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Guerre d’Algérie : ce que l’affaire Audin va changer pour le dossier des disparus

Ce jeudi, Emmanuel Macron a reconnu que la France avait utilisé la torture comme « système » pendant la guerre d’Algérie et annoncé l’ouverture des archives sur le sujet des disparus
Le président français Emmanuel Macron a reconnu ce jeudi 13 septembre la « responsabilité de l'État dans la disparition » à Alger en 1957 de Maurice Audin, militant communiste français engagé en faveur de l'indépendance algérienne. Il est ici dessiné avec Michèle Audin, la fille de Maurice Audin, qu'il a rencontrée au domicile de la veuve du militant, Josette (illustration Saâd Benkhelif/MEE/Photo AFP)

« Depuis le premier article, dès le 15 juillet 1957, jusqu’au témoignage publié en février dernier, d’un appelé qui disait avoir enterré Maurice Audin sous les ordres du parachutiste Gérard Garcet, et en dépit de la censure, le journal n’a jamais cessé d’exiger justice et vérité sur cette affaire ». Rosa Moussaoui, journaliste à L’Humanité, reconnaît que ce jeudi, l’émotion à la rédaction « est immense ». 

« Ce combat pour la vérité, nous ne l’avons jamais dissocié de celui pour la vérité sur les milliers de disparus algériens dont Maurice Audin était le visage. C’est un combat pour panser les plaies qui continuent à faire souffrir la société française », explique à Middle East Eye celle qui suit le dossier depuis 2006.

Ce jeudi 13 septembre, le président français Emmanuel Macron a reconnu dans une déclaration à la veuve de Maurice Audin que l’État français était responsable de la disparition de son mari, dans le cadre d’un « système » entraînant « des actes de torture ». 

« Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris tant en Algérie qu’en France », a déclaré le chef de l’État français qui dès sa campagne électorale en février 2017 avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ».

Le 11 juin 1957, en pleine bataille d’Alger, le militant communiste français engagé en faveur de l'indépendance algérienne, alors âgé de 25 ans, mathématicien et assistant à l'Université d'Alger, est arrêté à son domicile par des parachutistes.

Il est soupçonné d'héberger des membres de la cellule armée du Parti communiste algérien et torturé à plusieurs reprises dans une villa d'El Biar, un quartier d'Alger.

Les médias et les historiens saluent aujourd’hui une « décision historique », une « rupture » de même nature que celle engagée par Jacques Chirac, qui, le 16 juillet 1995 reconnaissait la responsabilité de l’État français dans la rafle du Vél d’Hiv

Dix jours plus tard, Josette Audin apprend officiellement que son mari s'est évadé lors d'un transfert. Cela restera la version officielle jusqu'en juin 2014. 

Deux ans après s’être recueilli sur la place Maurice Audin à Alger, François Hollande, alors président de la République, reconnaît que « M. Audin ne s'[était] pas évadé » mais était « mort durant sa détention ».

Un appel à témoignages à partir de samedi

Les médias et les historiens saluent aujourd’hui une « décision historique », une « rupture » de même nature que celle engagée par Jacques Chirac, qui, le 16 juillet 1995 reconnaissait la responsabilité de l’État français dans la rafle du Vél d’Hiv.

« Que l’État français reconnaisse que la torture et la disparition ont été érigées en système est un geste extrêmement fort », souligne Malika Rahal, historienne à l’Institut d’histoire du temps présent à Paris. « D’une part parce que, pour la France, la reconnaissance est un acte important, et d’autre part, parce que Maurice Audin représente tous les disparus. »

Des disparus pour lesquels – militaires et civils, Français et Algériens – le président français a par ailleurs annoncé l’ouverture des archives pour consultation libre, un sujet sensible entre Paris et Alger qui entretiennent des relations intimes et compliquées du fait de l’histoire coloniale et des migrations entre les deux pays.

Et alors qu’aujourd’hui, aucun chiffre ne donne une estimation fiable du nombre de disparus, évalués à plusieurs milliers, des appels à témoignages seront lancés sur un nouveau site élaboré par l’historien Fabrice Riceputi avec Histoirecoloniale.net.

« Ce site mettra en ligne les quelque 1 000 fiches que j’ai trouvées dans les archives de la préfecture d’Alger, élaborées à partir de 1957, pour collecter les demandes des personnes qui venaient demander des nouvelles de leurs parents et de leurs proches », explique-t-il à MME

« La préfecture envoyait ensuite ces fiches à l’armée mais dans 70 % des cas elle ne donnait pas de réponse ou ces réponses étaient jugées non satisfaisantes par les autorités françaises. »

Seule certitude au sujet de ces disparus dont les noms sont établis : ils ont été arrêtés par les paras et leurs familles ont demandé aux autorités ce qu’elles étaient devenues. « Ce sont autant de Maurice Audin enlevés, torturés pour beaucoup, assassinés pour certains, détenus au secret, etc. », résume l’historien à MEE. « L ’appel à témoignages, qui s’adresse essentiellement aux Algériens, d’Algérie ou de France, mais aussi aux Européens, permettront d’obtenir des renseignements supplémentaires sur ces disparus et de signaler d’autres cas. »

La difficulté restera, pour Malika Rahal, de savoir comment le travail historique pourra se poursuivre en Algérie. « Car la recherche de disparus, autrement dit de corps, ne relève plus de la mission des historiens mais des autorités. Or l’heure n’est pas à une forte prise en charge de l’histoire par la puissance publique algérienne. Par ailleurs, une telle entreprise – on l’a vu lorsque l’Espagne a commencé à chercher les disparus de la Guerre civile espagnole – provoque d’énormes soubresauts dans la société. « Il n'est pas sûr que des associations ou institutions soient en ce moment en mesure de créer l'atmosphère sereine nécessaire à ce type de recherches. »

À Alger, Tayeb Zitouni, le ministre des Moudjahidine (anciens combattants) a qualifié la reconnaissance de la France de sa propre responsabilité d’« avancée » et de « pas positif louable ». 

Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), contacté par MEE, salue également « un geste qui va permettre d’apaiser le débat mais qui ne doit pas empêcher d’élargir la responsabilité de l’État à toutes les atteintes aux droits de l’homme commises pendant la guerre de libération. »

Pour l’instant, Rosa Moussaoui, à L’Humanité, veut voir dans cette nouvelle position de la France « une brèche ouverte pour que la vérité soit dite sur Audin comme sur d’autres crimes dans lesquels l’État français a une responsabilité ».

« Je pense en particulier à Henri Curiel [militant communiste et anticolonialiste assassiné en 1978] ou Mehdi Ben Barka [opposant marocain à Hassan II disparu à Paris en 1965 après avoir été enlevé] », précise-t-elle. « C’est une brèche pour porter un regard lucide sur le passé et mettre en place des procédures transparentes. »

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