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L’Algérie s’enfonce dans l’austérité

La prochaine loi de Finances qui sera votée en décembre confirme la tendance amorcée en 2016 : moins d'argent pour les budgets de l'État et de nouvelles augmentations pour le consommateur
Des sachets de lait et des baguettes de pain, les aliments de base des foyers les plus modestes (MEE/Bachir)
Par MEE

« En deux ans, l’huile de tournesol a augmenté de presque 40 % ! Et le beurre ! Il est passé de 80 dinars (60 centimes d’euros) à 250 dinars (un peu plus de 2 euros). Les lentilles, la farine, la lessive, tout est devenu cher, et encore, on sait très bien que ce n’est rien à côté de ce qui nous attend en 2017. » Safiya, enseignante et mère de trois enfants, la seule à travailler dans le foyer, n’a pas besoin d’attendre les derniers chiffres officiels pour savoir que son budget est frappé de plein fouet par l’inflation.

Alors que l’Office national des statistiques (ONS) a annoncé une hausse des prix à la consommation en Algérie de 8,1 % entre août 2015 et juillet 2016, et que les hausses prévues dans la prochaine loi de Finances (approuvée en conseil des ministres la semaine dernière et votée en décembre prochain) sont sorties dans la presse, l’année 2017 s’annonce encore plus difficile que 2016. Cette année déjà, les Algériens ont commencé à sentir les effets de la chute du prix du baril de pétrole sur une économie hyperdépendante aux hydrocarbures — les exportations représentent encore quelque 95 % des revenus selon le Forum des chefs d’entreprises (FCE), principal syndical patronal.

Mais comme toutes les mesures prises depuis presque un an pour enrayer le déficit budgétaire (augmentation du prix de l’essence, de certaines taxes, de l’électricité, etc.) n’ont pas changé la donne, le gouvernement récidivera dans la loi de finances de 2017 qui entrera en vigueur au 1er janvier prochain. Les premières fuites sur le texte sorties dans la presse évoquent de nouvelles augmentations de taxes (100 % de plus pour la taxe sur le tabac, 2 % pour la TVA, entre 30 et 60 % sur les produits énergétiques comme le gaz, l’électricité ou l’essence).

«  Des mesures dangereuses politiquement »

« Ces mesures sont d’abord minables en matière de rendement, relève l’expert financier Ferhat Aït Ali. Car elles permettront de récupérer au mieux 1 milliard de dollars alors que le déficit budgétaire prévisionnel est de 30 milliards ! Si au moins le gouvernement avait élagué dans les subventions sur le lait, les céréales ou l’essence, il aurait pu au moins gagner 18 milliards. Ensuite, ces mesures sont dangereuses politiquement car la population n’est pas prête à assumer de telles augmentations. »

C’est aussi l’avis de Samir Bellal, enseignant à l’université de Tizi Ouzou : « On voit bien que ces mesures ne répondent qu’à la nécessité d’ajuster les déséquilibres du budget mais que derrière, il n’y a aucune vision ou projet politique », souligne-t-il en prenant en exemple la décision (finalement abandonnée) de l’État de revenir sur l’interdiction d’importer des véhicules de plus de trois ans, officiellement pour soulager les prix trop élevés du marché de l’occasion.

« L’État crée des situations de rente et, à des problèmes politiques, n’offre que des réponses administratives. Or le seul projet politique qui tient, c’est de sortir l’économie de la dépendance aux hydrocarbures. Mais rien ne va dans ce sens. »

En deux ans, le dinar a perdu plus de 50 % de sa valeur face au dollar (MEE/Bachir)

Pendant ce temps, tous les indicateurs passent au rouge. Le ministère des Finances a annoncé que le déficit du Trésor public avait atteint 1,7 milliard de dinars (un peu plus de 13 millions d’euros) à la fin du premier semestre, soit… plus de 70 % du déficit prévisionnel pour toute l’année 2016.

Dix milliards d'euros en moins d'investissements publics

Alors l'année prochaine, les budgets de fonctionnement et d'équipement seront aussi revus à la baisse. Le ministère de l'Agriculture voit ainsi son budget amputé de 42 milliards de dinars (345 millions d'euros), l'Éducation nationale perd 18 milliards (147 millions d'euros), celui de l'Intérieur perd 31 milliards de dinars (252 millions d'euros). La coupe la plus sévère touchera les investissements publics, sabrés de 10 milliards d'euros.

https://twitter.com/MohandYahiaoui/status/787571259806773248

« Le président Bouteflika a fait un arbitrage politique sans surprise dans le budget 2017. Il a arbitré au profit du court terme. C’est le sens qu’il faut donner au maintien des transferts sociaux autour du quart du PIB. Au détriment de l’investissement public en baisse de plus d’un quart dans le budget d’équipement, note Ihsane el-Kadi, journaliste spécialiste des questions économiques. Le gouvernement Bouteflika-Sellal a donc privilégié l’accès à la consommation durant l’année prochaine, à la disponibilité de l’emploi et des revenus les années suivantes. La trajectoire budgétaire qui laisse supposer un retour à l’équilibre budgétaire en 2019 repose sur un présupposé dangereux. Le redressement des cours du brut au-delà de 60 dollars le baril dès la fin de l’année prochaine. »

Le gouvernement continue quant à lui d'afficher sa confiance. « Malgré l’effondrement du marché pétrolier et la réduction de la moitié de la fiscalité pétrolière, l’Algérie résiste et continue d’améliorer ses performances économiques », a déclaré en septembre le Premier ministre Abdelmalek Sellal.

« C’est incroyable de dire des choses pareilles, déplore Ferhat Aït Ali. L’État n’a rien fait quand le baril était à 110 dollars. Alors comment nous faire croire qu’il va faire quelque chose maintenant avec 60 milliards de dollars en moins de revenus ? Si rien n’est fait d’ici deux ans, je peux vous dire qu’on va se retrouver dans une situation bien pire que celle de l’Égypte. »

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