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Syrie : voici ce qui arrivera si la révolution est vaincue

Si l’on retourne au statu quo qui existait sous Bachar al-Assad, la Syrie sera le théâtre d’un programme sans précédent de ré-ingénierie ethnique

Si la perte d’Alep annonce la fin de la révolution syrienne, le résultat serait catastrophique pour le pays et l’ensemble de la région.

Alep, restée assiégée pendant des mois, n’est pas le seul champ de bataille. Qu’elle soit occupée par le régime ne devrait pas changer le cours de la guerre. Le régime est affaibli. Il a perdu contrôle et souveraineté et il est donc encore possible de l’abattre. Plus d’une fois au cours des six années passées, il a chancelé jusqu’au bord de l’effondrement.

Comme les autres révolutions arabes, tout a commencé en Syrie avec un soulèvement populaire pacifique. Personne dans ses rangs n’avait l’intention de recourir à la force. Les Syriens ont été obligés de se défendre et de défendre leurs proches parce que le reste du monde n’a rien fait pour dissuader le régime de poursuivre sa sanglante persécution, et n’y a pas mis fin.

Si la révolution syrienne s’est transformée en confrontation armée, ce n’est qu’après des mois de manifestations de masse depuis mars 2011 et seulement après que la rébellion de quelques officiers militaires et soldats, qui, pour assurer la protection du mouvement populaire, ont constitué les premières cellules militaires libres.

La révolution n’était pas une guerre civile et ce n’est pas ce que les Syriens voulaient en faire. Il n’avait jamais été question de monter une partie de la population contre l’autre.

La révolution était, et il en a été encore ainsi pendant des années, l’expression d’un profond mouvement populaire, visant à construire une nouvelle Syrie, rendre leur liberté à  l’ensemble du peuple syrien et à instaurer un système juste et démocratique.

Mais la révolution est en réalité devenue un mouvement armé de libération nationale, puis une guerre civile, et le régime en porte la plus grave responsabilité. Il a juré, dès le début, d’écraser par la force armée ce mouvement populaire et a refusé tout compromis.

« À Hama, nous leur avons donné une leçon qui les a réduits au silence pendant 40 ans, et celle que je vais leur donner cette fois-ci les fera taire pendant un siècle »

- Bachar al-Assad

Fin mars 2011, le président Bachar al-Assad a tenu une réunion dans son bureau à Damas. Y participaient un haut fonctionnaire du Hezbollah, le commandant de la force Quds des Gardiens de la révolution iranienne Qasem Suleimani, le ministre irakien de la sécurité nationale et le frère du président, Maher al-Assad. Voici ce qu’Assad leur déclara : « Nous leur avons donné une leçon à Hama qui les a réduits au silence pendant 40 ans, et celle que je vais leur donner cette fois-ci les fera taire pendant un siècle »

À qui faisait allusion le président ne laissait aucun doute. Et ce n’était pas des paroles en l’air. Les choix du régime et ses politiques étaient foncièrement confessionnels. Il s’agissait de diviser les Syriens entre sunnites rebelles et alawites fidèles à son régime.

Dès que le régime comprit qu’il serait incapable de réprimer ses opposants et de leur infliger une défaite, il a appelé à  la rescousse les milices confessionnelles du Liban, du Pakistan et d’Afghanistan, et sollicité l’aide massive de l’armée iranienne. Et quand toutes eurent échoué les unes après les autres, il n’a pas hésité à inviter les Russes à prendre le relais.

Un pays infernal

Si la révolution devait être vaincue, et statu quo avoir le dessus, le pays restera sous la férule du régime d’Assad et le pays restera occupé par des puissances et milices étrangères.

La majorité syrienne devra subir les affres d’un régime rendu d’autant plus malfaisant et oppressif qu’il a écrasé la révolution du printemps 2011. Ce régime, qui a perpétré tant de massacres, n’engagera évidemment aucune véritable réforme.

La Syrie sera le théâtre d’un processus de réingénierie démographique confessionnel, comme elle n’en a jamais connu

En d’autres termes, si la révolution échoue, la Syrie se transformera pour la majorité de Syriens en un pays infernal, un enfer encore plus répressif et affreux que tout ce que les Syriens ont connu pendant les six années passées.

Les réfugiés ne pourront pas s’en retourner chez eux et la Syrie sera le théâtre d’un programme démographique sans précédent de réingénierie confessionnel. Avant même la fin de la révolution, certains cercles au sein du Hezbollah ainsi qu’à l’intérieur de l’Iran parlaient déjà de l’identité chiite d’Alep et de vider les quartiers sunnites de l’ouest de Damas pour reléguer ces populations près des frontières libanaises.

Si la révolution échoue, le Moyen-Orient sera le théâtre d’un déséquilibre majeur du pouvoir, qui menacera de plonger la région dans une instabilité persistante.

Quelques tentatives sont actuellement engagées en faveur de négociations nationales en Irak, en vue de restituer l’équilibre national à l’intérieur du pays une fois terminée la bataille de Mossoul.

Si on laisse l’Iran gagner en Syrie, ces efforts auront tôt fait d’avorter et l’Iran se vantera d’avoir imposé son contrôle stratégique sur toute la région s’étendant de Basra, au sud de l’Irak, jusqu’à la côte syrienne.

En fait, une telle hégémonie ne servira pas vraiment les intérêts de l’Iran, parce qu’elle ne fera qu’enflammer toujours plus de guerres dans la région et infligera de sévère meurtrissures à son propre peuple et aux populations musulmanes chiites dans l’ensemble du Moyen-Orient. Ce ne sera pas non plus un bienfait pour les autres pays de la région, qui subiront en leur sein des éruptions de violence confessionnelle, voire des guerres civiles.

La politique de l’Iran dans la région n’a guère fait preuve d’une grande rationalité au cours des deux décennies passées et l’illusion d’avoir gagné la guerre sanglante en Syrie ne la rendra en rien plus rationnelle.

Cette instabilité ne sera pas confinée aux pays arabes mais elle touchera aussi la Turquie, qui se trouvera face à un mur confessionnel qui l’isolera de son voisin arabe au sud, et à un siège aérien des Russes, à partir des bases aériennes au sud de la Russie, en passant par le nord de la Géorgie et de la péninsule de Crimée pour aboutir au contrôle total de l’espace aérien syrien par les Russes.

Pas le moment de se rendre

La poursuite de la révolution n’a donc rien de futile. Ce n’est pas non plus un combat pour le « plaisir ». Avec un peu de patience et de ténacité, cette révolution pourra encore vaincre. En réalité, elle a toujours été tout près de réussir.

Depuis le début de la révolution, le régime n’a jamais été plus faible qu’aujourd’hui, tant au plan de ses capacités militaires et économiques qu’au niveau du contrôle qu’il exerce sur le pays et à son aptitude à imposer la souveraineté de l’État.

Retourner à une vie d’asservissement sous la férule de la minorité fasciste ou poursuivre la révolution jusqu’à la victoire totale

Ce régime n’existe que dans moins d’un tiers du pays et, même dans ce tiers-là, il partage le contrôle du territoire avec les milices chiites qui ont déferlé de plusieurs pays, en plus des unités iraniennes et russes. Même avec tout le soutien qu’il reçoit de ses alliés, ce régime est incapable de mener deux batailles importantes en même temps.

Tadmur (Palmyre) est une illustration du réel pouvoir militaire de ce régime. Il n’est pas vrai que les seules milices afghanes se soient engagées à protéger l’existence du régime à Tadmur, puisqu’on trouvait dans cette ville des troupes régulières syriennes et des unités russes.

Selon des sources russes, le chef des forces de cette région ainsi que la majorité de ses troupes ont pris la fuite dès que le groupe État islamique (EI) a lancé son assaut contre Tadmur. C’est pourquoi les Russes ont dû mener pendant des heures une campagne de frappes aériennes, simplement pour protéger la retraite de leurs propres troupes.

Syrie : le nouveau Viêt Nam

La Syrie ressemble aujourd'hui au Viêt Nam du début des années 1970 ou à l’Afghanistan du milieu des années 1980. Tant au Viêt Nam qu’en Afghanistan, le régime a pris le contrôle de la capitale, dirigé un quasi-État et instauré un semblant d’institutions publiques. Il ne représentait qu’une petite minorité et son existence n’a été assurée et protégée que grâce à la présence d’une puissance étrangère majeure.

Dans les deux cas, il ne fut pas indispensable d’infliger aux forces étrangères une défaite militaire décisive. Il a suffi de les épuiser et de rendre leur présence dans le pays insupportable, soit parce qu’elles essuyaient continuellement de lourdes pertes, soit du fait des protestations de l’opinion publique dans leur propre pays.

À la différence de ce qui se passe en Syrie, où les forces révolutionnaires contrôlent de vastes territoires dans tout le pays, les résistants dans ces deux cas n’ont réussi à s’imposer concrètement au sud du Viêt Nam et en Afghanistan que vers la fin de la guerre.

Les Syriens sont face à un choix sans la moindre ambiguïté ou confusion, même suite à l’occupation d’Alep. Soit le retour à une vie d’asservissement sous la férule de la minorité fasciste ou poursuite de la révolution jusqu’à la victoire totale.

La victoire n’est pas seulement possible : il ne fait aucun doute qu’elle est en fait inévitable. Mais la première condition pour remporter cette victoire est la reconstruction du bras armé de la révolution sous la bannière de l’Armée syrienne libre et l’émergence de dirigeants politiques unis autour d’une vision claire de l’avenir de la Syrie et de son peuple.

- Basheer Nafi est chargé de recherche principal au Centre d’études d’Al-Jazeera.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo. 18 décembre 2016 : les Syriens évacués d’Alep arrivent dans la région de Khan al-Assal à l’ouest de la ville (AFP)

Traduit de l’anglais (original) par [email protected].

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