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Pourquoi la Jordanie a partiellement annulé son traité de paix avec Israël

Cette décision intervient alors que la Jordanie a été maintes fois marginalisée face aux décisions américano-israéliennes concernant Jérusalem et les réfugiés palestiniens

La Jordanie a annoncé l’annulation de certaines clauses de son traité de paix de 1994 avec Israël, lesquelles autorisaient ce dernier à utiliser deux zones agricoles situées le long de la frontière, al-Baqura et al-Ghamr. Ces clauses avaient été vivement critiquées en Jordanie comme étant injustes et en faveur d’Israël.

L’accord avait permis à Israël de « louer » ces zones à la Jordanie pour une durée de 25 ans renouvelable, sous réserve d’annulation par l’une des parties. La décision de la Jordanie de ne pas renouveler cette période a été une surprise, tant au niveau national qu’en Israël.

Au cours des 25 dernières années, la Jordanie a réaffirmé que la paix était le « choix stratégique » du pays et que les tentatives précédentes visant à forcer le gouvernement à renoncer au traité avec Israël avaient échoué. En décembre dernier, les parlementaires jordaniens ont choisi de réexaminer le traité en réaction à la reconnaissance par les États-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël.

Violations israéliennes de l’accord de paix

Dans le même temps, le Parlement jordanien a documenté plus de 70 tentatives visant à sanctionner Israël pour ses violations de l’accord de paix au cours des 25 dernières années, notamment les demandes du gouvernement de fermer l’ambassade israélienne, d’expulser l’ambassadeur, de réduire la représentation diplomatique jordanienne à Tel Aviv, ou d’abolir complètement le traité.

Pourtant, aucun de ces mémorandums parlementaires n’a jamais été mis en œuvre, c’est pourquoi cette récente décision surprend. Cela suggère que la colère de l’opinion publique par rapport à l’accord a atteint un nouveau sommet, les politiciens réalisant que le traité n’a guère abouti, en particulier à l’ombre des actuelles violations israéliennes et avec le soutien inconditionnel des États-Unis à l’égard d’Israël.

C’est le message le plus puissant jamais envoyé par Amman – qui a estimé qu’il était le plus grand perdant de la saga sur Jérusalem – à destination de Tel Aviv et de Washington

Cela a été clairement démontré quand Israël a tué un juge jordanien en mars 2014 et deux citoyens jordaniens à l’intérieur de son ambassade à Amman en juillet 2017, ainsi que par le déménagement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Le traité de paix entre Amman et Tel Aviv reconnaît le rôle de la Jordanie dans la ville de Jérusalem et promet de ne pas changer la réalité de la ville sainte, sauf par le biais de négociations avec la Jordanie.

Il se pourrait que la controverse sur l’ambassade ait été le facteur le plus important dans la décision de la Jordanie d’annuler partiellement son traité avec Israël. À la fin de l’année dernière, des milliers de personnes ont manifesté devant l’ambassade des États-Unis à Amman pour protester contre la décision de l’administration Trump.

L’avenir des relations bilatérales

L’annulation des clauses concernant al-Baqura et al-Ghamr pourrait avoir une incidence importante sur l’avenir des relations bilatérales entre la Jordanie et Israël. C’est le message le plus puissant jamais envoyé par Amman – qui a estimé qu’il était le plus grand perdant de la saga sur Jérusalem – à destination de Tel Aviv et de Washington.

La récente décision de la Jordanie a amené les relations bilatérales au plus bas, après un gel de plusieurs mois des relations diplomatiques à la suite des meurtres de juillet 2017.

Le roi Abdallah II de Jordanie prononce un discours devant le Parlement à Amman le 14 octobre 2018 (AFP)

Au moment où les relations entre Amman et Tel Aviv se détériorent, les États du Golfe s’empressent d’ouvrir leurs relations avec Israël, ce qui signifie que ce dernier aurait peut-être trouvé une alternative arabe à la Jordanie. Des analystes israéliens spécialisés dans les affaires arabes ont évoqué une « crise profonde » impliquant la Jordanie, soulignant que le traité de paix pourrait se heurter à de nouvelles difficultés à l’avenir.

Dans le même temps, d’autres pays arabes s’efforcent de prendre la place de la Jordanie et de saper son rôle dans la région et dans le processus de paix

Outre les conséquences du transfert de l’ambassade des États-Unis, la Jordanie a également été perdante face aux récentes décisions de réduire leur financement à destination des réfugiés palestiniens, également considérées comme une violation du traité, qui stipule que la question des réfugiés sera réglée par le biais de négociations impliquant la Jordanie. La Jordanie abrite plus de deux millions de réfugiés palestiniens, pour lesquels l’ONU constitue une ressource importante.

La Jordanie considérait ce traité comme une garantie pour ses intérêts stratégiques. Les récentes décisions du président américain Donald Trump ont toutefois modifié les réalités sur le terrain sans tenir compte des intérêts de la Jordanie.

Pression populaire

Il existe également un facteur interne qui ne devrait pas être ignoré lorsque l’on considère la décision de la Jordanie de restaurer l’intégrité de son territoire : la pression populaire, importante au point que même le barreau jordanien a envoyé un avertissement officiel au gouvernement pour demander l’annulation des clauses du traité avant leur renouvellement automatique. 

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Dans l’ensemble, la décision historique prise par la Jordanie d’annuler une partie du traité de 1994 souligne les résultats insatisfaisants de 25 années de paix avec Israël, en particulier après les décisions américaines concernant Jérusalem et les réfugiés palestiniens. Dans le même temps, d’autres pays arabes s’efforcent de prendre la place de la Jordanie et de saper son rôle dans la région et dans le processus de paix.

Mohammad Ayesh est un journaliste arabe vivant actuellement à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le dôme du Rocher, dans le complexe de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem, le 21 août 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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