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Cinq ans après : qu’évoque la révolution pour les Égyptiens ?

Cinq ans après le soulèvement populaire qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir, coûté la vie à des centaines de victimes et insufflé l’espoir d’une vie meilleure, on dit la révolution morte et enterrée. Qu’en reste-t-il ? Rencontres
L’Égypte a fait face à cinq ans de bouleversements sociaux et économiques (AFP)

Salma*, 19 ans, chrétienne émancipée

Salma donne rendez-vous dans un café branché du Caire, commande un Frappucino et demande « qu’on ne traîne pas », elle passe « des examens demain ». Salma avait 16 ans lorsque la révolution a éclaté. Issue d’une famille chrétienne, plutôt pro-Moubarak, elle se remémore sa première réaction quand elle a appris que des gens descendaient dans la rue.

« J’étais jeune, égoïste, la seule chose qui m’importait c’était les fringues et les copines. Les premiers jours, je râlais, je disais “quand est-ce que ça va s’arrêter, je ne peux pas sortir me balader avec mes amies !“ » explique-t-elle, le rouge aux joues.

Des jours entiers enfermée avec l’interdiction formelle de sortir, des heures passées sur internet et les réseaux sociaux pour tuer le temps. Et puis la prise de conscience, face à une réalité brutale.

« J’ai vu des vidéos, ça m’a choquée et inspirée », se souvient-elle. « Mes parents refusaient que mon frère et moi prenions part au mouvement, ils aimaient bien Moubarak, ils disaient “de toute façon, ça ne sert à rien“. J’ai alors commencé à être hyper active sur les réseaux sociaux, à suivre plein de gens, à me gaver d’images, à participer à des débats, à réaliser… Et puis mon frère a commencé à mentir, il prétendait aller voir des amis mais allait sur Tahrir, alors une fois je l’ai suivi. Ce jour-là, il y avait des affrontements tellement violents qu’on n’a même pas réussi à atteindre la place. »

De la révolution de 2011, elle n’en a ainsi vu que quelques pavés de rues, car impossible pour elle de se rendre sur la placeTahrir. Elle a à peine senti les gaz lacrymogènes brûler ses poumons. Mais les images de son peuple, bravant le danger derrière de minces drapeaux comme seul rempart entre les balles et lui, ont éveillé en elle une envie irrépressible de prendre part à l’éveil des consciences.

« Je n’ai pas eu la chance de vivre ça sur le terrain, mais j’ai commencé à me politiser. J’ai encouragé mes amis à changer, à s’intéresser. J’ai beaucoup lu. Je me suis rendue compte à quel point nos discussions d’adolescents étaient vides quand des gens descendaient dans la rue, sacrifier leurs vies et leurs âmes pour l’Égypte, pour la patrie. J’ai gardé ça de la révolution. Ça m’a fait grandir plus vite que n’importe quel autre adolescent de mon âge dans un autre pays », assure-t-elle à Middle East Eye.

« Vous ne trouvez pas que les Égyptiens font tous plus vieux que leur âge ? Ce qu’on a vu nous a marqués pour toujours. The more you know, the more pain you have » soupire-t-elle, citant un passage de la Bible. Derrière son sourire, ses dix-neuf printemps semblent une éternité.

Des sciences politiques et un esprit critique
 

Le bac en poche, Salma, décide de s’inscrire en cours de psychologie des sciences politiques à l’université du Caire. « J’étais inspirée, j’ai eu envie de mûrir intellectuellement, d’être capable de m’ouvrir au débat », assure-t-elle.  Un débat qu’elle a mené difficilement, face à une famille qui avait l’habitude de se courber comme une voile sous le vent favorable.

« Quand Moubarak est tombé, ils ont changé d’avis, finalement, il n’était plus si bien que ça, mais sans être radicaux non plus, ils étaient perdus… J’ai été immergée dans des groupes aux avis complètement contradictoires, tiraillée entre la théorie et la pratique, les médias, l’autorité parentale, j’ai douté plein de fois mais à vingt minutes de chez moi, l’énergie de cette révolution était plus forte que tout. »

Ce qui se passe après, c’est un pays dirigé par un pouvoir militaire, le Conseil suprême des Forces armées [SCAF], l’élection de Mohamed Morsi et son renversement moins d’un an plus tard jusqu’à l’élection, en mai 2014 de l’ex-maréchal Abdel Fatah Al-Sissi.

« On s’est senti tellement libérés ! », souffle-t-elle, « les chrétiens adorent Al-Sissi. De mon point de vue, on est surtout heureux de ne plus être gouvernés par des islamistes ! »

La jeune femme explique : « les chrétiens sont inspirés par la figure, ils sont acquis à sa cause et lui en rajoute. Il promet de reconstruire nos églises détruites, il vient à nos messes de Noël. Il insinue du politique dans le religieux et vice-versa, mais la jeunesse d’aujourd’hui, elle veut une séparation entre le religieux et le politique », insiste-t-elle.

« Il se sert de la communauté chrétienne à des fins politiques mais notre vie est totalement la même qu’avant; ce sont les sentiments qui sont différents. On a un ennemi commun : les islamistes », tranche-t-elle, sévère. « La situation politique, religieuse et l’omniprésence de l’Islam nous ont rendu un peu radicaux sur les bords ! », assure-t-elle sur le ton de l’humour.

« Les chrétiens ne se sont jamais sentis comme des citoyens à part entière dans cette société, alors la moindre petite faveur à leur égard les rassurent du bon vouloir d’Al-Sissi. Il leur suffit d’un rien pour être contents. Il parle beaucoup et utilise des symboles, mais il n’y a rien derrière, et il a perdu beaucoup de soutiens récemment, alors il rattrape le coup en satisfaisant les moins exigeants. »

Qu’est-ce que les Égyptiens ont gagné en fin du compte ? Et les coptes ?

Salma soupire… « On est revenu au point où on était, mais c’est dangereux, car on connait le goût de la révolution désormais, et on sait que c’est délicieux ! »

Soudainement, la jeune femme perd ses mots, devient plus grave. « L’idée d’un chef unique, charismatique, c’est très inspirant pour les Égyptiens, depuis toujours, mais on a bien conscience que ce n’est pas comme sur le papier, pas comme ce qu’on étudie et ce qu’on vit, ce fantasme d’une figure toute-puissante à la tête d’un pays est très fragile et elle finira par s’écrouler, mais qui sera là ? Il n’y a personne, on n’a aucune institution capable de prendre le relais et de faire face au chaos. C’est fou, ce pays est fou. »

Mohamad, 27 ans, clasheur de la première heure

Ce soir-là, il y a de l’électricité dans l’air. « Ils ont fouillé les douze appartements dans l’immeuble de Tarek et Habib hier. Et plusieurs dans la même rue. On ne sait pas ce qu’ils cherchent, sûrement rien de précis, mais s’ils trouvent quoi que ce soit d’haram, ils s’en servent contre toi. »

Mohamad enchaîne les cigarettes et fait la liste de ces petites choses qui pourraient être susceptibles de causer du tort à ses amis et lui si leurs appartements venaient aussi à être fouillés ces prochains jours. « Le hash on n’en a pas… les bouteilles d’alcool… vous les laissez ou vous les planquez ? »

On se met d’accord pour vider les ordinateurs et les téléphones des contenus sensibles, on s’interroge sur le « bang » qui traine dans le salon et on plaisante sur la boite de tampons laissé là par la copine.

« Hier, des amis ont été perquisitionnés. Un des flics a trouvé un paquet d’ “Always“, il a demandé aux colocataires s’ils avaient souvent leurs règles », explique-t-il en rigolant. « Tu sais comment c’est ici, les relations hors mariage, ce n’est pas accepté. Ils peuvent te causer de vrais ennuis si tu te fais choper », rappelle-t-il à Middle East Eye.

En cette veille du 5e anniversaire de la révolution, les autorités ont lancé une vaste campagne d’intimidation auprès la population pour l’empêcher de manifester : arrestations et perquisitions sont monnaie courante mais se sont accélérées à l’approche de la date fatidique. Il y a quelques jours, les autorités égyptiennes affirmaient avoir perquisitionné plus de 5000 appartements et interrogé nombreux de leurs occupants par « mesure préventive ». Les cibles sont imprévisibles : l’activiste fiché, le journaliste, le médecin, le jeune chômeur ou l’étudiant étranger.

« Pourquoi ils nous provoquent ces jours-ci ? On n’a pas l’intention d’aller dans la rue mais en nous provoquant, ils pourraient bien nous pousser à bout », s’énerve Mohamad. « Mais il faut se méfier, s’ils essayent de nous forcer à réagir, c’est qu’ ils y ont un intérêt, je ne sais pas quoi, mais il ne faut pas se laisser manipuler ! Ils ont peur car l’anniversaire est proche ? Mais la révolution n’a pas de date. On ne descendra pas le 25 janvier, mais peut-être le 30 juin, ou peut-être deux mois après ! »

Mohamad a 27 ans, il est réalisateur et il est « déprimé ».  « On est descendu dans la rue il y a cinq ans, certains se sont fait tuer, d’autres ont perdu leurs yeux, d’autres ont disparu, pourquoi au final ? Si on a appris une chose de cette révolution, c’est de ne plus réagir à l’instinct, de ne plus être des idéalistes », assène-t-il.

En 2011, il était « jeune, naïf, égoïste ». Il se rappelle : « j’étais un peu obsédé par les clashs, mes amis disaient que j’étais addict à l’adrénaline. Au début, il y avait de ça, mais quand tu vois les gens mourir, c’est dur de réfléchir, c’est de l’instinct, tu ne peux plus faire marche arrière. C’était NOTRE moment, c’était NOTRE droit, on voulait en être ».

(MEE/Maged Aboueldahab)

« On n’est plus des ignorants »

A l’époque, déjà étudiant en école de cinéma, ce qui l’a marqué surtout, c’est le pouvoir de l’image. « On a compris à quel point les médias nous mentaient, et à quel point ils avaient un impact sur notre manière de penser. » Pourtant, le jeune réalisateur, n’a pas filmé « juste une fois le 25, je n’ai jamais regardé les images, et je n’ai plus jamais rien filmé en lien avec la révolution », affirme-t-il.

« J’ai fait un choix, filmer ou participer. Tu ne peux pas faire pleinement les deux en même temps. J’ai jugé à l’époque que mon devoir était de participer. Et je referai pareil aujourd’hui. Ma caméra sera peut-être dans mon sac à dos la prochaine fois, mais si je dois choisir, je prendrai des pierres pour les lancer plutôt que de dégainer ma caméra. »

Le débat s’engage avec son ami photographe aussi présent. « Qu’est-ce qui est le plus utile ? », s’interrogent-ils. « Je crois en mon métier, mais c'était de l’ordre de l’humain, du primaire, pas du stratégique, je me suis senti plus utile derrière mon peuple. Par contre, j’ai aidé aux projections illégales par la suite, pour montrer aux gens ce qu’ils n’ont pas vu. C’est important que les Égyptiens sachent ce qu’ils ont vécu. »

Quand il regarde en arrière, sans aucun doute, il affirme « avoir mûri, vieilli (…) ces dix-huit jours nous ont mis un sacré coup à tous, mais le bon dans tout ça, malgré la situation actuelle, c’est que ça nous a rendu intelligents, ça nous a rendu ouvert d’esprit. Pendant la révolution, pour la première fois de ma vie j’ai parlé avec un Frère musulman, on a appris la tolérance, les divergences d’idées. Il y a cinq ans, j’aurais été incapable d’avoir une quelconque discussion avec toi, c’est ça la plus grande victoire de cette révolution, on n’est plus des ignorants. »

Cette révolution, était-elle donc utile malgré tout ? « Oui et non », lâche-t-il. « Tout est bien pire qu’avant, mais on a voulu le changement et on l’a eu, peu importe les conséquences. »

Islam, 25 ans, Frère musulman repenti

« La période Morsi était la plus démocratique que l’Égypte n’ait jamais connue », souffle-t-il avec un brin de nostalgie. « On avait le droit de manifester, de s’exprimer… Faut dire que Morsi ne tenait pas du tout le pays », plaisante-t-il.

Islam est issu d’une famille considérée comme « sensible » par les autorités. Son père est un Frère musulman chevronné, quant à sa mère, elle penche plutôt pour Al-Gama'a al-Islamiyya,  un mouvement sunnite islamiste, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l'Union européenne.

Il assure ne pas être membre de la confrérie, juste un « sympathisant », mais le pouvoir en place ne fait pas dans la subtilité. Depuis presque trois ans, les Frères musulmans et leurs accointances font face à une répression sanglante faite d’arrestations et d’emprisonnements sans charges, de bavures policières et de disparitions forcées.

Islam raconte les mois en prison, les raids chez lui, son père exilé, sa famille constamment « terrifiée ». « Les Frères musulmans doivent vivre cachés, certains ne restent pas plus de deux nuits au même endroit, ils sont traqués », assure-t-il à Middle East Eye.

De ces cinq dernières années, il retient la violence injustifiée mais aussi les retournements de vestes dignes des meilleurs illusionnistes. « Pendant les dix-huit jours de sit-in, les Frères musulmans ne nous autorisaient pas à descendre manifester, ils soutenaient l’armée et les anciens étaient plutôt du côté du gouvernement », se souvient-il.

Face à l’engouement des jeunes membres qui n’écoutaient plus le Shourah Council (présidence de la confrérie), « ils se sont rattachés au mouvement, mais quand ils disent qu’ils étaient dans la rue dès les premiers jours, c’est faux, on nous l’avait interdit », rappelle-t-il.

« Moi je ne supporte pas l’autorité, je ne supporte pas qu’on me dise, là tu descends dans la rue, là tu ne descends pas. »

« Je regrette certains de nos choix »

Il n’a pas écouté puis est descendu dans la rue. Il n’a pas voté Morsi non plus, en 2012, malgré l’insistance de ses proches. Pas vraiment content ni mécontent du premier président élu démocratiquement en Égypte avec 51% des voix, il affirme que c’est « après le coup d’État » que la vie a vraiment basculé. Le jeune illustrateur prend un calepin et trace une grande ligne : « tu vois la ligne est très fine, infime même, de ça… à ça, on est passé de la liberté aux jours noirs ».

Et puis, les noms, les chiffres et les jours défilent au fil de ses griffonnages : Esraa, emprisonnée depuis un an et demi sans charge à Beni Suef, les jumeaux Zaky, âgés de 15 ans arrêtés début décembre et accusés de terrorisme, Islam, cet étudiant cueilli à la sortie de la fac et tué de sang-froid par l’armée.

Combien de personnes sont en prison actuellement ? Sur un coin de son carnet, il écrit « 61 000 ». Début 2015, Amnesty International estimait ces chiffres à au moins 41 000, toutes tendances politiques confondues. Au vu du rythme infernal auquel la répression est menée, l’estimation est plausible en ce début d’année 2016.

Pourtant, « je n’ai jamais regretté la révolution », explique-t-il, « mais je regrette certains de nos choix. Les Frères musulmans ont fait beaucoup d’erreurs, surtout quand ils étaient au pouvoir, ils sont très bien organisés mais très mauvais dans les prises de décision. Ils ont déçus tout le monde. »

Il oscille entre le « nous » et le « ils », la critique acerbe et la défense aveugle, signe d’une émancipation encore fragile parfois.

« La révolution m’a fait espérer le meilleur, et je continue à croire que le meilleur est à venir » dit-il optimiste. « Je soutiens les Frères musulmans, je soutiens ce en quoi ils croient mais je pense aussi qu’ils doivent se réinventer. Les leaders continuent à vivre dans les années 70. » Il évoque les divisions qui se sont créées au sein du mouvement, entre les têtes pensantes « la plupart en exil » issues de l’ancienne génération, et la nouvelle qui souhaite réformer un système usé. Une nouveauté au sein de la confrérie, vieille de près de 90 ans, permise par l’émancipation de la jeunesse qu’a provoqué le 25 janvier 2011.

 « La révolution est loin d’avoir été inutile, on a appris à se battre pour nos droits, à dire non, et on n’abandonnera jamais », assure-t-il. « Et on est tous d’accord, Frères musulmans, libéraux et que sais-je, on ne veut plus de dictature, on attend le bon moment, mais quand il viendra, on sera tous prêts à se battre. »

Adel, 35 ans, nostalgique de l’ère Moubarak

Adel nous attend sur le pas de porte de sa boutique, les yeux dans le vague, une cigarette calée entre deux doigts. C’est la « Golden Hour », le moment où le soleil dégorge ses derniers rayons et pare les pyramides de Gizeh d’une lumière mordorée. Les chameaux regagnent lentement leurs étables et les vendeurs de souvenirs commencent à rassembler leurs affaires.

Dans le magasin d’Adel, une multitude de flacons poussiéreux enfermant des essences de parfums semblent s’être figés avec le départ des touristes, il y a cinq ans. « Business… sometimes good, sometimes not good », lâche-t-il dans un anglais cassé. « Quand ça commence à aller mieux, il se passe quelque chose qui refait tout dégringoler. On a eu les Mexicains (8 touristes et 4 de leurs accompagnateurs tués par l’armée dans le désert occidental en septembre dernier), le crash de l’avion russe dans le Sinaï… »

Adel n’a pas changé d’avis depuis l’élection présidentielle qui a vu triompher Abdel Fatah al-Sissi : l’ex-maréchal pour qui il a voté est à la hauteur, mais Moubarak sera toujours le meilleur dans son cœur. « Je l’aime tellement ! Quand il était là, la vie était plus douce, on avait du business, ici à Gizeh, tout le monde l’aimait ! », assure-t-il. « On avait beaucoup de touristes, il a fait venir pleins de stars chanter aux pyramides, Shakira, tu te rends compte, Shakira a chanté ici ! », s’exalte-t-il, « c’était la bonne époque, mais c’est vrai que beaucoup de gens étaient en colère contre lui, chacun voit midi à sa porte. »

(MEE/Maged Aboueldahab)

« La liberté c’est l’anarchie »

Cinq ans après la chute du dictateur, l’homme de 35 ans, père de cinq enfants, est resté un nostalgique de l’avant 25 janvier 2011. « Je n’ai pas soutenu les révolutionnaires, moi, j’ai été sur la place Mahmoud Mohamed, avec des portraits de Moubarak pour le soutenir. Certains disent qu’il était mauvais… il était entouré de gens mauvais, mais lui était un homme bon, mais c’est comme ça, quand les gens sont en colère, ils veulent faire tomber la tête », assure-t-il à Middle East Eye

« Il ne devrait pas être enfermé, c’est un vieil homme, il va bientôt mourir, ce sont les gens de son gouvernement qui l’ont trahi qui devraient être en prison ! Encore aujourd’hui, des personnes vont régulièrement à sa résidence pour prendre de ses nouvelles et lui montrer leur soutien. Je l’aime tellement », répète-t-il.

Ces dernières années, il affirme avoir vu l’Égypte se dégrader et perdre de sa noblesse.

« Les gens ont retiré de mauvaises choses de la révolution, pour eux, la liberté c’est l’anarchie. Je pense que les gens qui ont fait la révolution méritent la prison, ils réclamaient la liberté et la justice, mais ils se sont révélés être des gens dangereux pour notre pays. »

Il nomme pêle-mêle les Frères musulmans, quelques noms de mouvements libéraux et dit « le 6 avril, [mouvement de jeunes Égyptiens opposés au régime militaire, l’un des premiers qui avait appelé aux manifestations pacifiques en 2011] ils n’aiment pas notre pays, ils réfléchissent égoïstement à leurs intérêts propres ».

Mais la révolution lui a-t-elle permis de s’ouvrir et de se politiser ? « Non », tranche-t-il, « aujourd’hui les gens parlent beaucoup, mais ils ne connaissent rien. Ils avalent et répètent la propagande du Qatar et d’Al Jazeera. »

Adel est un soutien indiscutable du nouveau pouvoir en place.  « Al-Sissi est quelqu’un de bien, c’est quelqu’un de fort et il essaye de nous aider, mais il est débordé, avec cette révolution, le pays est revenu 60 ans en arrière, il faut tout rebâtir ! », s’exclame-t-il en accusant à demi-mots les Frères musulmans.

Du nouveau gouvernement, il regrette pourtant une chose : qu’il « n’ait pas assez le contrôle sur la population. » Pour lui, « il faut plus de fermeté ! Moubarak avait déjà fait l’erreur de laisser trop de liberté aux gens,  ça a fini en révolution ! (…) On n'apprend plus les bonnes choses aux enfants, ils passent leur temps devant la télévision à regarder des films qui encouragent les armes et les drogues, et puis Internet, moi je pense qu’il vaudrait mieux l’interdire. Nos jeunes y passent leurs journées, ils finissent par y apprendre comment fabriquer des flingues et des bombes et même comment faire une révolution ! (…) Moi je veux préserver mes petits de tout ça, ils ont interdiction de regarder la télévision et d’aller sur internet, c’est de la mauvaise influence, notre culture a foutu le camp ! »

Il reconnait pourtant que le changement a eu du bon, ou du moins, il en aura. « On se sacrifie pour nos enfants, la vie est devenue difficile depuis, mais eux auront une vie meilleure. »

En attendant, il somme les étrangers d’arrêter de s’offusquer : « regardez-vous, vous jugez notre pays mais qu’est-ce qu’il se passe chez vous ? On ne tue pas les Noirs chez vous ? », peste-t-il en faisant référence aux émeutes de Ferguson aux Etats-Unis. « Il faut arrêter la psychose sur l’Égypte, une manifestation, une bombe et on en entend parler pendant des années. »

Adel s’est bel et bien politisé, mais n’en a visiblement pas conscience.

* À leur demande, les noms de certains interlocuteurs ont été changés pour préserver leur sécurité. 

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