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Réconciliation palestinienne : pourquoi elle est possible aujourd’hui

L’affaiblissement du Hamas, l’opinion publique gazaouie en faveur d’un accord et le problème de sécurité chronique qui touche le Sinaï égyptien font que les efforts de réconciliation palestiniens porteront leurs fruits cette fois-ci

Pour une fois, toutes les parties concernées semblent vouloir voir une réconciliation palestinienne se produire. Chaque acteur a évidemment ses propres raisons. Cela dit, il n’aurait pas été possible d’aller aussi loin et aussi vite sans la crise humanitaire de plus en plus grave que subit Gaza et sans la situation de plus en plus inconfortable dans laquelle le Hamas, qui contrôle la bande côtière, se trouve en conséquence.

Il ne fait aucun doute que le siège imposé à Gaza par Israël et l’Égypte a atteint ses objectifs. La vie est devenue si insupportable que l’opinion publique dans la bande de Gaza est en grande majorité favorable à un accord censé promettre d’atténuer la pression. Cela a incité le Hamas à se dire prêt à faire des concessions qui étaient jusque récemment inconcevables.

L’étendue complète de ces concessions reste floue et l’accord qui fait l’objet des discussions actuelles est plongé dans l’ambiguïté.

Ce que l’on sait pour l’instant, c’est que le Hamas a accepté de dissoudre sa propre commission administrative en charge de Gaza en tant que prélude à la remise du contrôle de la bande à l’Autorité nationale palestinienne (ANP ou AP) basée à Ramallah. Dans le cadre du nouvel arrangement, le Hamas devrait abandonner le contrôle des postes frontaliers avec l’Égypte et Israël.

Les Gazaouis ne sont pas seulement épuisés à cause du siège et ne veulent pas seulement que celui-ci prenne fin : ils sont également fatigués d’être encore et toujours prisonniers des vieilles rivalités

Alors que certains dirigeants du Hamas ont soutenu que la force militaire du mouvement n’était pas négociable, des porte-parole du Fatah insistent sur le fait que le rétablissement de l’AP à Gaza devrait signifier la fin de toutes les manifestations militaires extérieures au giron de l’AP. On ne peut concevoir que les Américains et les Israéliens, qui seraient favorables à l’effort actuel de réconciliation, se contenteront d’autre chose que du démantèlement d’al-Qassam, la branche militaire du Hamas. Cette position serait aussi celle du gouvernement égyptien.

De nouveaux dirigeants

L’autre facteur important qui a entraîné un revirement de position du Hamas a été l’élection de nouveaux dirigeants. Au cours de la dernière décennie, le Hamas a développé une structure organisationnelle complexe composée de trois administrations régionales – une pour Gaza, une deuxième pour la Cisjordanie et une troisième pour la diaspora – ainsi que d’une administration globale.

En février 2017, de nouveaux dirigeants ont été élus pour la région de Gaza, avec à leur tête Yahya Sinouar, un prisonnier de guerre libéré. Quelques mois plus tard, Ismaël Haniyeh a été élu nouveau chef du leadership global. Les deux hommes sont basés à Gaza.

Par le passé, le processus décisionnaire au sein du Hamas était laborieux. Le chef du bureau politique devait consulter les dirigeants de chaque région ainsi que ses camarades de la structure globale. Lorsque l’ancien chef du Hamas Khaled Mechaal a enfreint un jour cette norme en consentant individuellement et sans consultation à une proposition d’accord avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, il a été sévèrement critiqué, en particulier par les figures du Hamas à Gaza.

Un policier monte la garde alors que des enfants palestiniens attendent l’arrivée du Premier ministre palestinien Rami Hamdallah et de son gouvernement à Erez, dans le nord de la bande de Gaza, le 2 octobre 2017 (Reuters/Mohammed Salem)

Aujourd’hui, c’est tout le contraire qui se produit. Les dirigeants du Hamas à Gaza sont accusés de ne pas prendre la peine de consulter quiconque. Ce n’est plus un secret pour personne que la tension monte au sein du mouvement depuis que Sinouar a décidé, singulièrement, de rencontrer son ancien camarade de classe Mohammed Dahlan, proche associé du prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed ben Zayed et ennemi juré du Hamas, et d’entamer des négociations avec lui.

Sinouar a cependant le mérite d’être, semble-t-il, cohérent avec l’état d’esprit de la population gazaouie. Les Gazaouis ne sont pas seulement épuisés à cause du siège et ne veulent pas seulement que celui-ci prenne fin : ils sont également fatigués d’être encore et toujours prisonniers des vieilles rivalités. Dahlan était le principal responsable de la sécurité du Fatah lorsque la guerre a éclaté entre le Fatah et le Hamas dans la bande de Gaza en juin 2007, entraînant la mort de dizaines de personnes dans les deux camps et, au final, la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza et par le Fatah en Cisjordanie.

Le Hamas pourrait revenir graduellement à une version modifiée de ce qui existait avant décembre 1987, à savoir un mouvement socioreligieux

Aujourd’hui, les nouveaux dirigeants du Hamas veulent tourner cette page sombre de l’histoire de la bande de Gaza. Les rencontres au Caire entre le Hamas et Dahlan, qui dispose aujourd’hui de la loyauté de près de la moitié des membres du Conseil législatif palestinien issus du Fatah et qui représente un sérieux rival pour le président Mahmoud Abbas, ont ouvert la voie à ce qui est décrit comme la réconciliation communautaire.

Avec le financement des Émirats arabes unis et la coopération de l’Égypte, Dahlan a mis en place un fonds d’indemnisation pour les familles disposées à intégrer un programme visant à panser les vieilles plaies. D’après Reuters, chaque famille peut recevoir la somme de 50 000 dollars en échange de leur renoncement public à la vengeance suite au décès de proches.

Enfin, le Hamas s’est considérablement affaibli au cours des dernières années. Depuis 2008, il a été la cible de trois campagnes militaires israéliennes majeures et de nombreuses attaques et incursions à plus petite échelle. Cependant, le développement le plus dévastateur a été le succès des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans leur opération visant à contrecarrer le Printemps arabe.

Le coup d’état militaire de 2013 en Égypte a été un coup particulièrement catastrophique porté au Hamas. Depuis lors, le mouvement est déserté et assiégé. Le désaccord avec l’Iran sur la Syrie a coûté des centaines de millions de dollars de parrainage iranien à son administration gazaouie, sans parler de la perte du soutien militaire et logistique que lui apportaient à la fois l’Iran et la Syrie.

Les jeunes membres de la famille Bakr se promènent sur la plage de la ville de Gaza, où une attaque aérienne israélienne a tué quatre enfants de leur famille pendant la guerre de l'été 2014 (AFP)

La fin d’une ère

La réconciliation palestinienne devrait réussir cette fois-ci parce que toutes les parties concernées le souhaitent. L’Égypte connaît un problème de sécurité chronique dans le Sinaï et a désormais réalisé que Gaza pouvait faire partie de la solution plutôt que du problème. Les États arabes contre-révolutionnaires, en particulier les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, estiment que la réconciliation ouvrirait la voie à des relations diplomatiques et commerciales officielles avec Israël.

Ce n’est un secret pour personne que ces pays arabes meurent d’envie d’afficher en public leurs liens avec Israël, mais l’absence de progrès dans le processus de paix les en empêche. Ils estiment qu’une fois que le Fatah et le Hamas se seront réconciliés, l’AP et Israël pourront reprendre les pourparlers sur le statut final et qu’une fois que le conflit israélo-palestinien sera complètement résolu, ils pourront justifier la fin de leur propre hostilité publique à l’égard d’Israël.

Il est donc très probable que le succès de la réconciliation palestinienne marque la fin d’une ère et le début d’une autre dans l’histoire de la résistance palestinienne. Si tel est et le cas et si cela est permis un jour, le Hamas pourrait, sous ces nouveaux termes, revenir graduellement à une version modifiée de ce qui existait avant décembre 1987, à savoir un mouvement socioreligieux. Mais le permettra-t-on un jour ? Avec l’armée à la tête de l’Égypte, on peut en douter fortement.

Azzam Tamimi est un universitaire et activiste politique palestino-britannique. Il est actuellement président et rédacteur en chef de la chaîne de télévision Alhiwar.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : poignée de mains entre le Premier ministre palestinien Rami Hamdallah (à gauche) et le chef du Hamas, Ismaël Haniyeh, dans la ville de Gaza, le 2 octobre 2017 (Reuters/Ibraheem Abu Mustafa).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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