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L’arrestation du parrain des janjawids suscite la crainte d’une reprise du conflit dans le Darfour

L’arrestation de Moussa Hilal, ancien dirigeant des janjawids, relève des efforts déployés par Khartoum pour renforcer son pouvoir dans le Darfour, selon des analystes
Moussa Hilal a été recruté par le gouvernement soudanais pour organiser et diriger les janjawids contre les groupes rebelles armés darfouris au début de l’année 2003 (AFP)

KHARTOUM – Après un jeu incessant du chat et de la souris, les autorités soudanaises semblent avoir mis fin à l’héritage de Moussa Hilal, l’ancien chef de la milice janjawid arrêté lundi dernier dans le Darfour à la suite d’affrontements avec les forces gouvernementales.

Hilal a été arrêté près de sa ville natale, Mustariaha, dans le nord du Darfour, après des affrontements avec les forces soudanaises connues sous le nom de Forces de soutien rapide (« Rapid Support Forces » – RSF) et dirigées par son cousin et ancien allié, le général Mohamed Hamdan Dagolo, dit « Hemeti ». Les affrontements ont entraîné la mort de plusieurs dizaines de combattants dans les deux camps.

Hilal a ensuite été transporté à Khartoum avec sa famille et certains de ses loyalistes, tandis que des appels ont été formulés par sa tribu pour qu’il fasse l’objet d’un procès équitable. On ignore pour l’heure le traitement qui lui a été réservé.

Les tensions entre le gouvernement soudanais et le commandant de milice ont atteint un point critique au cours des dernières semaines. Après que le vice-président soudanais Hassabo Mohamed Abdul-Rahman a annoncé le 20 juillet une campagne de désarmement visant à confisquer les armes et les véhicules non autorisés au Darfour, Hilal a fait plusieurs déclarations dans lesquelles il a affirmé que la campagne avait pour objectif de l’éliminer et menacé de déployer une action militaire contre celle-ci.

En tant que commandant de la milice de la Garde frontalière, Hilal compte environ 3 000 hommes dans une enclave qu’il contrôle dans le Darfour du Nord ; des analystes estiment toutefois que son arrestation est liée aux efforts déployés par le gouvernement pour équilibrer le pouvoir dans la région conflictuelle du Darfour.

Les experts craignent qu’en montant l’un contre l’autre Hilal et Hemeti – qui sont tous deux des chefs tribaux et de milices issus de la plus grande tribu arabe du Darfour du Nord, les Rizeigat –, une nouvelle vague de violence ne soit déclenchée dans cette région dévastée par la guerre, cette fois-ci entre les tribus arabes.

Qui est Moussa Hilal ?

Ancien allié du président soudanais Omar el-Béchir, Hilal était membre du Congrès national, le parti au pouvoir de Béchir, et siégeait au parlement soudanais. En 2008, Béchir l’a nommé conseiller spécial pour le ministère du Gouvernement fédéral.

Hilal, qui est cheikh du clan des Mahammed au sein de la tribu arabe des Rizeigat, dans le Darfour du Nord, a été recruté par le gouvernement de Béchir pour organiser et mener les janjawids, un groupe de milices armées disparates, afin de combattre les groupes rebelles armés darfouris après que ces derniers ont commencé à attaquer des cibles gouvernementales au début de l’année 2003 et accusé Khartoum d’opprimer les Africains noirs en faveur des Arabes.

« Alors que le gouvernement a monté l’un contre l’autre les deux chefs de milices [Hilal et Hemeti] pour prendre le contrôle du Darfour, il finira par les exclure tous les deux »

- Mohamed Alabas Alamin, expert en sécurité soudanais

Les janjawids et leur sous-groupe, la milice de la Garde frontalière, ont commis des violations des droits de l’homme à l’encontre des tribus africaines noires du Darfour, suite auxquelles le Conseil de sécurité de l’ONU a prononcé des sanctions contre Hilal en avril 2006. Selon Human Rights Watch, « Hilal et ses hommes ont joué un rôle essentiel dans la campagne de nettoyage ethnique de deux ans menée par l’armée soudanaise et la milice janjawid ».

Malgré de nombreux témoignages de réfugiés indiquant que des raids aériens menés par les avions gouvernementaux dans les années 2000 étaient suivis d’attaques des janjawids, le gouvernement reconnaît uniquement qu’il mobilise des « milices d’autodéfense », démentant néanmoins tout lien avec les milices janjawids arabes.

La mésentente avec Béchir

Pourtant alliés depuis de nombreuses années, Béchir et Hilal se sont brouillés en 2013 ; suite à cela, Hilal a pris ses distances avec le gouvernement et s’est enfui dans sa ville natale, Mustariaha, dans le Darfour du Nord, prenant le contrôle de la région riche en or du Djebel Amir.

Le différend a commencé à la mi-2013, lorsque Hilal a quitté Khartoum suite au refus du gouvernement de se plier à ses exigences politiques, notamment sa nomination au poste de vice-président et la destitution de plusieurs gouverneurs dans le Darfour.

La situation s’est détériorée lorsque Béchir a nommé Hemeti, deuxième dans la hiérarchie des commandants de la Garde frontalière, au poste de commandant de terrain des RSF, un rôle directement rattaché à la présidence. Officiellement connu sous le nom de Mohamed Hamdan Dagolo, Hemeti avait combattu sous le commandement d’Hilal en tant que chef subalterne des janjawids dans le Darfour.

En 2014, Hilal s’est retiré du parti au pouvoir et a créé le Conseil révolutionnaire du réveil soudanais, connu sous le nom d’el-Sahaw, pour en faire l’organe politique représentant ses intérêts. Le Conseil occupe un rôle administratif et judiciaire dans les zones contrôlées par Hilal dans le Darfour. Depuis, Hilal a refusé de retourner à Khartoum et s’est opposé aux appels à la réconciliation lancés par le gouvernement.

Hilal a accusé à plusieurs reprises les agences de sécurité soudanaises d’avoir tenté de l’assassiner ; de même, il s’en est pris au vice-président Abdul-Rahman et au général Hemeti et a déclaré que Béchir ne l’avait pas récompensé pour les combats qu’il a livrés aux côtés du gouvernement contre les rebelles dans le Darfour.

Le président soudanais Omar el-Béchir (AFP)

Une conspiration avec des forces étrangères

Selon le porte-parole des RSF, le général Abdul Rahman Alja’ali, la situation à Mustariaha est calme depuis que les RSF ont pris le contrôle de la zone suite à l’arrestation de Hilal. Des enquêtes ont été lancées par les autorités soudanaises sur les détenus, notamment un ressortissant algérien et d’autres étrangers, a-t-il ajouté.

En août, le vice-président Abdul-Rahman a accusé Hilal d’avoir conspiré avec le général Khalifa Haftar de l’Armée nationale libyenne (ANL), suite à des rapports établissant qu’Hilal avait noué des contacts avec Haftar. Dans le même temps, le gouvernement a arrêté de nombreux miliciens d’Hilal, y compris les membres de sa garde personnelle, alors qu’ils entraient au Darfour depuis la Libye.

Le gouvernement soudanais considère Haftar comme un ennemi et l’accuse de soutenir des groupes armés dans le but de déstabiliser le Darfour.

Le Conseil révolutionnaire du réveil soudanais d’Hilal a rejeté ces déclarations, évoquant « une entreprise montée de toutes pièces » pour faire tomber Hilal, tandis que le chef du bureau des relations étrangères du mouvement, Ali Majok, a formulé ce mardi dans un communiqué de presse des mises en garde contre tout effort déployé dans le but de nuire à Hilal.

« La sécurité de notre chef Moussa Hilal relève de la responsabilité du gouvernement et nous appelons ce dernier à ne pas tenter de lui nuire ou de monter de toutes pièces des accusations contre lui », pouvait-on lire dans le communiqué.

Une femme marche dans les rues de Mayo, une banlieue de Khartoum où vivent de nombreux déplacés internes du Darfour (AFP)

Le bouc émissaire

Critiquant la politique du gouvernement dans le Darfour, le député Fathi Osman Madibu a déclaré que le gouvernement avait provoqué des revendications profondes auprès des tribus arabes et africaines ; il a également ajouté que la responsabilité ultime de l’armement des tribus arabes contre les rebelles africains incombait au gouvernement.

« Il est injuste que ce même gouvernement central qui a armé et créé ces milices cherche actuellement à les désarmer sans établir de fondations propices à la paix, a déclaré Madibu à MEE. Les tribus arabes ont également peur de déposer les armes sans avoir la garantie que les autres le feront aussi. »

« Hilal est considéré comme le bouc émissaire pour les crimes qui ont eu lieu dans le Darfour », a déclaré l’analyste politique soudanais Moussa Hamid.

Malgré la conviction largement partagée que le gouvernement de Béchir est le responsable ultime de ce qui s’est passé dans le Darfour, où 300 000 personnes auraient perdu la vie et plus de 2 millions auraient été déplacées depuis le début de la guerre civile en 2003, la procédure judiciaire à l’encontre de Béchir traîne en longueur.

Les juges de la Cour pénale internationale ont émis en 2009 des mandats d’arrêt contre Béchir et d’autres hauts responsables accusés de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre dans la région de l’ouest du Darfour, suite au renvoi de la situation dans le Darfour devant la CPI par le Conseil de sécurité de l’ONU en 2005. Néanmoins, en 2015, la procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda, a réprimandé le Conseil de sécurité pour ses « promesses vaines » quant à la tenue d’un procès contre Béchir suite aux atrocités commises.

Selon Hamid, « il ne sera pas difficile pour le gouvernement de tenir Hilal pour responsable, mais Béchir devra apaiser les RSF ».

Le gouvernement craint qu’une confrontation avec Hilal ne puisse déclencher des défections massives au sein des RSF, alors que selon des informations relayées, Hemeti craindrait que la mise en œuvre du plan de désarmement initié par le gouvernement dans le Darfour ne déclenche une confrontation militaire avec Hilal.

« Il est injuste que ce même gouvernement central qui a armé et créé ces milices cherche actuellement à les désarmer sans établir de fondations propices à la paix »

– Fathi Madibu, parlementaire darfouri

En outre, selon des experts soudanais, Hilal constitue une menace militaire et politique pour le gouvernement de Béchir et est considéré comme un frein juridique dans la mesure où il possède des informations et des preuves au sujet des premières phases du conflit dans le Darfour.

Dans le même temps, « la vague actuelle de violence pourrait mettre fin à l’héritage de Moussa Hilal, mais ce ne sera pas la fin du phénomène des janjawids en tant que milices combattant aux côtés du gouvernement dans les zones de guerre », a expliqué Hamid.

Des divisions tribales

Les analystes estiment qu’en plus d’avoir provoqué des divisions entre les tribus africaines et arabes de la région, le gouvernement de Béchir a également déclenché des divisions parmi les tribus arabes.

Soulignant la fragilité des conditions géopolitiques au Soudan du Sud et autour, Mohamed Alabas Alamin, expert en sécurité soudanais, a averti que le Darfour se trouvait à un carrefour et que la situation actuelle pouvait donner lieu à une nouvelle vague de violence entre les tribus et milices arabes.

« Alors que le gouvernement a monté l’un contre l’autre les deux chefs de milices [Hilal et Hemeti] pour prendre le contrôle du Darfour, il finira par les exclure tous les deux », a déclaré Alamin.

Des déplacés internes manifestent lors de la visite de l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies dans le camp de protection des civils de l’ONU, à Djouba (Soudan du Sud), le 25 octobre 2017 (AFP)

Malgré ces divisions, le parlementaire darfouri Fathi Madibu a déclaré à MEE que des efforts de réconciliation au sein de la tribu des Rizeigat étaient actuellement engagés afin d’essayer de contenir toute réaction potentielle du clan d’Hilal, les Mahammed, contre le clan d’Hemeti, les Amhary.

Hamid a expliqué que « l’exploitation intentionnelle d’Hilal et d’Hemeti par le gouvernement central était à l’origine de la situation actuelle », tandis qu’Alamin a averti que les affrontements pouvaient « donner lieu à des contre-attaques mais aussi ouvrir la voie à des interventions régionales dans le pays ».

« Compte tenu de la géopolitique de la région, notamment la fragilité de la situation dans le Darfour et l’instabilité du Sud-Soudan et de la Libye voisine, il est assez risqué pour le gouvernement de combattre son allié dans le Darfour », a ajouté Alamin.

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