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Sissi va gagner. Et ensuite, il ne pourra que perdre

Le président égyptien est une bête capturée, prise dans les filets de ses propres mensonges, sans réel dénouement en vue

Quel sera exactement le dénouement pour le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi ? 

Il ne fait aucun doute que Sissi se verra offrir un second mandat à l’issue des élections présidentielles du mois prochain. Son régime a arrêté ou réduit au silence tous ses adversaires potentiels, dont l’ancien chef d’état-major Sami Annan.

Le candidat d’Annan à la vice-présidence, Hisham Geneina, l’ancien chef de l’autorité de lutte contre la corruption en Égypte, a depuis été agressé par des voyous près de son domicile puis arrêté.

La chute spectaculaire d’Annan est survenue après qu’un autre ancien général de l’armée, Ahmed Chafik, a tenté en vain de se joindre à la course. Peu de temps après, Khaled Ali, avocat des droits de l’homme et ancien prétendant à la présidence, a retiré sa candidature, pour des raisons évidentes.

L’opposition réprimée

Pourtant, la répression continue.

Le 15 février, Abdel Moneim Aboul Fotouh, candidat aux élections présidentielles de 2012 et homme politique islamiste, a été arrêté à son domicile. Son parti, Pour une Égypte forte, a depuis suspendu ses activités ; moins d’une semaine plus tôt, la police avait arrêté le chef adjoint du parti, Mohamed el-Kassas, accusé d’avoir « rejoint et financé un groupe interdit ».

Depuis les élections de 2012, Aboul Fotouh a perdu quasiment toute pertinence dans un échiquier politique qui a totalement émasculé presque tous les sycophantes de Sissi. Il a été clairement pris pour cible après la diffusion par le média qatari interdit Al-Jazeera d’une interview dans laquelle il a critiqué Sissi et poursuivi son appel au boycott des élections, ce qui lui a valu des accusations théâtrales et risibles – on lui a notamment reproché de « perturber la stabilité du pays » et d’« accentuer les crises actuelles ».

Plus récemment, au début du mois de mars, deux activistes de gauche situés de l’autre côté du spectre politique, Gamal Abdel Fattah, 72 ans, et Hassan Hussein, 62 ans, ont été appréhendés à leur domicile puis ont disparu.

Une semaine plus tard, le service du procureur général de la sûreté de l’État les a officiellement placés en détention dans l’attente d’une enquête, les accusant d’avoir « rejoint un groupe terroriste, utilisé les réseaux sociaux pour diffuser les idées de ce groupe, incité à commettre des actes terroristes et diffusé de fausses nouvelles ».

Sur le front des médias, la BBC a également été poussée dans l’œil d’un cyclone politique après avoir diffusé un court documentaire et un reportage mettant en lumière ce qu’elle a décrit comme des disparitions forcées et des actes de torture commis par des organes de sécurité dirigés par Sissi. 

Peut-être que le trait le plus insidieux de cette mascarade politique est qu’elle dépend de gains de temps – le temps que Sissi passera à salir les médias dissidents, à diffamer et arrêter ses détracteurs et à renforcer l’emprise de l’appareil militaire sur le pouvoir

Le reportage a souligné le cas de Zubaida, une femme de 23 ans dont la mère, qui est apparue en larmes, a décrit la violation « indescriptible » commise contre sa fille en détention et affirmé qu’elle ne l’avait pas vue depuis une année entière. Mais ses arguments ont été retournés lorsqu’une chaîne pro-gouvernementale, ONTV, a diffusé avec l’aide du ministère de l’Intérieur, selon l’animateur Amr Adib, un entretien extrêmement douteux dans lequel Zubaida réfutait toutes les déclarations de sa mère.

La mère et son avocat ont depuis été arrêtés.

Le Service d’information de l’État, qui accorde les licences aux membres de la presse étrangère, a également appelé au boycott officiel de la BBC jusqu’à ce qu’elle présente des excuses pour sa « violation des normes professionnelles et éthiques ».

Mais le bras long de la « loi » a également atteint les « pom-pom girls » notoires du régime à la télévision nationale, comme Khairy Ramadan, qui a été brièvement arrêté puis libéré sous caution pour avoir « diffamé la police » suite à la diffusion d’un programme dans lequel une femme de policier se plaignait de conditions de vie difficiles. 

Abdel Moneim Aboul Fotouh lors d’une interview au Caire, en 2011 (AFP)

Quelques jours auparavant, le procureur général avait ordonné des poursuites contre les médias qui publient de « fausses nouvelles et rumeurs » ; Sissi avait ensuite surenchéri en déclarant que toute insulte d’une organisation de presse contre l’armée ou la police constituait un acte de diffamation à l’encontre du pays et relevait de la « trahison » plutôt que de la liberté d’opinion.

Les écoles publiques ont depuis reçu l’ordre d’ajouter un chant d’entraînement militaire à leur rituel quotidien du matin, alors que l’armée poursuit dans le Sinaï une campagne au cours de laquelle des écoles et des habitations sont démolies sans aucun discernement.

Le régime au plus mal

Les actes d’arrestation en eux-mêmes et l’explosion de l’hégémonie des institutions étatiques n’ont rien de nouveau ou d’inattendu. La véritable question est de savoir ce qu’indique cette escalade quant à l’« état d’esprit » du régime.

Le fait que ce gaz ait été volé aux Palestiniens ne semble pas poser de problème d’ordre moral à Sissi, dont les tractations avec Israël sont en train de déclencher une lente tempête dont il n’est certainement pas inconscient

Le régime de Sissi est clairement déterminé à détruire toutes les voies vers un transfert pacifique du pouvoir. Alors que ses partisans considéreront que cette répression frénétique renforce le « chef fort et inspiré », un rôle mythique que Sissi s’est faussement attribué, la vérité est tout à fait contraire sous la surface.

Le régime égyptien est au plus mal depuis le coup d’État de 2013. La popularité de Sissi a considérablement faibli au fil des années, à mesure que ses agissements en ont dit long sur des sujets brûlants, notamment la cession des îles de la mer Rouge de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite, la mauvaise gestion de la crise de l’eau imminente liée à la construction du barrage de la Renaissance éthiopien et l’incapacité du régime à écraser une insurrection menée par l’État islamique dans le Sinaï. 

De la fumée s’échappe suite à une explosion dans la péninsule égyptienne du Sinaï, où l’État lutte contre une insurrection, le 28 novembre 2017 (AFP)

Une enquête du New York Times publiée le 3 février dernier a révélé qu’en raison de cet échec, et depuis plus de deux ans, « des drones, des hélicoptères et des avions israéliens non identifiés mènent une campagne aérienne secrète et ont procédé à plus de 100 frappes aériennes en Égypte » avec l’approbation de Sissi.

La nouvelle a provoqué une vague de dénégations indéfendables formulées par le régime et ses apologistes aux larmes de crocodile ; pourtant, moins d’un mois plus tard, Sissi a annoncé avoir « marqué un but » avec un contrat de gaz naturel de 15 milliards de dollars signé avec Israël.

Selon Haaretz, Delek Drilling et son partenaire américain, Noble Energy, ont signé l’accord pour vendre un total de 64 milliards de mètres cubes de gaz sur une période de dix ans à la société égyptienne Dolphinus Holdings, ce qui, selon les observateurs, pourrait ouvrir la voie à une coopération plus large et aider à faire de l’Égypte une plate-forme d’exportation pour le gaz israélien.

Le fait que ce gaz ait été volé aux Palestiniens ne semble pas poser de problème d’ordre moral à Sissi, dont les tractations avec Israël sont en train de déclencher une lente tempête dont il n’est certainement pas inconscient.

Un parlement aux ordres de Sissi

Une fois que Sissi aura attrapé son deuxième mandat, il continuera de jouer le rôle du sauveur. À ce moment-là, il battra le fer pendant qu’il sera chaud et, dans l’extase de son faux triomphe, intensifiera la « guerre contre le terrorisme » pour justifier un amendement constitutionnel qui lui garantirait potentiellement le pouvoir à l’infini.

Le Parlement aux ordres de Sissi lui obéira naturellement, mais même au cas où il se heurterait à une quelconque opposition, les prochaines élections législatives prévues en 2020 sont idéalement placées à mi-parcours de son second mandat, à un moment où tout fauteur de troubles pourra être évincé.

À LIRE : Pourquoi Israël a misé sur Sissi

Peut-être que le trait le plus insidieux de cette mascarade politique est qu’elle dépend de gains de temps – le temps que Sissi passera à salir les médias dissidents, à diffamer et arrêter ses détracteurs et à renforcer l’emprise de l’appareil militaire sur le pouvoir. 

Cela dit, le règne de ce despote débridé dans le pays le plus important de la région n’est ni un signe de confiance, ni du pragmatisme – c’est le battement de queue d’une bête capturée, prise dans les filets de ses propres mensonges, sans réel dénouement en vue, mais sauvée uniquement par une série de gains à court terme qui ne feront que retarder sa chute incontestablement imminente. 

Moubarak ne l’a jamais vue venir, et Sissi ne tiendra jamais trente ans.  

- Rania Elmalky est l’ancienne rédactrice en chef (de 2006 à 2012) du journal Daily News Egypt, basé au Caire, qui était le partenaire local de l’édition de l’International Herald Tribune. Elle est actuellement pigiste pour diverses publications.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi roule à vélo lors d’un suivi des programmes de formation et de réhabilitation à l’Académie militaire du Caire (Égypte), le 19 février 2018 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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