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Kirkouk au centre de l’attention alors que les Kurdes se rendent aux urnes

Un dirigeant turkmène irakien met en garde contre le fait que le référendum sur l’indépendance kurde pourrait ouvrir « la porte des enfers »
Des drapeaux de différentes communautés de Kirkouk sont hissés dans une rue de la ville (MEE/Alex MacDonald)

KIRKOUK, Irak – Alors que les Kurdes se rendent aux urnes ce lundi pour voter à l’occasion du référendum sur l’indépendance du Kurdistan, les regards se tournent en grande partie vers Kirkouk, la ville multiethnique qui a été incluse dans le périmètre du référendum malgré l’opposition de certains responsables politiques locaux et d’habitants.

Les habitants de la ville auraient stocké des fournitures au cours du week-end, par crainte que les peshmergas kurdes, les Hachd al-Chaabi chiites et d’autres groupes armés ne soient prêts à s’affronter suite au résultat.

Tard ce dimanche, le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a prévenu qu’il n’épargnerait aucun effort pour empêcher la désintégration de l’Irak.

« Cela ne fait aucune différence si [Kirkouk] fait partie du Kurdistan ou de l’Irak. Je n’en ai rien à faire »

– Said Ali, habitant de Kirkouk

« Nous prendrons les mesures nécessaires pour préserver l’unité du pays », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Nous ne permettrons pas à quiconque de jouer avec l’Irak sans en payer les conséquences. »

Le président du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) Massoud Barzani a pour sa part déclaré qu’il avait « donné des instructions et des ordres à toutes les unités de peshmergas afin qu’elles ne répondent à aucune provocation », mais a averti que les peshmergas serait néanmoins prêts à répondre à la violence ou aux tentatives de perturbation du scrutin.

Les observateurs internationaux se sont concentrés sur Kirkouk, avec son mélange d’habitants kurdes, turkmènes et arabes – chaque communauté disposant de plus d’un groupe armé –, faisant de celle-ci le point culminant de toute retombée potentielle de la posture d’Abadi et de Barzani.

Drapeaux représentant les symboles des communautés turkmène, arabe et kurde (MEE/Alex MacDonald)

Dans le centre de Kirkouk, un marché est entouré de divers drapeaux – certains arborent le jaune, le rouge et le vert du drapeau du Kurdistan avec un soleil au centre, d’autres le croissant de lune sur fond bleu azur du drapeau turkmène, d’autres encore représentent Hussein, petit-fils du Prophète Mohammed, vénéré par les musulmans chiites.

Plusieurs vendeurs et acheteurs sur le marché ont exprimé leur inquiétude face à ce qui pourrait arriver à la ville après lundi, ajoutant qu’ils ne voulaient pas voir des divergences politiques affecter le tissu social.

Les Kurdes affirment depuis longtemps que Kirkouk est leur capitale culturelle, ce que revendiquent également les Turkmènes. Les dirigeants kurdes soutiennent que Saddam Hussein, l’ancien dirigeant baasiste, remplaça stratégiquement la population kurde de la ville par des Arabes afin de changer la démographie.

« Pourquoi devrais-je avoir peur, pourquoi devrais-je avoir peur ? », a demandé un résident arabe.

« Il n’y a rien à craindre pour moi. C’est ma ville et je resterai ici. Je n’ai pas peur. »

Saïd Ali, un Arabe de 50 ans dont la famille vit dans la ville depuis au moins deux générations, a également déclaré qu’il n’était pas inquiet de la violence susceptible d’éclater après le scrutin.

« Non, cela ne m’inquiète pas », a-t-il affirmé.

« Cela ne fait aucune différence si [Kirkouk] fait partie du Kurdistan ou de l’Irak. Je n’en ai rien à faire. »

« Un prix élevé »

Toutefois, en dépit de l'indifférence apparente de certains résidents, les groupes armés dans et autour de la ville sont de plus en plus agités – Kirkouk est contrôlée par les peshmergas kurdes depuis 2014, date à laquelle ces combattants kurdes ont chassé le groupe État islamique de la ville.

Kirkouk ne fait cependant pas partie de la région du Kurdistan qui a été reconnue par la Constitution irakienne après l'invasion de 2003 et le renversement de Saddam Hussein. En effet, l'article 140 stipule que la souveraineté de la ville, ainsi que d'autres zones contestées, y compris Sinjar, doit être décidée à une date ultérieure par le gouvernement irakien.

« Cela a ouvert la porte des enfers. Cela a ouvert la porte aux combats »

- Hicran Kazanci, Front turkmène irakien

Les Hachd al-Chaabi, milices dominées par les chiites dont beaucoup ont des liens avec l'Iran, ont émis de vifs avertissements à l’intention des forces kurdes contre la tentative d'annexer Kirkouk à la région du Kurdistan.

« Il y aura un prix élevé à payer pour ceux qui ont organisé ce référendum, [qui est] une provocation visant à détruire les relations entre les Arabes et les Kurdes », a déclaré ce dimanche le dirigeant des Hachd al-Chaabi, Faleh al-Fayad, selon l’AFP.

« Dès que le référendum aura lieu, il y aura une réaction juridique et constitutionnelle. »

Le président du Front turcoman d’Irak (FTI), Arshad al-Salihi (à droite), prononce un discours à Kirkouk contre le référendum sur l'indépendance de la région autonome kurde d’Irak à la veille du vote (AFP)

De même, des groupes kurdes armés, y compris le Parti de la liberté du Kurdistan iranien-kurde (PAK), ont également prévenu qu’ils étaient prêts à « tout sacrifier, jusqu’à la dernière goutte de sang » pour maintenir Kirkouk sous contrôle kurde.

Les Turkmènes ont également émis des avis sur le référendum : alors que certains sont politiquement alignés sur le GRK et ont exprimé le désir de rejoindre le nouvel État kurde, d'autres se sont montrés profondément méfiants à l’égard du référendum et ont demandé à ce que Kirkouk continue de faire partie de l'Irak.

Hicran Kazanci, responsable du département des relations extérieures du Front turkmène d’Irak, a déclaré à Middle East Eye que le référendum était une tentative pour le président Barzani de maintenir son emprise sur le pouvoir.

« Pourquoi parlent-ils maintenant d'un référendum ? Parce que Monsieur Barzani, son mandat est terminé », a-t-il affirmé.

« Le parlement kurde devrait choisir un autre [président] ou organiser une élection présidentielle pour la région. Ça passe avant. »

Le Front turkmène d’Irak est l'un des principaux groupes à avoir protesté contre une décision du conseil provincial de Kirkouk de hisser le drapeau du Kurdistan sur les bâtiments municipaux en mars.

Il a à maintes reprises répété que toute tentative d'inclure Kirkouk dans le cadre du GRK était inconstitutionnelle.

« Nous voulons que l'Irak revienne comme il était »

- Un habitant de Kirkouk

« Nous disons non, nous n'allons pas au référendum – beaucoup de gens, pas seulement les Turkmènes, pas seulement les Arabes et les Kurdes, disent que c'est une mauvaise chose », a déclaré Kazanci.

« Parce que cela a ouvert la porte des enfers. Cela a ouvert la porte aux combats. »

Kazanci a ajouté qu'il pensait qu'une majorité de résidents de Kirkouk était opposée au référendum, y compris des Kurdes.

« Les Kurdes à Kirkouk, je peux vous le dire – au moins 50 % ne veulent pas du référendum. »

Alors que la tension monte, les habitants de Kirkouk ​tentent de maintenir un semblant de normalité en attendant l'annonce des résultats du référendum lundi soir.

« Nous voulons que l'Irak soit uni et nous voulons vivre en paix. Nous ne voulons pas la guerre », a déclaré un homme sur le marché central.

« Nous voulons que l'Irak revienne comme il était. »
 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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