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Trump et le Moyen-Orient : ce que nous apprend le livre de Michael Wolff

L’attaque de missiles contre la Syrie, les luttes internes sur le processus de paix ou encore les dessous de la fête organisée à Riyad : le livre de Michael Wolff en dit long sur Trump et le Moyen-Orient
Le président américain Donal Trump, en compagnie du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et du roi saoudien Salmane, à Riyad, en mai 2017 (capture d’écran)

La politique étrangère du président américain Donald Trump a été taxée de « galimatias nauséabond » dans Fire and Fury, l’ouvrage documentant les neuf premiers mois de l’administration Trump, écrit par Michael Wolff – qui a reçu des menaces de la Maison-Blanche.

Donald Trump a rejeté le livre comme « un tissu de mensonges et de déclarations frauduleuses »...

Traduction : « J’ai autorisé zéro accès à la Maison-Blanche (en fait, j’ai refusé plusieurs fois) à l’auteur de ce livre bidon ! Je ne lui ai jamais accordé d’entretien pour un livre. Tissu de mensonges, déclarations frauduleuses et sources inexistantes. Épluchez le passé de ce type et regardez ce qui lui arrive, à lui et à Steve le débraillé [surnom dont il a affublé son ancien conseiller Steve Bannon] »

Mais vendredi, Wolff a remercié le président américain d’avoir fait grimper les ventes dès le début de la diffusion de son livre en librairie, quatre jours plus tôt que prévu, en pleine vague de révélations et battage médiatique.

Traduction : « C’est parti. Vous pouvez l’acheter (et le lire) dès demain. Merci à vous, Monsieur le Président »

Ce livre traite un grand nombre d’aspects, y compris la façon dont le cercle rapproché de Trump a affirmé que les trois derniers présidents américains avaient eu « tout faux sur la question du Moyen-Orient ».

De l’ordre donné par Trump de tirer des missiles sur une base aérienne syrienne en passant par la façon dont le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane est devenu « le chouchou » de l’Amérique, voici ce que nous apprenons à propos de la vision de Trump sur le Moyen-Orient – et les bagarres en interne qui l’ont parfois façonnée.

1. C’est gagnant-gagnant pour Trump et le Saoudien MBS

Le roi saoudien, Salmane ben Abdelaziz al-Saoud, en compagnie de Jared Kushner et Ivanka Trump, lors d'une cérémonie à Riyad, en mai 2017 (AFP)

Wolff décrit la synergie entre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) et le clan Trump comme nourrie par le fait qu’ils ne savaient pas grand-chose de ce qu’ils faisaient :

« Quand MBS s’est proposé à [Jared] Kushner pour le rôle de grand supporter de l’Amérique au royaume saoudien, ça lui a fait le même effet que de ‘’tomber sur quelqu’un de gentil le premier jour de son entrée à l’internat’’, a déclaré l’ami de Kushner.

Une fois que MBS a assuré à l’équipe de Trump qu’il allait « vraiment leur fournir de bonnes nouvelles », il a été invité à visiter la Maison-Blanche et, depuis, Trump et MBS « se sont découvert des atomes crochus ».

« Ce fut un moment de diplomatie agressive. Son adoubement par Trump a donné à MBS des atouts dans son propre jeu de pouvoir au royaume. Et la Maison-Blanche de Trump, tout en niant, l’a laissé faire. »

« MBS lui a renvoyé l’ascenseur en lui offrant une corbeille de contrats et d’annonces qui allait coïncider très opportunément avec une visite présidentielle en Arabie Saoudite – première destination prévue de Trump à l’étranger. Cela allait tomber à pic pour Trump ».

2. MBS a reçu de Trump le feu vert pour « intimider » le Qatar

En mars 2017, le prince héritier adjoint saoudien, Mohammed ben Salmane, a rencontré Trump à la Maison Blanche (AFP)

Trump aurait donné au prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, le feu vert pour « intimider le Qatar » et commencer sa purge dans la famille royale et l’élite économique saoudiennes. Wolff écrit ceci :

« Le président, en ignorant, voire même en défiant ses conseillers en politique étrangère, a approuvé le projet des Saoudiens d’intimider le Qatar. Trump était convaincu que le Qatar finançait des groupes terroristes – n’écoutez pas si l’on vous raconte une histoire saoudienne similaire (seuls quelques membres de la famille royale saoudienne avaient fourni ce genre de soutien) ».

Des semaines après avoir visité Riyad, Trump racontait à ses amis que Kushner et lui avaient orchestré la montée en puissance de MBS pour en faire le prince héritier saoudien et l’héritier présomptif du trône saoudien.

3. La guerre Bannon-Kushner sur les pourparlers de paix

Jared Kushner et Steve Bannon assistent à une réunion politique de Trump dans l’État de l’Ohio, en septembre 2016 (AFP)

En confiant à son gendre Jared Kushner le portefeuille de la paix au Moyen-Orient, Trump savait parfaitement qu’il le mettait dans l’embarras. Le présentateur de Fox News, Tucker Carlson, a dit en plaisantant que le président « n’avait fait aucun cadeau à Kushner ».

« On peut le dire comme ça », répondit Trump, se délectant de la plaisanterie.

« Ainsi le président l’a distingué parce qu’il est juif, l’a récompensé de sa judéité, l’a envoyé dans une mission impossible parce qu’il est juif – sans oublier de tomber dans le piège du stéréotype sur les talents de négociateur des juifs. ‘’Henry Kissinger a dit que Jared serait le nouveau Henry Kissinger’’, répète Trump à l’envi, ce qui ressemble surtout à un compliment mâtiné d’injure ».

Pendant ce temps, le stratège en chef de Trump, Steve Bannon – taxé d’antisémite par Kushner, aux dires de Wolff – « s’est empressé de tirer sur lui à boulets rouges » au sujet du dossier sur la paix. Bannon était de mèche avec le magnat du casino, Sheldon Adelson, qui « dénigrait régulièrement les motivations et les capacités de Kushner » – mais Trump s’obstinait à dire à Kushner d’en référer à Adelson, l’enfermant ainsi dans un cercle vicieux.

« Kushner, élevé dans un milieu juif orthodoxe, trouvait profondément déconcertants les efforts de Bannon pour s’approprier l’étiquette du ‘’plus fort’’ sur la question d’Israël », écrit Wolff. « Aux yeux de Kushner, la défense d’Israël par un Bannon franchement à droite, approuvée par Trump de surcroît, était devenue une sorte de numéro de jujitsu antisémite dirigé directement contre lui ».

4. « Jérusalem au premier jour »

Le Dôme du Rocher, monument du complexe de la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem (AFP)

D’après ce livre, le stratège de la Maison-Blanche, Bannon, a déclaré à l’ancien PDG de Fox News, Roger Ailes, que « la première chose que ferait Trump serait de déménager l’ambassade à Jérusalem ». S’exprimant sans détour avec Ailes, lors d’un dîner qui s’est avéré par la suite avoir été organisé par Wolff, Bannon donne sa vision de la façon dont Trump allait remodeler le Moyen-Orient :

« Que la Jordanie prenne la Cisjordanie, que l’Égypte s’empare de Gaza. Laissez-les s’en occuper... ou couler pendant la manœuvre. Les Saoudiens sont au bord du gouffre, les Égyptiens sont au bord du gouffre, ils ont tous une peur bleue de la Perse... Yémen, Sinaï, Libye... quelles sales affaires... Voilà pourquoi la Russie joue un rôle clé... La Russie est-elle si mauvaise ? Ce sont des méchants. En même temps, le monde est plein de méchants, non ? ».

5. La Turquie ne sait que penser de Trump

Trump et le président turc Recep Tayyip Erdoğan à l’ONU, en septembre 2017 (AFP)

Au début de la période de transition, écrit Michael Wolff, un haut fonctionnaire turc, « dans un état de totale confusion », interrogea un important homme d’affaires américain sur la manière d’influencer la Maison-Blanche sous Trump.

Ce haut fonctionnaire demanda « si la Turquie serait en meilleure position en faisant pression sur la présence militaire américaine en Turquie, ou en offrant au président un site hôtelier enviable sur le Bosphore ».

Malgré ses nombreuses tentatives, la Turquie n’a guère pu à faire pression sur les États-Unis pour obtenir l’extradition de Fethullah Gülen, résident de Pennsylvanie et cerveau présumé derrière la tentative ratée de coup d’État de juillet 2016.

6. Aux origines de la haine que nourrit Trump à l’égard de l’Iran

Michael Flynn fut contraint de démissionner suite aux révélations selon lesquelles il avait trompé le vice-président Mike Pence au sujet de ses conversations téléphoniques avec l’ambassadeur russe (AFP)

La rhétorique hostile de Trump envers l’Iran sous-tend toute sa politique étrangère. Wolff soutient que, sous la tutelle de l’ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, Trump a appris que « le méchant, c’est l’Iran ».

Cela a aussi « amené Trump à croire que quiconque s’oppose à l’Iran ne peut qu’être un chic type ».

7. Le Moyen-Orient : un jeu à quatre joueurs seulement

L’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de l’Iran, prononce un discours à Téhéran, en mai 2015 (AFP)

Le cercle rapproché de Trump a réduit le Moyen-Orient à « ces seuls quatre acteurs » : Égypte, Israël, Arabie saoudite et Iran.

Ils pensaient que les trois premiers s’uniraient contre Téhéran et espéraient qu’Égypte et Arabie saoudite ne s’immisceraient pas dans les intérêts de l’Amérique tant qu’elle pourra faire ce qu’elle veut de l’Iran. Wolff a écrit que cette nouvelle position sur le Moyen-Orient représentait :

« Un galimatias nauséabond ». L’isolationnisme de Bannon (allez tous au diable – tant qu’on peut, nous, se tenir à distance), l’anti-iranisme de Flynn (en matière de perfidie et toxicité, les mollahs sont champions du monde toutes catégories), et le kissingerisme de Kushner (plus que kissingeriste, puisqu’il n’a pas d’avis personnel, Kushner s’efforce plutôt de suivre consciencieusement les avis de l’ancien conseiller de 94 ans) ».

8. Comment Trump en est arrivé à attaquer la Syrie

Les États-Unis tirent des missiles de croisière contre une base aérienne syrienne, suite à l’attaque à l’arme chimique sur Khan Cheikhoun (AFP)

Suite à l’attaque chimique perpétrée le 4 avril 2017 contre la ville syrienne de Khan Cheikhoun, Trump a pris, en représailles, la décision sans précédent de tirer des missiles Tomahawk contre une base aérienne du gouvernement syrien.

Wolff explique que Trump ne savait trop quoi faire au début, mais ensuite :

« En fin d’après-midi, Ivanka [Trump] et Dina [Powell, conseillère adjointe à la Sécurité nationale] ont concocté une présentation que Bannon, dégoûté, a résumé en évoquant une série de photos d’enfants, l’écume à la bouche. Lorsque ces deux femmes ont montré leur présentation au président, il l’a regardée plusieurs fois, comme hypnotisé. Devant la réaction du président, Bannon a vu le trumpisme se dissoudre sous ses yeux ».

Suite à une autre série de délibérations, le 6 avril, écrit Wolff, Trump a ordonné d’attaquer le lendemain.

« À la fin de la réunion, une fois sa décision prise, Trump, dans une humeur joviale, revint discuter avec des journalistes qui voyageaient avec lui sur Air Force One. Tout en les aguichant, il a refusé de leur révéler ce qu’il comptait faire en Syrie ».

L’attaque a été lancée alors que Trump divertissait le président chinois à Mar-a-Lago, sa résidence de Floride. Une fois la séance terminée, Trump a posé pour des photos en compagnie de quelques-uns de ses conseillers et membres de son équipe. Pendant ce temps, écrit Wolff : « Steve Bannon était resté assis à sa place, à table, et contenait sa rage, révolté par cette mise en scène parce qu’il n’y voyait qu’une scandaleuse imposture ».

La politique étrangère de Trump au Moyen-Orient semble parfois imprévisible. Mais, à l’occasion de cette frappe en Syrie, Wolff écrit : « Le personnel présidentiel de sécurité nationale était encore plus soulagé. Leur président imprévisible semblait presque prévisible. Le président ingérable, gérable."

9. Interdiction aux musulmans de voyager : Bannon voulait des manifestations dans les aéroports

Trump signe un décret interdisant aux réfugiés et aux musulmans originaires de sept pays d’immigrer aux États-Unis, provoquant colère et indignation dans le monde entier (AFP)

Le stratège en chef de la Maison-Blanche, Steve Bannon, était obstinément déterminé à faire adopter le décret exécutif interdisant aux musulmans de certains pays d’entrer aux États-Unis – mais il y avait un problème.

« Bannon ne savait vraiment pas comment s’y prendre – comment modifier les règles et les lois. Cette limitation, comprit Bannon, pourrait facilement être utilisée pour contrecarrer leurs plans. Leur ennemi était la procédure. Alors pourquoi ne pas se lancer – peu importe comment – et se lancer sans plus attendre, voilà la plus puissante contre-mesure ! ».

Bannon, qui d’après Wolff ne s’est jamais servi d’un ordinateur, a envoyé le conseiller politique de la Maison-Blanche, Stephen Miller, « trouver sur Internet plus d’informations sur les décrets et essayer d’en faire une ébauche ».

Le jour de la signature du décret le 27 janvier, la plupart des membres du personnel de la Maison-Blanche exigèrent de savoir pourquoi il avait été promulgué un vendredi, « jour où les aéroports en pâtiraient le plus, ce qui susciterait un maximum de manifestants ». Wolff écrit :

« Euh… Je vais vous le dire », a répondu Bannon. « C’est pour que les ‘’flocons de neige’’ [génération devenue adulte pendant les années 2010, terme moqueur utilisé par les partisans de Trump pour qualifier leurs adversaires] se montrent dans les aéroports et provoquent des émeutes ».

10. Secrétaire Haley, ambassadeur Powell ?

L’ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU Nikki Haley (Reuters)

L’ambassadrice auprès de l’ONU Nikki Haley, qu’un collaborateur de haut rang taxe d’« aussi ambitieuse que Lucifer », avait été introduite dans le cercle rapproché de Trump par la fille du président, Ivanka, qu’elle « courtisait et avec laquelle elle s’était liée d’amitié ».

Haley, selon Wolff, avait conclu que Trump ne tiendrait qu’un mandat – voire moins – et « que c’est elle, si elle se montrait dûment soumise, qui pourrait devenir sa potentielle héritière ». Or, les Trump avaient tout autre chose en tête.

« Comme l’avait de mieux en mieux compris l’équipe de politique étrangère et de sécurité nationale, c’était sur Haley que la famille avait jeté son dévolu pour le poste de secrétaire d’État, après l’inévitable démission de Rex Tillerson (de même, Dina Powell allait profiter de ce remaniement pour remplacer Haley à l’ONU). »

Bannon s’inquiétait tellement qu’Haley s’avère plus maline que Trump, écrit Wolff, qu’il a insisté pour que Mike Pompeo, nommé par Trump directeur de la CIA, remplace le secrétaire d’État Tillerson si – ou plus vraisemblablement le jour où – il finirait par démissionner.

11. Des voiturettes de golf… plaquées or

Trump avec le roi d’Arabie saoudite, Salmane ben Abdelaziz, lors de la parade à Riyad (Reuters)

Pendant le premier voyage de Trump à l’étranger, pour se rendre au sommet historique de Riyad, en mai 2017, et devant le globe désormais célèbre sur lequel les dirigeants ont posé leurs mains, la première famille, dont Jared Kushner et son épouse Ivanka, « a été véhiculée dans des voiturettes de golf plaquées or », et les Saoudiens ont organisé en l’honneur de Trump une fête à 75 millions de dollars, où se trouvait un siège en forme de trône sur lequel était installé le président.

« Le président a téléphoné à ses amis restés aux États-Unis pour leur dire que tout allait bien et que tout était facile, et qu’Obama avait, de manière inexplicable et suspecte, vraiment tout gâché ».

Traduction de l’anglais (original) de Dominique Macabies.

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