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Tempête de sable dans le scandale des aides au Sahara occidental

Un rapport révélant une fraude à l’aide destinée aux réfugiés sahraouis met en doute le rôle de l’Algérie dans le problème non résolu du Sahara occidental

Avec l’impasse du conflit au Sahara occidental entrant maintenant dans sa cinquième décennie et n’étant apparemment pas près d’être résolu, il n’est guère surprenant que beaucoup de personnes aient du mal à comprendre exactement ce qui se passe.

À la fin de 1975, le régime sur le déclin de Franco avait essayé maladroitement de se dégager de ses responsabilités coloniales dans la région : le Maroc entreprenait sa maintenant grandement idéalisée « Marche verte » et les camps de réfugiés sahraouis dans la région de Tindouf en Algérie étaient en cours d’installation. Plus important encore, la Cour internationale de justice avait déterminé que la population autochtone, les Sahraouis, était propriétaire de la terre et donc possédait le droit à l’autodétermination.

À cette époque, j’avais juste terminé plus de dix années d’étude et un doctorat sur les Touaregs du Sahara algérien, mais avais soigneusement évité toute implication directe dans le développement du conflit du Sahara occidental. Même alors, toute revendication d’expertise sur la région semblait être un ticket « long-courrier ». Et cela s’est avéré l’être.

À ce moment-là, les droits et les torts du conflit ne faisaient aucun doute : l’acquisition du Sahara occidental par le Maroc était « illégale » et pour ceux qui rêvaient ou luttaient pour une Afrique indépendante, les droits du Front Polisario (Front populaire de Libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro) soutenu par l’Algérie, représentant non-officiel des Sahraouis du Sahara occidental, étaient sans équivoque.

Jusqu'à récemment, cela n’a pas changé. En outre, l’Algérie a été en mesure de se tenir à un niveau de moralité élevé , malgré la violation des droits de l’homme de ses propres citoyens et des Sahraouis dans les camps de Tindouf et la preuve grandissante de l’implication du Front Polisario avec les services secrets algériens - le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) -, le terrorisme, le trafic de drogues et autres criminalités.

Mais plus maintenant. Début février 2015, l’Algérie a perdu sa crédibilité dans le conflit du Sahara occidental. La cause en est la publication par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) d’un rapport sur des décennies de détournement impliquant des Algériens et des autorités du Front Polisario de l’aide humanitaire destinée aux réfugiés sahraouis vivant dans les camps de Tindouf sous contrôle du Front Polisario.

Le rapport de l’OLAF, basé sur les résultats d’une enquête commencée en 2003 et rédigée en 2007 mais non publiée publiquement avant 2015, révèle que l’Algérie détourne depuis des décennies une grande partie de l’aide destinée aux camps de Tindouf, au détriment des réfugiés sahraouis.

D’après l’OLAF, le détournement était concentré au port algérien d’Oran, où une grande partie des aides était détournée de sa destination, Tindouf. Nourriture et médicaments de qualité destinés aux camps étaient remplacés par des produits de moindre qualité par les fraudeurs qui les revendaient en Algérie ou dans les pays voisins.

Il y a trois questions évidentes : pourquoi l’Union européenne n’a-t-elle pas publié le rapport lorsqu’il a été rédigé, pourquoi a-t-il été publié cette année, et pourquoi l’Union européenne a-t-elle été aussi négligente dans sa supervision et ses responsabilités ?

« Rapport détruit sur la fraude aux aides » de l’Union européenne

L’Union européenne jusqu’à présent reste silencieuse sur les deux premières questions, même s’il est généralement présumé que le rapport n’a pas été publié plus tôt car l’Union européenne ne voulait pas embarrasser l’Algérie.  En effet, j’ai des preuves concrètes que l’Union européenne a détruit un autre rapport en 2010, condamnant également des pratiques algériennes similaires. On spécule que la décision de publier le rapport maintenant pourrait être liée avec la rebuffade donnée à une délégation parlementaire de haut niveau de l’Union européenne en visite en Algérie en novembre 2014.

Amar Saïdani, le secrétaire général du Front de libération nationale d’Algérie (FLN), a essayé d’empêcher la délégation de rencontrer les dirigeants politiques d’autres partis politiques que le FLN au pouvoir. Un ancien haut fonctionnaire de l’Union européenne, avec qui j’ai discuté du comportement de Saïdani, a confirmé que « l’Union européenne en avait finalement eu assez » de l’Algérie.

L’Union européenne n’a fait aucun commentaire sur la troisième question, bien que son manque de surveillance rende peu probable toute demande à être remboursée. Toutefois, après les révélations du rapport de l’OLAF, l’Union européenne a décidé de réduire considérablement son allocation annuelle de 10 millions d’euros pour les camps de Tindouf.

Le Maroc suspectait la fraude depuis longtemps. Mais en raison de la propre implication du Maroc dans le conflit, peu de crédit a été accordé à de telles allégations : le Maroc dirait bien cela, n’est-ce pas ?

Toutefois, pour ceux qui se sont tenus pendant si longtemps derrière la position du Front Polisario algérien, l’annonce de la fraude a été un immense choc.  La question maintenant est de savoir quelles vont être les conséquences sur la situation du Sahara occidental dans son ensemble.

Front Polisario terni

La première et la plus évidente des conséquences est que cela a détruit une grande partie de la crédibilité de l’Algérie et lui a abaissé son niveau de moralité élevé. La complicité des dirigeants du Front Polisario dans la fraude l’a laissé tout aussi terni. Prenant la parole à Genève le 3 février, Jean-Marc Maillard, expert régional suisse sur la région du MENA, a déploré que le détournement ait été perpétré « en pleine connivence entre le régime algérien et ses sbires du Polisario ».

Il y a aussi des indications que des membres supplémentaires du Parlement européen (MPE) expriment maintenant leur soutien aux propositions d’« autonomie » du Maroc dans le conflit du Sahara occidental. En effet, la colère des députés devant les pratiques frauduleuses de l’Algérie semble s’être reflétée dans l’approbation et l’adoption par le Parlement européen le 12 mars d’un nouveau rapport sur les droits de l’homme mondiaux et la démocratie, par 390 voix contre 151 avec 97 abstentions, qui salue les efforts déployés par le Maroc dans la promotion des droits de l’homme et rejette les amendements introduits par les adversaires du Maroc, à savoir l’Algérie, pour proroger le mandat de la mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental (MINURSO) d’inclure des mécanismes de surveillance des droits de l’homme.

Mais la principale conséquence de la fraude est que l’Algérie et le Front Polisario ne seront plus en mesure de maintenir le statu quo en refusant de permettre le recensement des réfugiés dans les camps par les Nations unies comme ils l’ont fait pendant 39 ans. Le monde sait aujourd’hui que la raison pour laquelle l’Algérie et le Front Polisario ont refusé de faciliter un recensement est parce qu’il aurait mis un terme à leur fraude lucrative. Depuis 1975, l’aide de l’Union européenne pour les camps de Tindouf se basait sur les estimations des autorités algériennes d’une population de 155 000 à 165 000 réfugiés, même si l’OLAF a abaissé de son côté cette estimation en 2005 à 90 000, un chiffre que l’on croit être plus proche du nombre réel.

Ce qui est frappant au sujet du rapport annuel de cette année du Secrétaire général des Nations unies (SGNU), Ban Ki-moon, publié le 10 avril, est qu’il n’a fait aucune mention du détournement avéré de l’aide humanitaire par le Front Polisario et l’Algérie.  Mais c’est parce que Ban Ki-moon est le parfait diplomate et avait d’autres chats à fouetter.

Menace voilée des Nations unies

Son rapport, adopté par le CSNU, ne rejette pas seulement la décision de l’Union africaine, à l’instigation de l’Algérie, d’élargir le mandat de la MINURSO pour inclure la surveillance des droits de l’homme au Sahara marocain et dans les camps de Tindouf, mais insiste aussi pour qu’un recensement de la population des camps de Tindouf soit effectué. La menace voilée, l’Algérie continuerait-elle à bloquer un tel recensement, est de soulever la question du détournement au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies - l’humiliation internationale ultime pour l’Algérie.

Ainsi, bien que le renouvellement par le CSNU du mandat de la MINURSO pour une autre année (jusqu’au 30 avril 2016) puisse, en valeur nominale, ne pas sembler mémorable, elle est clamée par le Maroc et ses partisans comme une grande victoire.  Cela pourrait être prématuré. Mais si l’exubérance du Maroc apparaît être justifiée, elle n’est pas le fruit d’un grand choix du Maroc, mais plutôt du forfait de l’Algérie. L’Algérie s’est elle-même tirée dans le pied.

De la même façon que l’histoire pourrait expliquer l’effondrement du régime de Bouteflika en Algérie en termes de corruption endémique, ainsi la disparition du Front Polisario algérien - si c’est ce que nous sommes sur le point de voir - pourrait en fin de compte être attribuée à rien de plus qu’une autre affaire de « pris la main dans le sac ».

Jeremy Keenan est professeur et chercheur associé à l’Ecole des études orientales et africaines de l’université de Londres. Il a écrit de nombreux livres, dont The Dark Sahara (2009) et The Dying Sahara (2012). Il officie en tant que consultant sur le Sahara et le Sahel auprès de nombreuses organisations internationales, dont l’ONU et la Commission européenne.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Une femme sahraouie se promène dans le désert le 1er mars 2001 près du camp de réfugiés appelé « 27 février » à Tindouf au Sahara occidental. Le Sahara occidental est une ancienne colonie espagnole, annexée en 1975 par le Maroc (AFP).

Traduction de l'anglais (original) par Green Translations, LLC.

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