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Quo vadis ? La Libye post-Benghazi

Des interviews avec des membres d’Aube de Libye font état de la volonté de construire un pays inclusif, à contre-courant de l’image véhiculée en Occident.
Une campagne de désinformation concertée est en cours afin de susciter l’adhésion à une intervention militaire contre le gouvernement de Tripoli et dans la ville de Misrata, qui furent à la pointe du renversement de la dictature despotique de Kadhafi.
 
Il est ironique que ceux-là mêmes qui ont fait appel aux frappes de l’Otan en 2011 soient aujourd’hui étiquetés comme de dangereux « militants islamistes ». Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité.
 
Il semble que les décideurs politiques et les législateurs occidentaux aux Etats-Unis et en Europe, ainsi que les Nations Unies, soient mal informés. Ceci pourrait avoir des conséquences dramatiques pour le peuple libyen. Indubitablement, une guerre civile de longue durée en Libye décuplerait aussi le nombre de réfugiés fuyant vers l’Europe.
 
L’impact de Benghazi
 
Pour comprendre la différence entre fait et fiction, j’ai interviewé de hauts responsables du gouvernement libyen et de Fajr Libya, connu en français sous le nom d’Aube de Libye. Mon principal interlocuteur du côté gouvernemental était Mustafa Noah, directeur des services de renseignements libyens. 
 
Ce qui est apparu avec netteté tout au long de l’interview est que tant Noah et ses soutiens au sein du gouvernement de Tripoli qu’Aube de Libye sont favorables aux Etats-Unis et à l’Otan, qu’ils qualifient de « sauveurs de la Libye ».
 
Ils ont été sincèrement bouleversés par le meurtre de l’ambassadeur américain J. Christopher Stevens et de ses trois collègues à Benghazi. Stevens était considéré comme un « citoyen d’honneur de la Libye qui aimait le pays et ses peuples », et « par dessus tout, un hôte, dont le meurtre est sacrilège ».
 
Noah explique que les « auteurs ont payé un prix lourd pour leur crime, lentement mais sûrement ». Il est catégorique sur le fait que « les extrémistes islamistes takfiris sont clairement rejetés par Aube de Libye et par le gouvernement de Tripoli ».
 
Pendant quatre heures d’interview, Noah a montré qu’il était heureux d’aborder tous les sujets mais qu’il ne voulait pas être le centre d’intérêt ni apparaître comme s’il était en lice pour le pouvoir. Il a réitéré ce point par la suite. En fait, il a peu parlé de lui-même et de son propre rôle, malgré plusieurs tentatives d’amener la conversation dans cette direction.
 
Le point principal sur lequel Mustafa Noah a insisté est que le gouvernement de Tripoli et Aube de Libye tentent de mettre sur pied un gouvernement inclusif pour tous les Libyens. Son opinion est que les opposants – spécifiquement le général libyen à la retraite Khalifa Hafter – ne sont « préoccupés que par la consolidation de leur propre base de pouvoir ».
 
De plus en plus d’éléments indiquent que le coup de force actuel d’Haftar serait mené avec le support du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi et ses soutiens saoudiens et émiratis. A titre d’exemple, les opérations de bombardement transfrontalières par MIG-21, qui constituent des crimes de guerre dans la mesure où elles ne sont ni provoquées ni revendiquées. Ou encore, l’achat récent de six chasseurs Sukhoi Su-30 livrés à Tobrouk par le président russe Vladimir Poutine, qui aurait été effectué par l’Egypte grâce à des fonds venus probablement des pays arabes du Golfe.
 
Pendant l’interview, Mustafa Noah semble sincère, abordant chaque sujet de manière humble, équilibrée et réfléchie.
 
Il ne s’est jamais exprimé sur ses propres accomplissements, se concentrant plutôt sur les intérêts du peuple et l’accomplissement des objectifs de la révolution que sont le changement, la stabilité et la prospérité pour l’ensemble des Libyens.
 
Noah est apparu sincèrement révolté à l’idée que quelqu’un comme Haftar, qui « travaille pour ses intérêts personnels restreints et son autopromotion », puisse réussir à renforcer son propre pouvoir sans égard pour le peuple.
 
Il indique qu’Haftar « a recours aux méthodes du diviser pour mieux régner apprises lorsqu’il était l’un des proches de la dictature de Kadhafi ». Noah trouve « l’idée qu’un ‘’homme fort’’ prenne le pouvoir particulièrement offensante et répugnante à la lumière de l’histoire récente de la Libye ».
 
Le directeur des services de renseignements libyens a visiblement une grande confiance dans les compétences d’Aube de Libye, sans leur être toutefois aveuglement dévoué. Lorsque je lui ai lu la liste des différents groupes, milices et brigades qui composent Aube de Libye, et que j’ai posé des questions sur la nature de certains d’entre eux, il les a décrits comme également en faveur de la révolution et composé d’individus de qualité.
 
Il affirme que tout groupe qui ne se concentrerait pas sur l’esprit de la révolution, à savoir la lutte contre la corruption, la violence politique arbitraire, etc., ne pourrait faire partie d’une future Libye vivant en paix, stabilité et prospérité. 
 
Mustafa Noah est profondément attaché au peuple libyen, à la création de meilleures institutions, d’opportunités d’emploi, de services sociaux, éducatifs et de santé.
 
Il souhaite un « futur inclusif » pour la Libye. Il évoque « l’ancien système tribal et manipulateur mis en place par Kadhafi » et croit fermement que cette « mentalité doit changer pour que le pays puisse progresser ». Pour Noah, le caractère inclusif du futur Etat libyen implique d’être « ouvert à la possibilité que des anciens du régime de Kadhafi retournent à la vie publique, dès que la stabilité sera acquise ».
 
Le conseiller spécial de Mustafa Noah en matière de lutte contre le terrorisme, qui a rejoint la conversation en cours, a lui-même fait partie du régime de Kadhafi pendant 37 ans. Pour Noah, le gouvernement de Tripoli et Aube de Libye, « il y a de la place pour les gens du régime de Kadhafi capables de prouver qu’ils ne volaient pas le peuple libyen ou… qu’ils n’étaient pas impliqués dans des atrocités contre le peuple ». 
 
Quo vadis Libya 2015 ? 
 
Ce qui ressort de ma visite récente à Tripoli et Misrata est que la mainmise d’Haftar a davantage à voir avec les ressources en pétrole et en gaz de la Libye, convoitées par ses voisins, qu’avec les diversions relatives aux « islamistes militants de Tripoli et Misrata » qui abondent dans les médias.
 
L’histoire de la Libye en 2015 est celle de la désinformation, des mensonges et de la prise de pouvoir en cours, clandestinement soutenue par les Egyptiens et leurs homologues saoudiens et émiratis. 
 
Que vont faire les Etats-Unis et les Européens ? Vont-ils participer à ce nouveau « Grand jeu » ou mettre un terme à cet imbroglio à la syrienne qui se joue sous nos yeux et contribue à l’émergence  d’organisations militantes extrémistes takfiris comme l’Etat islamique, susceptibles de menacer la paix et la stabilité en Méditerranée et au-delà ?
 
- Christopher Occhicone est un photojournaliste américain basé à New York qui a récemment séjourné en Libye. 
 
Article traduit de l’anglais (version originale).
 
Légende photo : Manifestants libyens lors d’un rassemblement en support de l’Aube de Libye tenu sur la place des Martyrs, au centre de Tripoli, le 26 septembre 2014 (AFP).
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