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Les Émirats arabes unis sont déterminés à punir les Tunisiens pour le péché de démocratie

Les Émirats sont devenus un danger pour eux-mêmes et pour l’ensemble de la région arabe en raison de la politique odieuse poursuivie par leurs dirigeants

La récente décision des Émirats arabes unis d’interdire à toutes les Tunisiennes, sans exception, de voyager avec la compagnie Emirates Airlines n’était que le dernier exemple d’une politique systématique envers la Tunisie poursuivie avec détermination par Abou Dabi depuis le renversement réussi du régime de Ben Ali en janvier 2011.

Inutile de dire que cette décision absurde est une immense insulte pour les femmes tunisiennes et une violation de la dignité du peuple tunisien dans son ensemble.

Ouvertement hostiles

Quel objectif se cache derrière l’interdiction faite à toutes les femmes tunisiennes (y compris les bébés et les enfants) d’embarquer sur des vols de la compagnie Emirates Airlines, même si ce n’est qu’en escale aux Émirats arabes unis, comme cela a été le cas à Dubaï, Beyrouth et dans d’autres aéroports ?

Les dirigeants d’Abou Dabi ont vu le renversement du régime de ben Ali par le peuple tunisien comme un péché impardonnable

Comment peut-on justifier le fait de séparer des épouses de leurs maris, des filles de leurs pères, et de les empêcher de voyager sur les vols d’Emirates, comme nous l’avons vu à l’aéroport de Tunis Carthage par exemple, une procédure sans précédent dans l’histoire de la navigation aérienne internationale ?

Le message implicite envoyé par cette décision est que chaque Tunisienne est une criminelle présumée et que la compagnie Emirates Airlines rend service aux femmes et aux hommes tunisiens lorsqu’elle leur permet de monter à bord de ses avions.

Tout indique que les Émirats arabes unis sont devenus ouvertement hostiles à la Tunisie. Ce qui était auparavant caché de l’opinion publique tunisienne et arabe et connu seulement de la classe politique est désormais limpide pour tous.

Les dirigeants d’Abou Dabi ont vu le renversement du régime de ben Ali par le peuple tunisien comme un péché impardonnable en vertu de la relation spéciale que le régime émirati avait forgée avec le club des tyrans arabes, de ben Ali à Moubarak en passant par Ali Abdallah Saleh et d’autres.

Ce qui a irrité les Émiratis, c’est que la révolution tunisienne a envoyé un message d’espoir à la rue arabe : le changement est possible par le biais de manifestations civiles et pacifiques. Elle a déchiré la mince façade d’omnipotence incarnée par les régimes tyranniques arabes et mis à nu leur fragilité fondamentale.

Tunisiennes lors d’un rassemblement à Tunis marquant le 5e anniversaire de la révolution de 2011 (AFP)

Ce qui a alimenté encore plus l’ire des dirigeants d’Abou Dabi est le lien établi par les révolutions arabes, à commencer par celle de la Tunisie, avec l’idée de démocratie et de tout ce qu’elle offre : élections libres et équitables, compétitions politiques ouvertes entre partis et blocs politiques, existence de parlements libres et de gouvernements contraints par l’État de droit et la Constitution.

Punir les Tunisiens

Les Émirats arabes unis considèrent ces développements démocratiques comme une menace directe pour leur sécurité, et comme une catastrophe qu’ils ne sauraient tolérer.

La politique étrangère tunisienne a toujours eu tendance à conserver la neutralité et à éviter les conflits et les affrontements avec les pays arabes voisins. Les Tunisiens ont souligné à plusieurs reprises que leur révolution était un soulèvement national visant à résoudre leurs problèmes internes et non pas une expérience qu’ils cherchent à exporter.

Néanmoins, les dirigeants d’Abou Dabi se sont acharnés à punir les Tunisiens pour le péché de révolution et de démocratisation, déterminés à saboter leur transition démocratique par tous les moyens possibles.

Les contre-révolutions orchestrées par le Golfe dans plusieurs pays de la région, de l’Égypte à la Tunisie en passant par le Yémen, la Libye et la Syrie, n’ont ménagé aucun effort pour confirmer l’utilité et l’efficacité de la tyrannie dans le monde arabe.

Reproduction du coup d’État égyptien

Dans la période post-révolutionnaire, tous les moyens possibles ont été employés pour provoquer des conflits et des tensions afin de montrer au monde la validité de leurs allégations, à savoir que la démocratie et l’ère post-révolutionnaire en Tunisie sont synonymes de chaos, d’insécurité et de déclin économique.

Plus de 30 % des parlementaires en Tunisie sont des femmes (AFP)

Par exemple, en Tunisie, les Émirats arabes unis se sont déplacés sur deux fronts interconnectés. D’une part, ils ont cherché à cultiver les crises politiques du pays et à semer les graines de conflits internes en approfondissant la polarisation et en mettant à mal les fondements de la stabilité et de la coexistence entre Tunisiens.

Abou Dabi prévoyait de reproduire le coup d’État égyptien en Tunisie selon des procédés différents, en semant le chaos et en sapant la démocratie naissante. Les Émirats arabes unis n’ont épargné aucun effort pour provoquer conflits et luttes entre les forces politiques tunisiennes afin de provoquer des tensions dans la difficile période de transition qui a suivi le départ de ben Ali.

Les Tunisiens ont réussi à éviter l’abîme de conflits qu’ils avaient presque atteint en 2013 grâce à la recherche d’un consensus politique semé d’embûches.

Lorsque cela a ouvert la voie à la poursuite de l’épineuse transition démocratique, les Émiratis ont déplacé le champ de bataille, provoquant des conflits au sein même des partis et entre les blocs politiques eux-mêmes.

À LIRE : La démocratie et l’axe arabe de la tyrannie

Les Émirats arabes unis se sont fixés comme priorité absolue le renversement de l’expérience tunisienne de construction de consensus afin de saper la stabilité politique du pays et faire avorter son expérience démocratique.

Le but est simple : faire comprendre aux puissances mondiales que la démocratie ne convient pas aux Arabes et ne constitue pas une alternative aux régimes tyranniques en place qui imposent la sécurité et la stabilité et protègent les intérêts de ces puissances.

Semer la zizanie idéologique

Afin de comprendre la nature du rôle des Émirats arabes unis en Tunisie et dans la région en général, il suffit de lire les déclarations des alliés d’Abou Dabi ici en Tunisie et leurs programmes politiques, empreints de haine et de détermination à éradiquer leurs adversaires.

Les Émirats arabes unis considèrent ces développements démocratiques comme une menace directe pour leur sécurité, et comme une catastrophe qu’ils ne sauraient tolérer

Compte tenu de l’homogénéité relative de la société tunisienne et de l’absence de divisions religieuses et ethniques susceptibles d’être exploitées, les intermédiaires d’Abou Dabi se sont attelés à attiser les conflits idéologiques, en particulier contre le mouvement islamique démocratique.

Le deuxième front du plan émirati était centré sur les médias, déployant leurs muscles financiers pour influencer de nombreux organes de presse. Les médias et centres de recherche émiratis, critiques du processus démocratique en Tunisie, ont encouragé des journalistes, personnalités éminentes et intellectuels tunisiens à partager cette analyse négative.

Ils s’en sont servis pour communiquer une image de désespoir et de désolation chez les Tunisiens, de nostalgie pour l’ancien régime et de regret pour le crime d’avoir initié une révolution.

Tunisiennes dans une manifestation dénonçant la mort de six policiers lors d’un affrontement le 28 octobre 2013 sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis (AFP)

Des politiques similaires ont été menées dans la Libye voisine et au Yémen, où l’alliance menée par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite est intervenue pour sauver Ali Abdallah Saleh de la révolution lancée par la jeunesse du pays. Avant cela, nous avions aussi vu leurs efforts se déployer pour réanimer le régime de Moubarak et restaurer ses hommes au pouvoir.

Une harmonie totale avec Israël

Les Émirats arabes unis sont devenus un danger pour eux-mêmes et pour l’ensemble de la région arabe en raison de la politique odieuse poursuivie par leurs dirigeants.

Ils ont exécuté cette politique en totale harmonie avec la stratégie d’Israël dans la région et en coordination constante avec les lobbies d’extrême-droite et les groupes sionistes aux États-Unis et en Europe, qui estiment que les nations arabes sont arriérées et indisciplinées et ne peuvent être contrôlées que par des tyrans violents à l’instar de Sissi en Égypte, Khalifa Haftar en Libye et d’autres encore.

Ce jeu mortel est devenu coûteux non seulement pour les peuples de la région, mais également pour les Émirats.

À LIRE : Ce que les Émirats arabes unis craignent le plus : la démocratie

Mais qui peut convaincre les dirigeants de ce pays de mettre fin à leur ingérence dangereuse dans les intérêts de la région et d’arrêter de jouer avec le sort de ses peuples ?

À l’occasion du septième anniversaire de la révolution tunisienne, les femmes et les hommes de Tunisie sont déterminés à ce que les interférences et les intrigues d’Abou Dabi ne fassent qu’accentuer leur détermination à entretenir à la vue de tous la flamme de la révolution. Seule cette flamme nous a sauvés de l’abîme de l’humiliation, de l’oppression et de la peur.

Nous défendrons notre expérience démocratique pionnière et n’épargnerons aucun effort pour la consolider contre les régimes de la décadence et du despotisme. Nous ne reculerons pas, peu importe le nombre d’agents que vous recruterez, de pétrodollars que vous dépenserez et de conspirations que vous concocterez.

- Soumaya Ghannouchi est une écrivaine britanno-tunisienne spécialisée en politique du Moyen-Orient. Vous pouvez la suivre sur Twitter: @SMGhannoushi

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un Tunisien drapé dans le drapeau national lit des graffitis le 16 décembre 2013 le long de l’avenue Mohammed Bouazizi, dans la ville de Sidi Bouzid, où l’immolation d’un vendeur ambulant de 26 ans en décembre 2010 avait provoqué le soulèvement qui a contraint le président de longue date Zine el-Abidine ben Ali à fuir le pays (AFP). 

Traduit de l’anglais (original).

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