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Moscou a gagné la guerre en Syrie, mais peut-il restaurer la paix ?

La Russie a montré qu’elle pouvait mener une campagne militaire réussie au-delà de ses frontières. Désormais, les aspects politiques et humanitaires entrent en jeu, ce qui représente un tout autre défi

La politique de la Russie en Syrie a évolué au cours des derniers mois. Bien que de nombreuses critiques formulées envers Moscou soutiennent légitimement que le Kremlin reste la principale force militaire en Syrie et le principal soutien du gouvernement syrien, la nature de l’approche de la Russie face au conflit a changé. 

L’armée russe s’est moins impliquée dans les opérations terrestres contre ce qu’elle qualifie de groupes terroristes, se concentrant sur un appui aérien limité. Depuis que Moscou a commencé à se concentrer davantage sur le processus politique et les succès militaires du gouvernement syrien, il est apparu que Damas devait faire preuve d’une plus grande inclinaison pour le dialogue avec l’opposition et d’une plus grande résolution pour vaincre les groupes terroristes restants. 

Moscou considère la Syrie comme une chance de montrer au monde que son approche du pays dans le chaos a plus de succès que celle des États-Unis

Cela crée une atmosphère de réconciliation, bien qu’il soit mentionné que les groupes armés radicaux ne seront pas tolérés. Cela donne également l’impression que Moscou est plus puissant, indiquant que le Kremlin peut convaincre Damas de faire preuve d’un certain degré de retenue, ce qui est perçu positivement par les acteurs régionaux et l’Occident.

La Russie doit toutefois démontrer les résultats concrets de sa politique en Syrie dans le domaine politique. Moscou a montré qu’elle était capable de mener une campagne militaire réussie au-delà de ses frontières et qu’elle protégeait son allié. Désormais, les aspects politiques et humanitaires entrent en jeu, ce qui sera plus difficile, prolongé et coûteux.

Assiettes à l’effigie de Bachar al-Assad et de Vladimir Poutine en vente à Damas (AFP)

Moscou considère la Syrie comme une chance de montrer au monde que son approche du pays dans le chaos a plus de succès que celle des États-Unis. Stabiliser et remettre sur pieds la Syrie est l’objectif ultime de la Russie, un objectif ambitieux. 

Cependant, la Russie est consciente de ne pouvoir reconstruire la Syrie seule, même avec l’aide de la Chine, de l’Iran et de la Turquie. Elle a besoin des pays occidentaux et du Golfe, mais les pays occidentaux, en particulier les États-Unis, ne sont pas disposés à donner de l’argent et à participer à la reconstruction de la Syrie avec le gouvernement de Bachar al-Assad au pouvoir, ce qui reviendrait à reconnaître que leur approche du conflit n’était pas la bonne. C’est pourquoi ils insistent sur la transition politique, conduisant finalement à la destitution d’Assad – une question qui est depuis longtemps au centre des discussions entre les parties au conflit.

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Dans le même temps, Moscou doit créer des conditions décentes pour le retour des réfugiés, ce qui nécessite une coopération avec les partenaires occidentaux et les acteurs régionaux. Elle doit également démarrer un processus de reconstruction à grande échelle. 

Pour atteindre ses objectifs, Moscou exploite l’une des questions les plus controversées et les plus sensibles pour les pays de l’Union européenne (UE), qui ont accueilli des centaines de milliers de réfugiés syriens. Elle a proposé d’aider l’Europe à alléger le fardeau des réfugiés et à créer les conditions permettant aux Syriens de rentrer chez eux. 

Limiter l'influence de l'Iran en Syrie

Moscou fait de son mieux pour convaincre ses partenaires européens de participer à la reconstruction de la Syrie. L’Iran pourrait jouer un rôle ici : si l’UE et les pays du Golfe refusaient de participer au processus de reconstruction, cela laisserait automatiquement plus de place à l’Iran en Syrie. Pour certaines puissances régionales et mondiales, le processus de reconstruction offre une chance de limiter la présence de l’Iran en Syrie.

Les États du Golfe semblent comprendre ces dynamiques, comme l’ont montré les récentes visites en Russie de dirigeants saoudiens, émiratis et qataris. Pour ces États, la Syrie est déjà une mise perdue et ils veulent minimiser leurs pertes grâce à un effet de levier économique et en limitant l’influence de l’Iran.

Un homme à moto longe les bâtiments détruits dans la ville de Deraa, dans le sud de la Syrie, le 2 août 2018 (AFP)

La situation autour d’Idleb – la dernière zone de désescalade restante en Syrie et un refuge pour les rebelles – est compliquée. Idleb est une zone d’influence turque depuis un certain temps, Ankara soutenant des groupes d’opposition. Dans le cadre des accords d’Astana, la Turquie était censée assurer la sécurité dans la région en mettant en place douze postes d’observation.

Ankara est également partenaire de la Russie et garante du processus d’Astana. Moscou en a besoin pour justifier son approche du conflit en Syrie et contrebalancer les critiques occidentales et de l’OTAN. Le Kremlin ne peut pas se permettre de s’aliéner Ankara.

Moscou a besoin d'Ankara pour justifier son approche du conflit en Syrie et contrebalancer les critiques occidentales et de l’OTAN

Pour être cohérent dans sa politique en Syrie, il est crucial pour la Russie de ramener finalement Idleb sous le contrôle du gouvernement syrien – mais en même temps, elle ne désire pas de confrontation avec la Turquie.

Ces derniers mois, des attaques au mortier et par drones ont eu lieu depuis la province d’Idleb contre du personnel militaire russe à Lattaquié, donnant à Moscou une raison légitime de pousser Ankara vers un plan acceptable à la fois par la Turquie et par le gouvernement syrien – un plan qui donnerait le contrôle d’Idleb à ce dernier, mais en tenant compte des intérêts turcs.

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Il est également important de prendre en considération la nouvelle priorité de la Russie, à savoir le retour des réfugiés syriens chez eux. La Turquie est considérée comme un partenaire essentiel à cet égard, car elle accueille le plus grand nombre de réfugiés, soit plus de trois millions. Toute offensive militaire à grande échelle contre Idleb de la part de la Russie et de la Syrie constitue un dernier recours, car elle provoquerait un autre flux énorme de réfugiés vers les frontières de la Turquie.

Il est vraisemblable qu’un accord envisagé entre Moscou, Ankara et Damas définira la nature de la présence militaire de chaque partie dans la région. Il est hautement improbable qu’il y ait une confrontation directe entre les forces armées syriennes et turques, ce qui pousserait Ankara vers les États-Unis.

Dans l’idéal, la Russie souhaite négocier un accord avec la Turquie et le gouvernement syrien concernant Idleb, impliquant une offensive conjointe limitée contre les groupes armés et un plan humanitaire pour le retour des réfugiés.

La situation à Idleb peut être considérée comme un carrefour où il sera bientôt évident que la Russie et ses partenaires peuvent maintenir le statu quo ou faire face à une nouvelle réalité beaucoup plus complexe

Un autre facteur important est celui des Kurdes, qui feront probablement partie de toute équation concernant Idleb et le nord de la Syrie. Les contacts se sont récemment intensifiés entre les Kurdes syriens et Damas, et entre les groupes kurdes et la Russie. Les Kurdes envisagent un accord avec Damas, qui pourrait leur donner une certaine autonomie, en échange du partage des revenus provenant des gisements de pétrole et de gaz et des raffineries.

La situation à Idleb peut être considérée comme un carrefour où il sera bientôt évident que la Russie et ses partenaires peuvent maintenir le statu quo ou faire face à une nouvelle réalité beaucoup plus complexe.

- Alexey Khlebnikov est un expert de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord au Russian International Affairs Council. Il est titulaire d’une maîtrise en politiques publiques mondiales et études du Moyen-Orient. Il a été titulaire d’une bourse Muskie à l’École des affaires publiques Hubert Humphrey de l’Université du Minnesota (2012-2014) et chargé de recherche à la School of Advanced International Studies de l’Université Johns Hopkins en 2013.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Photo : un combattant rebelle syrien tient une mitrailleuse au milieu des préparatifs pour une prochaine offensive gouvernementale à Idleb, le 3 septembre 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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