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Avenir mutilé : à Gaza, les enfants blessés par Israël peinent à poursuivre leurs études

Les enfants estropiés par les balles israéliennes lors des manifestations de la Grande marche du retour voient leurs projets d’avenir compromis
Bashar Wahdan (12 ans) est soigné par sa tante à l’hôpital après avoir été blessé par balle par un sniper israélien (MEE/Halla al-Safadi)

BANDE DE GAZA, Territoires palestiniens occupés Pour Abdallah Qassem, adolescent gazaoui âgé de 16 ans, aller à l’école tous les jours est un défi. 

Il y a encore quelques mois à peine, il ne lui aurait fallu que quinze minutes à pied pour rejoindre le lycée public Julis. Mais après avoir perdu ses deux jambes lors des manifestations de la Grande Marche du retour, il est maintenant confiné dans un fauteuil roulant, ce qui complique considérablement le trajet. 

Abdallah vit dans un appartement situé au deuxième étage d’un immeuble dans le quartier de Sheikh Redwan à Gaza. L’entrée est petite et il n’y a pas de rampe pour accueillir le fauteuil roulant d’Abdallah, ce dernier doit être porté dans la cage d’escalier étroite par ses deux frères aînés. 

La route qui mène à l’école est sableuse et non asphaltée, il est donc difficile et dangereux pour Abdallah de s’y frayer un chemin.

Après avoir quitté son appartement, ses frères le portent jusqu’à un taxi et l’installent à l’intérieur. Une fois arrivé à l’école, le chauffeur le soulève et le remet dans son fauteuil roulant pour qu’il puisse aller en cours.

Abdallah Qassem est toujours en convalescence chez lui après une nouvelle opération le 24 octobre (MEE/Lara Sirdah)

Bien que l’école ait ouvert une salle de classe au rez-de-chaussée pour Abdallah et d’autres étudiants handicapés, elle manque d’installations accessibles telles que des toilettes, une bibliothèque et un laboratoire.

Les jours où Qassem se rend à l’école, il ne peut assister qu’à ses trois premiers cours, car il doit ensuite se dépêcher pour aller à ses séances de kinésithérapie.

« J’ai toujours rêvé d’étudier l’ingénierie électronique, mais avec mon handicap, je n’ai plus de certitudes concernant ma vie »

– Abdallah Qassem, 16 ans

« J’ai toujours rêvé d’étudier l’ingénierie électronique, mais avec mon handicap, je n’ai plus de certitudes concernant ma vie », a déclaré Abdallah à MEE. « Toutefois, avec le soutien de ma famille, j’espère que je pourrai traverser cette phase. »

Pour compenser les leçons d’anglais et de maths qu’il manque à l’école, Abdallah reçoit des leçons privées deux fois par semaine avec un tuteur. Ces cours l’aident mais ne lui suffisent pas à rattraper ses camarades.  

Le mois dernier, Abdallah a dû manquer les examens de mi-session après avoir subi une intervention chirurgicale pour stabiliser les os de ses jambes qui commençaient à devenir protubérants suite à sa blessure. Outre une semaine d’hospitalisation, il est maintenant en convalescence chez lui après l’opération et ne pourra pas aller à l’école tant qu’il ne sera pas complètement rétabli. 

Gaza « invivable »

La bande de Gaza, qui fait l’objet d’un blocus étouffant de la part d’Israël depuis 2007, souffre d’infrastructures médiocres, telles que des routes non asphaltées, et d’un manque d’un quelconque système de transport en commun, sans parler d’un réseau accessible aux fauteuils roulants.

Dans ces conditions, il est déjà difficile de traverser la bande de Gaza pour les personnes n’ayant pas de difficultés physiques ; pour les personnes en fauteuil roulant, c’est un exploit. Les rampes, les ascenseurs et les toilettes accessibles sont rares dans l’enclave démunie.

« Soudain, on m’a tiré dans la jambe droite et la balle a ensuite pénétré dans ma jambe gauche »

– Abdallah Qassem, 16 ans

En juillet 2017, un rapport des Nations unies révélait que les conditions de vie de près de deux millions d’habitants, dont 1,3 million de réfugiés, se détérioraient de manière dramatique dans la bande de Gaza et que zone était devenue « invivable ».

Mostasem al-Minawi, directeur des relations publiques internationales au ministère de l’Éducation gazaoui, explique que les ressources sont très limitées.

« En raison de la situation politique actuelle et du siège imposé à la bande de Gaza, les ressources du ministère de l’Éducation sont réduites. Rendre les écoles publiques accessibles nécessite des ressources financières considérables, ce que le ministère n’a pas en raison du manque de fonds. Les ONG mettent en œuvre quelques mesures pour améliorer la situation, mais cela ne suffit pas. »

Les tensions à Gaza ont monté en flèche depuis le 30 mars, lorsque Israël a fait usage d’une force meurtrière près de la clôture séparant Israël de Gaza face à des manifestations de masse pacifiques. Selon le ministère palestinien de la Santé à Gaza, plus de 210 Palestiniens ont été tués, dont 19 % d’enfants. Un soldat israélien a été tué sur la même période.

Environ 10 000 Palestiniens ont été blessés lors des manifestations, dont plus de 1 800 enfants. Selon al-Minawi, 210 de ces enfants sont inscrits dans les écoles publiques de Gaza et 92 d’entre eux ont complètement cessé d’aller à l’école ou manquent de nombreux cours à cause de leurs blessures.

Abdallah Qassem rattrape les cours manqués à l’école avec l’aide d’un tuteur (MEE/Lara Sirdah)

Abdallah se souvient que le 14 mai, il était assis sur la place de Malaka, à une dizaine de mètres environ de la clôture de barbelés séparant Israël de Gaza, au nord-est de la bande côtière. Il était 13 heures quand une balle tirée par les forces israéliennes a traversé sa jambe droite avant de pénétrer dans sa jambe gauche où elle s’est fichée.

« J’observais à quel point les manifestants étaient impatients de supprimer toutes les barrières [la clôture de barbelés] sur notre territoire occupé. Mais soudain, on m’a tiré dans la jambe droite et la balle a ensuite pénétré dans ma jambe gauche », raconte-t-il.

Abdallah a été emmené à al-Shifa, le plus grand hôpital public de Gaza, qui a été submergé par les victimes de la manifestation ce jour-là. Il a dû attendre jusqu’à 22 heures pour se faire opérer d’urgence après avoir perdu beaucoup de sang. Plus tard, il a dû subir deux autres opérations, la dernière se terminant par l’amputation de ses deux jambes.

Abdallah a besoin de suivre une kinésithérapie intensive pendant six mois. Après cela, il devrait être prêt à recevoir des prothèses.

Abdallah vient d’une famille modeste qui avait déjà des problèmes financiers avant qu’il ne soit blessé. Son père, qui est l’unique soutien de famille, travaille au service des archives du ministère de la Santé et reçoit un salaire mensuel de 400 dollars.

Avant la blessure d’Abdallah, l’argent suffisait à peine à couvrir les besoins essentiels de la famille. Or aujourd’hui, leurs dépenses ont doublé. En raison de la pénurie de matériel médical dans les hôpitaux publics de Gaza, la famille d’Abdallah a dû supporter le coût des médicaments tels que les antibiotiques et les analgésiques, qui leur coûtent entre 30 et 50 dollars toutes les deux semaines.

En plus du tutorat privé, Abdallah a besoin d’un taxi pour l’emmener à l’école et à ses séances de kinésithérapie trois fois par semaine et le ramener. 

Selon l’Observatoire euro-méditerranéen pour les droits de l’homme, 38,8 % des habitants de Gaza sont bloqués sous le seuil de pauvreté en raison du blocus imposé par Israël, tandis que 45 % des habitants sont au chômage.

« Nous étions pacifiques »

Le 8 juin, Waseem Mahmoud, 15 ans, regardait des danseurs exécuter une dabkeh, une danse en ligne levantine traditionnelle, dans ce que les habitants appellent « la ville des tentes », dans le district d’Abu Safiya à Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza.

Un Palestinien porte une coiffe traditionnelle en dansant la dakbeh, une danse levantine (MEE/Mohamed al-Hajjar)

La « ville des tentes » a été érigée en mars le long de la frontière entre cinq gouvernorats de la bande de Gaza dans le cadre des manifestations de la Grande marche du retour, à environ 700 mètres de la barrière de séparation entre Gaza et Israël.

Alors qu’il appréciait le spectacle, Waseem a soudainement senti que sa jambe droite n’arrivait plus à le porter et s’est effondré au sol. Il avait été touché par un tir de sniper israélien.

« Nous étions pacifiques. Nous ne constituions aucun danger », affirme l’adolescent. « Ce moment a changé ma vie. »

Waseem Mahmoud est en troisième au collège publique al-Baneen, au nord de la bande de Gaza. Avant sa blessure, il se rendait à l’école, située à un kilomètre à peine de chez lui, à pied. Mais aujourd’hui, à cause des tiges de métal que les médecins lui ont placées dans les jambes, il dit que marcher avec des béquilles est trop douloureux.

Waseem Mahmoud était en train de regarder un spectacle de dabkeh quand un sniper israélien lui a tiré dessus (MEE/Yousef al-Rozzi)

Prendre un taxi n’est pas une option pour lui, sa famille étant déjà en difficulté financière après le décès de son père il y a trois ans. La famille reçoit une pension de 350 dollars par mois, une somme qui couvre à peine l’essentiel de leurs besoins ou les séances hebdomadaires de kinésithérapie de Mahmoud.

« Je veux aller à l’école, mais ma blessure me complique les choses », déplore Waseem. « Ma mère m’aide à étudier à la maison. »

Le rêve de retourner sur leurs terres

C’est le 30 mars, premier jour des manifestations, que les forces israéliennes ont tiré sur Arafat Harb à l’abdomen alors qu’il se trouvait dans la région d’Abu Safiya, à Gaza.

L’adolescent de 15 ans avait réussi à franchir la clôture de barbelés séparant Israël et Gaza après que d’autres manifestants en eurent enlevé des parties. Il était du côté israélien de la clôture quand il a été blessé.

« J’ai toujours rêvé de retourner dans notre territoire occupé. C’est pourquoi j’ai eu le courage de traverser la clôture de barbelés. Je n’avais pas peur du tout », affirme-t-il. « Je suis resté là, à saigner, pendant près de quinze minutes, puis un des médecins a réussi à me tirer jusqu’au centre médical le plus proche du côté palestinien », rapporte Arafat.

Arafat Harb (15 ans) a reçu une balle dans l’abdomen tirée par les soldats israéliens (MEE/Lara Sirdah)

La balle a provoqué de graves dégâts dans la région du bassin, ce qui a contraint Arafat à subir plusieurs interventions chirurgicales à l’hôpital indonésien de Gaza à Beit Lahia, dans le nord de la bande. Mais selon son père, Walid Harb, son cas nécessitait un transfert urgent en Égypte pour y recevoir un traitement médical plus avancé.

L’assurance médicale de son père couvrait une partie des frais de voyage, mais il a dû emprunter 1 700 dollars supplémentaires pour pouvoir prendre en charge le reste des frais.

« Je rêve de posséder mon propre atelier, mais ma blessure m’a fait perdre deux années scolaires »

- Arafat Harb, 15 ans

Arafat a passé trois mois en Égypte, où il a subi deux opérations, puis est rentré à Gaza en juin, où il continue de suivre des séances de kinésithérapie. Les médecins estiment qu’il faudra au moins un an avant que ses os ne guérissent et qu’il ne se rétablisse complètement.

Arafat est en seconde au lycée public al-Taqwa, à l’ouest de la ville de Gaza. Il vit avec ses parents et ses huit frères et sœurs dans le district de Sheikh Radwan.

Bien qu’Arafat soit passé du fauteuil roulant aux béquilles, son corps est toujours faible. Et comme il vit au quatrième étage d’un immeuble, sa mobilité est limitée.

En raison de sa blessure, il n’a pas pu assister à ses cours depuis le début de l’année scolaire. Il a également manqué les examens de l’an dernier.

Arafat rêve de devenir menuisier et de terminer ses études dans une école professionnelle.

« Je rêve de posséder mon propre atelier, mais ma blessure m’a fait perdre deux années scolaires », regrette-t-il.  

« En l’honneur de mon père »

En 2004, le père de Mohamed Sarsour a été tué à son domicile par une frappe aérienne israélienne.

Mohamed Sarsour (14 ans) a reçu une balle dans le bas-ventre lors des manifestations. Il a perdu son père à la suite d’une frappe aérienne israélienne en 2014 (MEE/Yousef al-Rozzi)

Ainsi, lorsque les manifestations de mars ont commencé, l’adolescent de 14 ans était impatient d’y prendre part en l’honneur de son père.

Le 8 juin, alors qu’il chantait sur la place de Malaka pour que les Palestiniens aient le droit de retourner sur leurs terres dans ce qui est aujourd’hui Israël, il a été touché au bas-ventre par une balle.

« Je veux être médecin. Je sais que je vais rencontrer des difficultés à cause de ma blessure, mais cela ne m’arrêtera pas »

- Mohamed Sarsour, 14 ans

« Mohamed a encore des éclats de balle dans la partie inférieure de la colonne vertébrale, ce qui le fait souffrir. Il ne peut pas rester assis sur une chaise pendant de longues heures », explique Ameera Sarsour, la mère de Mohamed. « Les médecins ont dit que s’ils les déplaçaient, il pourrait y avoir des conséquences négatives menant à une invalidité permanente. »

Malgré les difficultés, la mère de Mohamed tente de l’encourager à suivre ses cours de troisième à l’école Dar al-Arqam, dans la région d’al-Chaaf, à l’est de Gaza. Toutefois, en raison de la douleur qu’il ressent lorsqu’il passe des heures assis sur une chaise, ce n’est pas si simple.

Bien qu’il puisse marcher et qu’il n’ait pas besoin d’un fauteuil roulant, il ne peut toujours pas courir ou porter d’objets lourds, et il attrape parfois des infections. De plus, Mohamed doit manquer l’école deux fois par semaine pour se rendre à ses séances de thérapie.

Mais l’adolescent garde l’esprit combatif. « Je veux être médecin. Je sais que je vais rencontrer des difficultés à cause de ma blessure, mais cela ne m’arrêtera pas. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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