvement BDS a reçu beaucoup d’attention. Mais cette initiative n’est que la partie émergée de l’iceberg de la lutte menée par Israël contre le mouvement de boycott. Une enquête réalisée par The Seventh Eye, un site indépendant israélien, a permis de révéler que par le biais du ministère des Affaires stratégiques, le gouvernement israélien a alloué plus de 100 millions de dollars au soutien à une « propagande secrète » contre le mouvement BDS et ses sympathisants.

Pourquoi prendre la peine de payer des journaux israéliens pour qu’ils publient de la propagande contre le mouvement BDS alors qu’une grande majorité de sa population juive s’y oppose déjà ?

L’argent est acheminé vers des organisations « intermédiaires » en dehors d’Israël, qui agissent en faveur des politiques d’Israël et contre les efforts déployés dans le but de boycotter le pays ou ses colonies, sans révéler qu’elles sont financées par le gouvernement israélien. Une partie des fonds sert à « acheter » une couverture favorable dans les médias internationaux et locaux.

La semaine dernière, le ministère des Affaires stratégiques a justement annoncé un budget de 128 millions de shekels (environ 30,5 millions d’euros) pour des « activités de sensibilisation du public » non décrites en faveur de la lutte contre la « délégitimation » d’Israël. Souhaitant prendre ses distances vis-à-vis de ces activités menées en son nom, Israël les a exemptées de toute surveillance extérieure par le biais de la loi sur la liberté de l’information.  

Ainsi, pourquoi Israël est-il prêt à mettre en péril ses relations avec la diaspora juive et des pays européens amis, mais aussi à dépenser autant d’argent, pour lutter contre le mouvement de boycott qui, comme il l’affirme, a peu d’effet sur son économie ? Pourquoi prendre la peine de payer des journaux israéliens pour qu’ils publient de la propagande contre le mouvement BDS alors qu’une grande majorité de sa population juive s’y oppose déjà ? 

La chanteuse néo-zélandaise Lorde a annulé sa tournée en Israël suite à des critiques formulées par des activistes du mouvement BDS (AFP)

Quelques réponses sont envisageables. La première est que cet effort est orienté vers l’intérieur et non vers l’extérieur. Le gouvernement de droite actuel souhaite délégitimer toute campagne politique interne contre les colonies, aussi petite ou faible soit-elle. Cet effort porte certainement ses fruits. L’opposition aux colonies a pratiquement disparu des médias traditionnels israéliens. 

Une deuxième réponse porte sur le fait que le boycott gagne du terrain, en particulier pour les produits israéliens provenant des colonies en Cisjordanie. Malgré les pressions israéliennes intenses, l’Union européenne insiste pour marquer les produits en provenance des colonies. Sodastream a dû délocaliser son usine cisjordanienne en Israël. En chiffres réels, il est difficile d’apercevoir un effet direct du mouvement de boycott, mais Israël craint que celui-ci ne se renforce à l’avenir.

Un boycott culturel

Sur le plan culturel, le tableau semble encore plus sombre pour Israël. Si le cas de Lorde, la chanteuse néo-zélandaise qui a annulé son voyage en Israël, demeure rare, chaque visite d’une personnalité culturelle de premier plan s’accompagne de doutes quant à son arrivée finale. La couverture médiatique constante des pressions exercées sur ces personnalités par le mouvement BDS contribue à créer une impression de siège en Israël.

Rien n’effraie plus Israël que la perspective de suivre le modèle sud-africain au cours du régime d’apartheid 

Pourtant, il semblerait que les plus grandes inquiétudes d’Israël résident dans l’avenir. Presque tous les Israéliens qui voyagent à l’étranger peuvent ressentir le changement d’état d’esprit vis-à-vis d’Israël. Michael Sfard, un avocat israélien des droits de l’homme bien connu, raconte que lorsqu’il a effectué sa première tournée sur les campus américains il y a dix ans, il était confronté à des réactions hostiles parce qu’il critiquait la conduite d’Israël en Cisjordanie. Aujourd’hui, il est critiqué parce qu’il ne soutient pas un boycott total d’Israël.

Rien n’effraie plus Israël que la perspective de suivre le modèle sud-africain au cours du régime d’apartheid. Israël craint qu’un consensus mondial similaire contre lui ne puisse menacer sa légitimité même.

L’économie d’Israël est bien plus forte que l’économie sud-africaine dans les années 1980 lorsque cette dernière a été confrontée à un boycott économique, tandis que son réseau de soutien international est beaucoup plus large.

Mais la dépendance d’Israël vis-à-vis du monde extérieur est plus profonde. Son industrie de haute technologie, par exemple, aura du mal à prospérer dans un environnement international hostile. 

L’interdiction d’entrée prononcée contre les activistes du mouvement BDS ne devrait pas les convaincre d’abandonner leur position, pas plus que leurs partisans. Pourtant, à travers la perspective de la « guerre de propagande » secrète, cette interdiction a davantage de sens. Israël tente de délégitimer le mouvement de boycott aux yeux de l’opinion publique européenne et américaine.

L’interdiction dont font l’objet les activistes du mouvement BDS n’est qu’une partie de cette campagne. On ne sait pas encore quel sera son succès, mais cela démontre certainement que pour Israël, il s’agit là de sa plus grande menace, aussi petite soit-elle à l’heure actuelle.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou assiste à une réunion du cabinet à Jérusalem, le 11 janvier 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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