Aller au contenu principal

Moyen-Orient : la seule force dominante aujourd’hui, c’est l’incertitude

Le possible effondrement de l’accord sur le nucléaire iranien n’est autre que le dernier avatar de la déstabilisation en cours de toute la région et de son glissement vers un état d’anarchie

Le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien décidé ce mardi 8 mai par Donald Trump introduit une nouvelle séquence de perturbations dans un Moyen-Orient déjà particulièrement déstabilisé. Au-delà de la seule question du contrôle du programme nucléaire iranien et de la lutte contre la prolifération nucléaire, l’enjeu qui se pose est celui du multilatéralisme et des mécanismes diplomatiques de résolution des conflits.

Depuis plus d’une décennie, le Moyen-Orient est traversé par des zones de tensions profondes, fragmentant et défragmentant non seulement les États mais aussi les acteurs non étatiques. L’invasion de l’Irak en 2003 et les révolutions arabes de 2011 ont fait émerger de nouvelles forces centrifuges à plusieurs niveaux.

Au-delà de la seule question du contrôle du programme nucléaire iranien et de la lutte contre la prolifération nucléaire, l’enjeu qui se pose est celui du multilatéralisme et des mécanismes diplomatiques de résolution des conflits

Alors que la coopération internationale aurait pu tenter de régler les conflits en cours, les divergences et oppositions entre les États ont, au contraire, exacerbé les tensions, faisant lentement glisser la région vers ce que le philosophe américain Michaël Walzer a défini comme un état « d’anarchie internationale » : chaque État agit suivant ses intérêts propres, réorganisant ses alliances au gré des événements et se dégageant des mécanismes légaux globaux permettant de dépasser les tensions.

Vers une anarchie internationale au Moyen-Orient

Le possible effondrement de l’accord sur le nucléaire iranien n’est que le dernier avatar de ce mouvement en cours. Il est cependant particulièrement révélateur de la manière dont les différents acteurs envisagent la conduite de leur politique étrangère.

Premièrement, du côté des États-Unis. Le président américain n’a, certes, jamais dissimulé ses opinions quant à l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Néanmoins, au-delà du flou quant aux solutions de sortie de crise, la stratégie poursuivie par la Maison-Blanche est dominée par l’unilatéralisme. À l’image de sa politique menée au Moyen-Orient, Donald Trump avance par coups de force.

Donald Trump annonce le retrait américain de l'accord sur le nucléaire iranien mardi 8 mai (Reuters)

Cet idéal unilatéraliste est d’ailleurs renforcé par le nouvel entourage du président américain, qui partage, voire accentue, ses vues. Le remplacement de Rex Tillerson, secrétaire d’État américain en mars 2018, suivi par celui de H. R. McMaster quelques jours plus tard ont vu le premier cercle de Donald Trump se resserrer autour de faucons comme Mike Pompeo et John Bolton.

Le principal danger de ces postures est de voir s’organiser la politique étrangère américaine autour des modes d’action qui ont, par le passé, amené celle-ci à des actions unilatérales dévastatrices : la pensée magique (« l’Iran ne comprend que le langage de la force »), les prophéties autoréalisatrices (« l’accord sur le nucléaire n’empêche pas l’Iran de vouloir acquérir la bombe ») et l’effet de groupe (« nous sommes convaincus, entre nous, d’avoir raison »).

À LIRE ► Retrait américain de l’accord sur le nucléaire : quelles sont les options de l’Iran ?

Ces mécanismes dans la prise de décision en matière de politique étrangère ne sont pas le seul apanage de Donald Trump et de son entourage. Ce comportement individuel et groupal se retrouve chez d’autres acteurs de la région.

Du côté iranien, les ultra-conservateurs n’ont jamais cessé de jouer sur l’idée du rapport de force avec « l’Occident », instrumentalisant notamment l’histoire et jouant sur des dynamiques complotistes à la fois fondées et infondées. C’est en ce sens que le concept de « résistance » et de repli sur soi est promu par les radicaux, qui se basent sur l’idée construite et entretenue qu’il est impossible de faire confiance à l’adversaire.

Ces tendances se retrouvent également au sein d’autres groupes parvenant à influencer les mécanismes de décisions, comme en Israël, en Arabie saoudite ou en Turquie. Un cercle vicieux finit alors par s’installer, attisant peurs et insécurités à tous les niveaux, des structures de pouvoirs jusqu’à la population. Ainsi, en Iran, des récents sondages ont mis en avant une lente dégradation de la confiance des Iraniens envers l’accord sur le nucléaire tandis que montait l’approbation de représailles à l’égard des États-Unis.

Une société internationale faible

Dans ce cadre, le multilatéralisme défendu notamment par les Européens semble être pris en otage. Particulièrement actifs depuis le début des années 2000, notamment dans les cycles de négociations concernant le programme nucléaire iranien, les Européens, France en tête, voient lentement disparaître leurs idéaux centrés autour de la médiation et du consensus entre les différents acteurs. 

L’Union européenne se retrouve aujourd’hui dans l’incarnation de la société internationale faible

Malgré l’intense activité diplomatique récente, notamment du président français Emmanuel Macron, pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien, les Européens se retrouvent aujourd’hui confronté à leurs propres faiblesses, dont la principale est celle de moyens de contraintes faibles.

En privilégiant l’approche réaliste, visant à défendre à la fois ses valeurs mais aussi ses intérêts, l’Union européenne était pourtant parvenue à se profiler comme l’interlocuteur parvenant à nouer les relations et à engranger les accords. Or, elle se retrouve aujourd’hui dans l’incarnation de la société internationale faible. Le risque est de voir s’effondrer les différents mécanismes internationaux veillant précisément à assurer la stabilité internationale.

Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif et la haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères Federica Mogherini donnent une conférence de presse le 16 avril 2016 à Téhéran (AFP)

L’exemple le plus frappant est celui lié à la lutte contre la prolifération nucléaire, non seulement avec la crise iranienne en cours mais, en outre, avec les intentions désormais affirmées de l’Arabie saoudite de chercher à se doter également de la bombe nucléaire si l’Iran s’y emploie de son côté.

Vers une intensification des conflits ?

Ces différents mouvements finissent par diriger les acteurs du Moyen-Orient vers des dilemmes de sécurité. D’autant plus que les zones de conflits ne sont guère limitées à un seul dossier ou une seule zone. Au-delà des seuls enjeux liés au nucléaire iranien, d’autres espaces de tensions offrent l’occasion, pour chacun des adversaires, d’intensifier les provocations et de pousser l’autre à la faute.

Il n’a peut-être jamais été aussi difficile d’envisager le devenir du Moyen-Orient. [...] En l’absence de toute structure internationale permettant les échanges et le dépassement des conflits, il est à craindre que ces politiques étrangères autonomes continuent à alimenter les incendies en cours

À la frontière israélienne tout d’abord. La présence d’un Hezbollah sorti renforcé par les urnes lors des récentes élections libanaises, mais aussi par les armes suite à son implication dans le conflit syrien, reste le groupe à abattre pour Tel-Aviv. De même que l’installation de plus en plus nette des forces iraniennes sur des bases syriennes amène Israël à engager de plus en plus régulièrement ses forces dans une attitude offensive.

La situation politique libanaise est aussi un potentiel foyer de tensions, la manière dont l’Iran pourrait vouloir influencer la formation du prochain gouvernement restant une inconnue.

Ces éléments valent également pour l’Irak, où les électeurs seront invités à renouveler leur Conseil des représentants le 12 mai prochain et où l’Iran et l’Arabie saoudite cherchent à peser sur les différents mouvements politiques de même que sur les milices.

À LIRE ► L’alliance israélo-saoudienne bat les tambours de guerre

Enfin, les conflits syrien et yéménite restent des foyers actifs offrant d’autres possibilités d’instrumentalisations et de déstabilisations futures.

Il n’a peut-être jamais été aussi difficile d’envisager le devenir du Moyen-Orient. À l’heure actuelle, chaque acteur de la région construit une réponse satisfaisante par rapport à sa seule perception de la réalité. En l’absence de toute structure internationale permettant les échanges et le dépassement des conflits, il est à craindre que ces politiques étrangères autonomes continuent à alimenter les incendies en cours. Les principales victimes en sont, au final, le droit international ainsi que, surtout, les populations évoluant dans une nuit sans fin.

- Jonathan Piron est historien et politologue. Conseiller au sein d’Etopia, centre de recherche basé à Bruxelles, il se spécialise sur les transformations sociales au Moyen-Orient, avec un focus sur les dynamiques de mobilisation en cours en Iran.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des députés iraniens brûlent un drapeau américain pour protester contre le retrait américain de l'accord sur le nucléaire le 8 mai (AFP).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].