« C’est l’apocalypse » : les Algériens racontent leur combat acharné contre les incendies
« J’ai ramassé mes papiers d’identité, tout ce qui me restait comme argent, j’ai pris une lampe de poche et un sac avec quelques habits de rechange et j’ai attendu… »
Ali n’a pas fermé l’œil de la nuit. Le retraité raconte à Middle East Eye comment, debout sur la terrasse de sa maison construite avec les économies de toute une vie, dans le petit village de montagne d’Aït Mimoun (sur les hauteurs de Tizi Ouzou, en Kabylie), il a surveillé la progression inexorable de cette ligne de feu rougeâtre depuis l’autre côté de la vallée jusqu’à son hameau.
Le lendemain, face au feu qui commençait à l’encercler, il a réussi à s’enfuir in extremis grâce à un voisin. Ce dernier avait poussé sa voiture jusqu’au milieu du brasier, dont les langues de feu finirent par engloutir une bonne partie du village, pour emporter les sinistrés en panique.
Depuis six jours, 90 personnes dont 33 militaires ont trouvé la mort dans les incendies qui dévastent le nord et une partie de l’est de l’Algérie. Selon la Protection civile, plus de 40 incendies étaient encore actifs dimanche 15 août dans 15 wilayas (préfectures), dont celle de Tizi Ouzou, qui a connu le plus grand nombre de pertes humaines.
Selon les autorités, la piste criminelle ne fait aucun doute. « Le déclenchement simultané d’une trentaine de feux, dont dix importants, dans différentes communes d’une même wilaya le jour où [la météo] lance une alerte canicule ne peut avoir une origine naturelle », souligne Youcef Ould Mohamed, directeur de la Conservation des forêts de la wilaya de Tizi Ouzou.
Et, à l’instar des incendies dans d’autres pays méditerranéens comme la Grèce, la Turquie ou l’Italie, la chaleur, la sécheresse et le vent contribuent, selon les experts, à propager de manière dramatique les incendies.
En Algérie, au terreau climatique favorable, s’ajoute, selon Brahim Bouchareb, enseignant chercheur en foresterie, le manque d’entretien des forêts algériennes, « sans poste de vigie et sans débroussaillement pouvant empêcher la propagation d’incendies ravageurs ».
La mort en direct
Alors que sur les vidéos partagées sur les réseaux sociaux, des habitants qui ont tout perdu s’emportent contre l’État, à leurs yeux absent ou défaillant, Farouk Achour, directeur de l’information à la Protection civile (pompiers), certifie que l’Algérie n’a « aucun problème de moyens ». Et d’expliquer qu’un feu de forêt « ne s’éteint pas seulement avec un peu d’eau », qu’il faut « mettre en place des techniques spéciales pour que l’incendie ne reprenne pas ».
Mercredi en milieu d’après-midi, des appels au secours étaient encore relayés sur les réseaux sociaux, où la mort se raconte en direct et où les témoignages sont unanimes pour décrire la situation comme « l’apocalypse ».
« On voit le feu, et surtout il fait très chaud », raconte à MEE Sara, le trentaine, depuis le village de Beni Maouche (Béjaïa). « On ne sait pas s’il va venir jusqu’à nous, mais de toute manière, on n’a pas le choix, on est obligés de rester là où on est car les routes sont coupées par les flammes. »
À Aït Sid Ali (Béjaïa), une habitante appelle au secours alors que la colline en face de chez elle se torréfie.
Dans un village près de Larbaa Nath Irathen (Tizi Ouzou), des jeunes se filment en train de tenter en vain d’arrêter les flammes qui dévorent le béton alors que la fumée grise enveloppe peu à peu les maisons.
Entre les images ocre et pourpre, se glissent les photos d’être chers disparus, immortalisés par un cliché où on les aperçoit souriants, avec en toile de fond leur autrefois bien verte Kabylie.
Et puis on s’y partage aussi les histoires les plus tristes pour qu’elles soient moins pénibles. Celle de ces deux jeunes filles, dont les corps brûlés ont été retrouvés accrochés à celui de leur mère. Ou celle de ce jeune éleveur de poules qui s’apprêtait à se marier. En voulant ouvrir l’enclos du poulailler pour permettre à ses bêtes de s’échapper, il est mort asphyxié.
Bravoure et solidarité
Mais les témoignages de bravoure et de solidarité circulent aussi, nombreux. Une jeune femme de la commune d’Akli (Tizi Ouzou) raconte comment, en plein milieu des flammes, des jeunes sont venus en camion d’une autre commune, encore épargnée, munis simplement de pelles et de branches d’arbres pour combattre les flammes de plus en plus imposantes.
Dans une des scènes les plus partagées sur la toile, on voit des militaires s’apprêter à foncer dans le maquis enflammé, encouragés par les villageois qui leur crient : « Vous êtes des martyrs ! Dieu est avec vous ! », et leur tendent des bouteilles d’eau. Un des villageois s’approche du jeune soldat au volant du véhicule tout-terrain et, les larmes aux yeux, lui dit : « Ne pleure pas, vas-y fonce ! »
À Tiaret, à l’ouest du pays, un homme propose de prêter sa voiture pour amener les sinistrés jusqu’aux nombreuses caravanes de dons qui convergent des quatre coins de l’Algérie vers la Kabylie.
Chacun aide à son échelle, en offrant des logements, des chambres froides, des tracteurs, des citernes, etc. Même les vétérinaires se sont joints à la mobilisation en proposant de recevoir les animaux brûlés ou blessés.
Une caravane des jeunes de Khenchela, qu’on avait vu combattre héroïquement de terribles incendies il y a quelques semaines, s’est dirigée depuis mardi vers la Kabylie pour prêter main forte.
Traduction : « Chekhab Illyes : ce héros [de Khenchela] a participé à combattre le feu à Khenchela, puis à Tebessa et Constantine, et aujourd’hui, il est à Tizi Ouzou. »
« Quand je vois les matricules des véhicules autour de nous, il y a plus de 30 wilayas présentes ! Le pays entier vient nous secourir », témoigne un habitant de Larbaa Nait Iraathen.
Rien qu’à Alger, en moins de 24 heures, plusieurs commerces, restaurants, écoles privées, etc. se sont transformés en dépôts pour les dons, animés par des bénévoles qui organisent et collectent les aides déposées par tout un chacun. Des dépôts du même genre jalonnent les 100 kilomètres de l’autoroute Alger-Tizi Ouzou.
« Nous travaillons en coordination avec les comités de village et les associations sur place », explique à MEE Anouar, un des bénévoles mobilisés sur la cellule de crise du boulevard du 11-Décembre, au Val d’Hydra, sur les hauteurs d’Alger.
« Les besoins les plus urgents ? L’eau en bouteille, les médicaments pour les soins des brûlés, les couches et le lait pour les bébés, les couvertures et les matelas, les denrées alimentaires », énumère-t-il.
Plusieurs fois par jour, des camions et des fourgons de bénévoles assurent la rotation entre Alger et les régions touchées par les incendies.
La Société nationale des transports ferroviaires (SNTF) a aussi mis deux wagons, en gare d’Agha à Alger, à disposition des gens qui veulent faire des dons mais ne disposent pas de moyen de transport.
Face à l’afflux des dons, certaines associations en Kabylie ont appelé à entreposer les aides acheminées dans des relais proches des villages sinistrés pour ne pas gêner l’accès des camions citernes et des pompiers.
« Ce soir, nous allons dormir à Alger, dans ma belle-famille », témoigne à MEE Lamia, qui a perdu sa maison, près du village de Ath Yenni (Tizi Ouzou). Dans un sanglot, elle avoue ne pas savoir de quoi demain sera fait, ni comment rassurer ses enfants, deux garçons de 3 et 5 ans. « Mais toute cette solidarité autour de nous, ça nous fait chaud au cœur et ça nous dit de ne pas perdre espoir... »
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