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Pourquoi la pression d’être « un bon immigrant » a touché Mesut Özil

La démission du milieu de terrain allemand fait partie d’un problème plus large que connaissent les personnes ayant un double héritage – l’Europe doit reconnaître que de telles identités ne peuvent pas être clairement compartimentées

Beaucoup se seront réveillés lundi avec cette information : Mesut Özil abandonne le football international. Il cite le « racisme et le manque de respect » comme principal motif, et évoque également les critiques qu’il a reçues après l’échec de l’Allemagne à dépasser les phases de groupe de la Coupe du monde en tant que facteur décisif.

La prestation de l’Allemagne et sa sortie prématurée de la Coupe du monde en ont choqué beaucoup, mais la couverture de celle-ci dans la presse allemande et les reproches faits à Özil ont été frappants.

Rhétorique de droite

Les discussions ont tourné autour d’Özil et plutôt que de se concentrer sur ses performances footballistiques, elles se sont plutôt intéressées à son allégeance à l’Allemagne, ou plutôt son absence d’allégeance. Le « manque de loyauté » d’Özil envers son pays, l’Allemagne, a été déterminé, semble-t-il, après qu’il a partagé une photo de lui-même lors d’une rencontre avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan en mai.

L’émergence de cette photo dans la sphère publique a créé un casse-tête. Mais l’utilisation, par les journalistes et les commentateurs, de la Coupe du monde comme vernis pour débiter ouvertement la rhétorique de droite fait partie d’un plus grand problème en Europe.

Certains pourraient faire valoir qu’il était naïf de la part de Özil de partager cette photo, mais la discussion ici ne porte pas sur la photo en tant que telle, mais plutôt sur le deux poids, deux mesures, sur les conséquences et sur le langage raciste utilisés pour rejeter Özil.

Ainsi que Özil s’interroge dans son communiqué : y a-t-il des critères pour être pleinement allemand que je ne satisfais pas ?

L’extrême droite est en essor à travers l’Europe, de nombreux partis politiques de droite prennent de la vitesse et remportent des sièges dans leurs Parlements respectifs. Cela a été rendu possible par l’accent mis sur l’immigration, les musulmans en tant qu’Autre et « l’intégration » à travers l’Europe.

Dans le cas de l’Allemagne, l’acceptation des réfugiés syriens dans le pays a donné lieu à un niveau de rhétorique de droite sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. La question qui se pose ici est la suivante : qu’y a-t-il dans la photo d’Özil avec Erdoğan qui a déclenché cette réaction menant à sa démission ? Ainsi que Özil s’interroge dans son communiqué : y a-t-il des critères pour être pleinement allemand que je ne satisfais pas ?

Traduction : « Benzema : “Quand je marque, je suis français, quand je ne marque pas je suis arabe”

Lukaku : “Quand les choses allaient bien, j’étais Lukaku l’attaquant belge… quand elles n’allaient pas bien, j’étais l’attaquant belge d’origine congolaise”

Özil : “Quand on gagne, je suis allemand. Quand on perd, je suis un immigrant” »
 
Prendre à partie Özil, dans ces circonstances, n’est pas une surprise car le ciblage des joueurs des minorités ethniques est facile et on tente de le justifier dans d’autres conversations entourant l’intégration, la loyauté et l’allégeance.

D’autres joueurs de la Coupe du monde 2018 ont soulevé des questions similaires sur la façon dont l’identité dont ils ont hérité est mise en avant lorsqu’ils sont en deçà de leurs performances – dans quels cas ils sont instantanément ostracisés – et ne sont incorporés dans l’identité nationale que lorsqu’ils jouent bien et obéissent aux stéréotypes relatifs à ce qui fait un bon enfant de parents immigrants.

D’autres joueurs de la Coupe du monde 2018 ont soulevé des questions similaires sur la façon dont l’identité dont ils ont hérité est mise en avant lorsqu’ils sont en deçà de leurs performances – dans quels cas ils sont instantanément ostracisés – et ne sont incorporés dans l’identité nationale que lorsqu’ils jouent bien

Alors que ces personnes sont nées et ont grandi dans leurs pays européens respectifs, leur éviction, à l’échelle nationale et internationale, se fait rapidement.

L’expérience allemande

Ce racisme est toujours une question de pouvoir. La précarité de l’attribution d’une identité agrégée aux personnes de couleur nées et élevées en Europe, c’est-à-dire germano-turc, belgo-congolais, franco-algérien, etc., montre à quel point celle-ci peut être désagrégée pour vous rappeler que vous n’avez jamais vraiment fait partie de ce pays en premier lieu.

C’est ce qu’avait compris Özil quand il demandait : « Mes amis Lukas Podolski et Miroslav Klose ne sont jamais évoqués comme étant germano-polonais, alors pourquoi suis-je germano-turc ? Est-ce parce que c’est la Turquie ? Est-ce parce que je suis musulman ? Je pense que c’est là une question importante. »

Özil (au centre), avec İlkay Gündoğan (à gauche) et le président turc Recep Tayyip Erdoğan (AFP)

Je suis une femme sud-asiatique d’origine bengalaise, née au Royaume-Uni mais élevée à Francfort en Allemagne pendant la plus grande partie de mon enfance. J’ai des souvenirs très vifs de la façon dont les élèves turcs et kurdes étaient traités dans mon école primaire puis secondaire. Après avoir terminé l’école primaire, il a été décidé pour moi que j’allais à la Gesamtschule, un collège général. 

Dans ce collège, la majorité des élèves étaient d’origine turque et kurde. J’ai observé comment les enseignants s’exprimaient avec un total dédain lorsqu’ils parlaient des élèves turcs et du manque de compétences parentales « correctes » de leurs parents. Mes parents, tout comme les parents turcs des autres élèves, parlaient allemand avec un accent.

Cependant, ma famille et moi avons été traités avec moins de suspicion et il nous a semblé que nous étions applaudis pour être de « bons immigrants » parce que nous nous sommes adaptés aux stéréotypes racistes et positifs des Sud-Asiatiques studieux, plus soumis et donc moins susceptibles de causer des problèmes.

Double héritage

Tant de ces souvenirs de mon enfance et de la façon dont mes amis turcs ont été maltraités me sont revenus après avoir lu les déclarations d’Özil. Le fait de devoir défendre ce que le joueur appelle son double héritage est une position familière dans laquelle de nombreuses personnes de couleur se sont retrouvées, relançant le débat sur l’intégration et comment celle-ci est utilisée comme prétexte pour que les immigrés abandonnent complètement les racines de leurs parents afin d’être pleinement acceptés.

La dualité peut toujours coexister et s’exprimer de manière interdépendante sans imposer une identité homogène

Ma famille a déménagé au Royaume-Uni après le 11 septembre 2001, craignant des représailles en Allemagne. Nous pensions que nous serions mieux protégés au Royaume-Uni avec l’aide de notre famille élargie.

Plusieurs années plus tard, je suis retournée en Allemagne en tant qu’assistante de langue anglaise avec le British Council. Cela a servi à rappeler que peu de choses avaient changé en Allemagne. Afin de m’aider à « m’intégrer » à l’école, le seul enseignant turc de l’école a été désigné comme mon « mentor ».

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Quand j’ai demandé à la directrice adjointe – qui était en fait mon contact direct avec le British Council – pourquoi c’était le cas, elle a répondu que parce que nous partagions la même foi, cela faciliterait mon intégration dans la nouvelle école. C’était alarmant, pour le moins qu’on puisse dire.

L’Europe, et l’Allemagne dans le cas présent, doit accepter que beaucoup d’entre nous ont un double héritage et que les identités ne peuvent pas être clairement compartimentées.

Lorsqu’un footballeur a activement pris la décision de jouer pour le pays dans lequel il est né et a grandi, cela ne signifie pas qu’il a abandonné son « autre » identité. La dualité peut toujours coexister et s’exprimer de manière interdépendante sans imposer une identité homogène. L’Allemagne, tout comme les autres pays européens, doit accepter ce fait et voir les gens de couleur selon leurs propres termes, à travers leurs propres expériences vécues et reconnaître que l’Europe change.

- Fatima Rajina est une universitaire spécialisée dans les questions liées à l’identité, à la race, aux musulmans britanniques et au postcolonialisme. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le milieu de terrain allemand Mesut Özil (à droite) lors du match de l’Euro 2016 entre l’Allemagne et la Slovaquie au stade Pierre-Mauroy à Villeneuve-d’Ascq, près de Lille, le 26 juin 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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