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Hadj en Arabie saoudite : le bilan de la catastrophe serait, d’après des photos, de plusieurs milliers de morts

Middle East Eye a eu entre les mains des preuves qui contredisent le bilan – inférieur à un millier – communiqué par les autorités saoudiennes
Une famille pakistanaise pleure l’une des victimes de la bousculade du pèlerinage annuel, à Multan (AFP)

Middle East Eye est en mesure de révéler que le nombre de victimes de la catastrophe survenue pendant le Hadj en Arabie saoudite serait beaucoup plus élevé que les 769 annoncées par les sources officielles ; le bilan des pertes pourrait bien être le pire jamais enregistré à cette occasion.

Nous avons vu des preuves suggérant qu'au moins 2 432 personnes ont été tuées le 24 septembre, lorsque des pèlerins ont été piétinés à un carrefour de Mina, à la Mecque, non loin de la ville sainte.

Des photos affichées au Centre médical d'urgence Muaism à Mina – où il est permis jusqu'au 30 octobre de rechercher des proches disparus – permettraient de comprendre comment sont numérotées les victimes.

Une source saoudienne s’est rendue à Mina le 30 septembre. Elle a passé quatre jours dans le centre et y a secrètement pris des photos ; puis les a envoyées à Middle East Eye, sous couvert d’anonymat par peur d'être arrêtée.

Sur chaque corps est posé un écriteau indiquant un numéro composé de trois parties, dont deux ne changent pas sur les photos vues par Middle East Eye.

La première partie indique l'année du décès – 1436, selon le calendrier islamique – et la seconde un code correspondant au lieu où le corps a été traité.

Le troisième chiffre correspond au numéro de série donné à chaque corps dans chacun des sites de traitement.

Sur les photographies examinées par Middle East Eye, on voit dans une morgue une rangée de corps étendus, chacun comportant un numéro de série ascendant.

Le visage des pèlerins a été pixélisé, par égard envers les familles (MEE)

Cette source a envoyé à Middle East Eye plus de 50 photos de victimes, où l’on remarque que les numéros sont de plus en plus élevés.

Middle East Eye a relevé que le décompte atteignait 2 106, près de trois fois le nombre de morts officiellement déplorées par les autorités saoudiennes.

Photo prise dans un centre médical à Mina (MEE)

La source de MEE affirme avoir constaté des chiffres bien supérieurs à 2 106 : jusqu'à 2 253 ; tout en précisant qu’il lui avait été impossible de prendre plus de photos, par crainte d’éveiller les soupçons des patrouilles de policiers.

La source a également envoyé à MEE une copie du rapport du médecin légiste à Djeddah ; elle prétend l’avoir obtenu lorsqu'elle se trouvait dans cette ville portuaire de la mer Rouge. Ce rapport a enregistré 326 décès dans les hôpitaux de Djeddah, suite à la bousculade à Mina.

Ce qui porterait le nombre de morts à au moins 2 432 : la pire catastrophe, et de loin, à avoir jamais frappé le pèlerinage annuel, bien plus tragique que la bousculade de 1990, où 1 426 pèlerins avaient perdu la vie.

D’après notre source, le bilan serait nettement plus grave que les 2 534 victimes constatées. Elle affirme que de nombreuses personnes avaient été transférées à l'hôpital de Taïf, qui n’a pas encore publié la liste des victimes.

Ces rapports faisant état de milliers et non pas de centaines de morts sont cohérents avec les dires d’un médecin qui, le jour de la catastrophe, travaillait au service des urgences d'un hôpital de Mina.

Ce médecin a dit à MEE, sous couvert d’anonymat, que les équipes médicales sur place trouvaient inconcevable qu’on puisse ne déplorer que quelques centaines de victimes.

« Il y avait des corps partout », s’exclame ce médecin, qui estime que les victimes pourraient se compter par milliers. Il est convaincu que la bousculade a indubitablement provoqué une catastrophe bien plus grave que les estimations gouvernementales.

MEE a contacté un porte-parole de l'ambassade saoudienne à Londres mais il n’a pas souhaité commenter ces allégations. Les autorités saoudiennes ont toutefois défendu leur bilan des pertes humaines de la bousculade quand d’autres personnes l’ont mis en doute.

Le 28 septembre, les autorités indiennes et pakistanaises ont déclaré que Riyad avait transmis à leurs diplomates 1 100 photos de victimes de la bousculade de Mina.

Un porte-parole du ministère saoudien de l'Intérieur a réagi en déclarant publiquement que ces photos incluaient aussi des victimes de causes naturelles, ainsi que celles, non identifiées, d'un désastre antérieur, lorsque le 11 septembre, une grue installée à la Mecque s’était effondrée, tuant 111 personnes.

The Associated Press, cependant, a également indiqué qu’en prenant toutes les déclarations officielles en compte, plus de 1 100 personnes auraient perdu la vie dans la cohue.

L'incident a également déclenché une guerre verbale entre l'Arabie saoudite et l’Iran, son rival régional, qui prétend qu'au moins 464 de ses ressortissants sont morts à Mina.

Téhéran a reproché à Riyad sa gestion calamiteuse du pèlerinage annuel qui, cette année, a accueilli plus de 2 millions de personnes venues du monde entier.

Les médias d'État iraniens ont affirmé que plus de 4 000 personnes ont été tuées dans la bousculade ; les parlementaires ont manifesté leur colère en demandant que l’organisation du Hadj ne soit plus confiée à l'Arabie saoudite.

Riyad a rejeté les allégations de Téhéran, mais doit maintenant faire face à plusieurs remises en question de son décompte des victimes à Mina – cette fois-ci par la Turquie.

Un fonctionnaire turc du ministère des Affaires religieuses, Mohammed Gormaz, a déclaré mercredi préparer un rapport à l’attention des autorités saoudiennes. Ce rapport se fonde sur des témoins oculaires ; à l’en croire, les morts pourraient se compter « par milliers », ce qui exige de savoir pourquoi, à ce jour, aucune « raison plausible » n’a été apportée pour expliquer le nombre si élevé de victimes.

Gormaz pense que l’estimation iranienne de 4 000 morts est sans doute exagérée. Mais il a suggéré que l'Arabie saoudite devrait partager la gestion du Hadj avec d'autres pays musulmans ; commentaires qui ont poussé le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, à intervenir et réitérer le soutien de la Turquie à l’organisation du Hadj par la seule Arabie saoudite.

Des familles toujours dans l’incertitude

Pendant que la polémique fait rage dans la région, un grand nombre de personnes sont encore à la recherche de proches disparus, présumés blessés ou morts.

« Les blessés ont été transférés vers plusieurs hôpitaux aux quatre coins du royaume, et leurs familles ne savent donc pas vraiment où les chercher », a confié par téléphone à MEE un organisateur du Hadj, Abou Jaffar, depuis Safwa, dans la province orientale d'ach-Charqiya.

Il a félicité les autorités de l’aide fournie à ceux qui recherchent des proches disparus, tout en rappelant que ce désastre n’est pas encore réglé et que son ampleur reste indéterminée à ce jour.

« Je ne sais combien de blessés sont encore soignés dans les hôpitaux. Personne ne le sait, sauf le gouvernement », a-t-il affirmé. « Les gens vont à la morgue et toutes les photos y sont exposées. Ils peuvent consulter tous les clichés, une longue succession de visages des personnes décédées, jusqu'à y repérer leurs proches. »

« Les familles ne doivent pas interrompre leurs recherches. Une fois acquise la certitude de la mort d’un parent, c’est effectivement la fin. Mais tant que leurs proches sont portés ‘‘disparus’’, ils doivent s’acharner à les retrouver. »

La source de MEE a parcouru les rues de Mina et affirmé que des corps sont actuellement stockés dans des camions réfrigérés, parce que « toutes les morgues sont pleines ». Il a également exprimé ses craintes de voir de nombreuses familles ne jamais retrouver leurs proches.

« Jour après jour, les corps changent de couleur, ils noircissent », a dit la source. « C’est pourquoi les autorités se sont permises d’enterrer certaines victimes sans que les familles aient pu les identifier au préalable. »

« C’est une énorme catastrophe – du jamais vu. » 
 

Traduction de l’anglais (original).

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