Aller au contenu principal

L’Algérie et le Maroc, plus que jamais frères ennemis

Le chef de la diplomatie algérienne a déclenché une nouvelle crise dans la douloureuse relation diplomatique entre Rabat et Alger, que le retour du Maroc dans l'Union africaine a durablement affecté
En un discours, le ministre algérien des Affaires étrangères Abdelkader Messahel s'est mis à dos les banques et les médias marocains, et la Royal Air Maroc (AFP)

ALGER – Après l’affaire du drapeau algérien brûlé, du diplomate marocain tabassé, et des réfugiés syriens bloqués à leur frontière commune, le dérapage du ministre algérien des Affaires étrangères est venu envenimer des relations déjà exécrables entre Alger et Rabat.

Abdelkader Messahel, le chef de la diplomatie algérienne, est parti très loin vendredi 20 septembre, lors de l’université d'été du Forum des chefs d'entreprises, le principal patronat algérien.

À une question sur le dynamisme des banques marocaines en Afrique, il a répondu qu'elle servaient, selon de nombreux chefs d'États africains qui le lui auraient dit, à des opérations de blanchiment de l'argent de la drogue, avant de s’en prendre au pavillon national chérifien, la prestigieuse Royal Air Maroc (RAM), qui selon lui, « ne transporterait pas que des passagers ».

Les médias marocains ont aussitôt réagi, notamment le très officiel journal télévisé de la chaîne étatique, dans un reportage expliquant que la sortie de Messahel servait à masquer la gravité de l’état de santé du chef de l’État.

L’ambassadeur marocain à Alger a été rappelé dès le samedi pour consultation, les banques ont prévenu par communiqué qu’elles se réservaient « tous les droits de recours contre [ces] graves déclarations », et la RAM s’est dite « scandalisée par ces allégations calomnieuses ».

« Les relations algéro-marocaines sont passées par différentes étapes depuis de la guerre des Sables de 1963, qui a vu les Forces armées royales marocaines [FAR] envahir l’Algérie et la mort de milliers d'Algériens au sortir d'une guerre de libération extrêmement meurtrière », rappelle Mourad Goumiri, président de l’Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale (ASNA), à Middle East Eye.

« Depuis la guerre des Sables, tous les chefs militaires algériens se sont toujours méfiés du Maroc »

- Mourad Goumiri, président de l’Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale (ASNA)

« À cette époque, l'aide militaire cubaine massive avait permis de renverser le rapport de force militaire. Le problème frontalier a été circonscrit après la signature des accords d'Ifrane et ceux de Tlemcen. Mais depuis, tous les chefs militaires algériens se sont toujours méfiés du Maroc, non pas comme pays et comme peuple, mais de la monarchie et de son roi, Hassan II, en maintenant des forces militaires puissantes aux frontières-Ouest », poursuit-il.

Pourtant, lors du sommet de Zéralda pour la construction de l'Union du Maghreb arabe (UMA) en 1988, Chadli Bendjedid [président de l’Algérie], Hassan II, Habib Bourguiba [président de la Tunisie] et Mouammar Khadafi [chef de la Libye] s’étaient engagés devant leur peuple respectif à construire cette union pour la stabilité et la prospérité partagée.

Au moment de la signature du traité de Marrakech, l’année suivante, la population avait même espéré que quelque chose de neuf était en train de se construire. Mais l’attentat à Marrakech en 1994 et la fermeture des frontières leur ont fait perdre ces illusions.

Une source de préoccupation

L'arrivée du président Bouteflika en avril 1999, suivie par l'intronisation du jeune Mohamed VI avait aussi amorcé une éclaircie dans les relations entre Rabat et Alger. Mais là encore, le répit ne durera pas longtemps, le dossier du Sahara occidental restant en suspens.

« La question de la République arabe sahraouie est fondamentale pour l'Algérie. Abandonner le peuple sahraoui à son sort serait un reniement des principes qui ont mené à l'indépendance de l'Algérie et ce serait désavouer l'ONU et ses résolutions », souligne un diplomate algérien à MEE

Dans ce contexte de véritable guerre froide entre le Maroc et l'Algérie, la sortie de Messahel était d’ailleurs « attendue », confie un universitaire marocain à MEE. « À un mois du sommet Union européenne - Union africaine [les 29 et 30 novembre à Abidjan], Rabat, Paris et quelques capitales africaines réfutent le droit de la République arabe démocratique sahraouie [RASD] d'y siéger. »

Il faut dire que le retour du Maroc dans l’Union africaine en janvier dernier a été particulièrement mal vécue par Alger.

À LIRE : Pour les Algériens, l'adhésion du Maroc à l'Union africaine passe mal

« L'Algérie a joué à fond la carte africaine dans ses relations tendues avec le Maroc – ce qui lui a bien réussi – alors que le roi Hassan II a préféré la carte occidentale, essentiellement avec le soutien de la France, des monarchies pétrolières, de l'Espagne », souligne Mourad Goumiri.

« Le changement politique opéré par le Maroc qui souhaite réinvestir l'Union Africaine devient pour l'Algérie une source de préoccupation puisque ce qui était acquis au niveau africain auparavant ne l'est plus aujourd'hui. Alors que l'Algérie se redéploie difficilement sur l'Occident, le Maroc investit en Afrique et a gagné la carte économique dans la région. »

L’expert note également que la volonté du Maroc d’adhérer à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et au Conseil de coopération du Golfe (CCG) est perçu par Alger comme un « encerclement ». « Mais le président Bouteflika étant handicapé par la maladie, on enregistre un ralentissement diplomatique flagrant. Reste alors la guerre des "mots" plus ou moins vénéneux et toxiques propagés dans les deux pays en guise de réponses aux problèmes réels que les deux pays refusent de prendre en charge. »

L'arrivée du président Bouteflika en avril 1999, suivie par l'intronisation du jeune Mohamed VI (en photo) en 2000 avait aussi amorcé une éclaircie dans les relations entre Rabat et Alger. Un répit qui ne durera pas longtemps (AFP)

En 2013, une autre crise avait minée pendant plusieurs mois les relations entre les deux pays. Le Maroc était secoué à l'époque par une série de révélations détonantes, le fait d'un cyberactivisteChris Coleman, qui avait eu l'effet d'un WikiLeaks sur le monde politique marocain. 

À la même époque, un leader politique du nom de Hamid Chabat, chef du parti Istiqlal, avait mené une campagne féroce contre l'Algérie en réclamant toute la partie orientale du pays.

Cette crise avait débouché le 1er novembre 2013 sur une scène qui choquera beaucoup d'Algériens : l'invasion du consulat d’Algérie à Casablanca et la profanation de son drapeau, qui aura pour conséquence une longue mise en veille des relations entre les deux pays.

« Un apparatchik de la diplomatie »

Plus récemment, un bras de fer entre les deux pays autour de la prise en charge de réfugiés syriens bloqués pendant des semaines à la frontière - Rabat accusait Alger d’avoir tenté de faire entrer des réfugiés illégalement au Maroc – c’est conclu par une victoire du royaume.

Quelques jours plus tard, lors d’une réunion onusienne dans les Caraïbes, un diplomate de l’ambassade du Maroc sur l’île de Saint-Lucie a été agressé par Soufiane Mimouni, directeur général du MAE algérien. Le ministère des Affaires étrangères marocain avait alors évoqué « une extrême nervosité de la diplomatie algérienne ».

« Malheureusement, tout porte à croire que la situation va empirer », soupire un collaborateur des Affaires étrangères. « Parce que Messahel, contrairement à Lamamra [son prédecesseur] n’est pas un diplomate rompu aux relations internationales, qui sait comment s’adresser aux autres nations. Messahel est juste un apparatchik de la diplomatie nourri à la doctrine de la paranoïa, persuadé que le monde entier complote contre l’Algérie », explique-t-il à MEE.

L'envoyé spécial de l'ONU pour le Sahara Occidental (à gauche) rencontre Brahim Ghali, président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) le 19 octobre 2017 (AFP)

Et ce n’est pas la très diplomatique tournée du nouvel envoyé spécial de l’ONU pour le Sahara occidental, Horst Köhler, qui pourra arranger les choses.

Après avoir rencontré le roi du Maroc Mohammed VI à Rabat, et les responsables du Polisario à Tindouf, localité de l'ouest de l'Algérie abritant le siège de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) ainsi que plusieurs camps accueillant plus de 100 000 réfugiés sahraouis, l’ex-président allemand a été reçu dimanche par le Premier ministre Ahmed Ouyahia.

« Tant qu’il y aura le Sahara occidental au milieu, il ne se passera rien. C’est une fatalité »

- Un diplomate algérien

Après des années d'impasse, Horst Köhler a été chargé en août par le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres de relancer les négociations entre Rabat et les indépendantistes du Front Polisario.

« Le dossier du Sahara occidental ne sera jamais réglé par aucune institution internationale, ni par aucun envoyé spécial – nous l'avons vécu avec l'Américain Christopher Ross. Seule une vision algéro-marocaine transcendantale peut apporter une solution durable », estime Mourad Goumiri.

C’est aussi l’avis d’un diplomate algérien au fait du dossier. « Tant qu’il y aura le Sahara occidental au milieu, il ne se passera rien. C’est une fatalité. »

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].