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L’équipe de Middle East Eye dévoile ses articles préférés en 2016

Le meilleur du journalisme au Moyen-Orient présenté par notre équipe en interne et nos reporters sur le terrain
Des secouristes transportent un homme blessé à la suite de bombardements aériens par les forces du gouvernement sur le quartier d’al-Shaar, dans la partie est de la ville d’Alep située au nord de la Syrie, en mars dernier (AFP)
Par MEE

Pour une grande partie du monde, 2016 a été une année à nulle autre pareille marquée par de nombreux bouleversements. Pourtant, tandis que l’Europe devait faire face au Brexit, que les États-Unis se préparaient à l’arrivée de Trump et que les fans de musique devaient surmonter la disparition de Leonard Cohen, de David Bowie et de George Michael, 2016 a été une année semblable à toutes les autres pour la majorité des régions du Moyen-Orient.

En ces temps difficiles, le coup d’État raté en Turquie du 15 juillet, la chute d’Alep aux mains des forces de Bachar al-Assad, la publication de la version finale du rapport Chilcot et les attaques terroristes de Bruxelles, de Berlin et d’Ankara comptent parmi les principaux événements marquants de la région.

C’est pourquoi l’équipe de Middle East Eye a choisi de vous présenter une sélection de ses articles préférés de l’année 2016 :


Graeme Baker, rédacteur principal

« Londres ou rien : la jungle qui repousse sans cesse »

« En ce lieu où la notion de temps et d’espace ne fait déjà plus vraiment sens, où les jours d’attente – que ce soit pour obtenir un visa ou trouver un moyen de s’enfuir – passent à la fois avec rapidité et lenteur, où les fantômes des politiques étrangères du passé viennent hanter ses occupants, les démolitions de cette semaine ont semé la confusion au sein de la dernière communauté qui tente de se construire au milieu des fosses d’aisances et des montagnes de sable. »

Un article original abordant une thématique complexe, rédigé par Dania Akkad. Envoyée à la dernière minute à Calais, elle est parvenue à produire l’un des meilleurs articles qu’il m’ait été donné de lire concernant la « Jungle de Calais ». Akkad nous donne l’impression d’avoir pu échanger avec chacun de ses occupants, et d’en avoir tiré des histoires passionnantes et des informations précieuses.


Alex MacDonald, journaliste

Le village d’origine de Boris Johnson promet de sacrifier un mouton en son honneur

« Nous sacrifierons de nombreux moutons en l’honneur de Boris. Nous rénoverons nos routes, repeindrons nos bâtiments. Nous lui déroulerons le tapis rouge s’il revient dans le village de ses ancêtres. »

Tandis que de nombreux Britanniques se disaient inquiets à l’idée que la Turquie puisse rejoindre l’Union européenne (UE), il était fascinant de voir comment les habitants de la ville des ancêtres de Boris Johnson ont reconnu le nouveau ministre des Affaires étrangères comme l’un des leurs. Un article fascinant de Suraj Sharma qui aurait pu passer totalement inaperçu auprès de nombreux journalistes britanniques, mais qui a néanmoins fait l’unanimité après sa publication.


David Hearst, rédacteur en chef

Suliman Gali vit dans la peur après le mensonge de David Cameron

« Il est tout à fait improbable que le fait que Gani, qui se distingue en portant le qamis et la barbe, ait été pris pour cible après avoir fait l’objet de telles accusations de la part d’une personnalité publique et le fait qu’il vive aujourd’hui dans une peur permanente soit une pure coïncidence. ‟Les gens pensent que le Premier ministre a sans doute dit une telle chose en connaissance de cause, je m’aperçois que les gens me regardent différemment. La différence est palpable.” »

Peter a été l’un des rares journalistes au Royaume-Uni à prendre au sérieux les diverses diffamations à l’encontre de Gani. Il a ainsi dénoncé les propos tenus par le journaliste de la BBC Andrew Neil, par David Cameron et par Michael Fallon... et est parvenu à les faire plier. Par son engagement, Peter a forcé la BBC à présenter ses excuses à Gani, et Fallon à lui verser un dédommagement.


Hanan Chehata, chef de rubrique

Des femmes montrent la voie contre l’hostilité islamophobe et anti-arabe

« Ullah, tout comme Haidar, a le sentiment que les femmes de la communauté musulmane se trouvent confrontées à des défis uniques. Le fait qu’elle porte le voile lui a valu de faire l’objet, à de nombreuses reprises, d’agressions verbales, mais elle a également grandi en subissant les préjugés les plus subtils sur le hidjab. Même lorsque les femmes qui portent le hidjab ne sont pas accusées d’avoir prêté allégeance au terrorisme, Ullah constate que les femmes qui se voilent sont souvent décrites comme brimées, faibles et hyper- ou hyposexualisées. »

Cet article a permis de mettre en avant le travail de quelques Américaines musulmanes qui tentent de combattre l’islamophobie en dénonçant les stéréotypes et en mettant fin aux mythes concernant la place de la femme musulmane. Au lendemain du 11 septembre, du début de la guerre contre le terrorisme, de la montée de l’extrême-droite en Europe et de l’élection de Donald Trump aux États-Unis, il est plus que jamais important de s’élever contre l’islamophobie et il est bon de voir des femmes musulmanes prendre la parole en leur nom propre, et être écoutées. Que ce soit à travers des podcasts, des spectacles, des ateliers « connaître vos droits » ou encore des « cercles de guérison », ces femmes aident, par tous les moyens possibles, les femmes de confession musulmane à s’affirmer, et les femmes de confession non musulmane (qui peuvent éventuellement se poser la question) à comprendre ce qui peut pousser un nombre si important de femmes à soumettre leur foi et leur mode de vie aux préceptes de l’islam.


Simon Hooper, responsable des actualités

Se souvenir de Rabaa, trois ans après : l’histoire d’une survivant

« Alors que la poussière était retombée sur la place Rabia, l’énorme rupture dans la société égyptienne était beaucoup plus profonde que nous aurions pu l’imaginer. Nous avons vu des amis, des membres de notre famille, des activistes et des personnes qui se présentaient comme des partisans des droits de l’homme applaudir le massacre, comme si le sang de leurs compatriotes ne voulait rien dire. »

À travers un récit à couper le souffle, Mahmoud Bondok nous présente, tel qu’il l’a vécu, le massacre de la place Rabia en 2013, au cours duquel des centaines de personnes qui étaient venues manifester contre le coup d’État ayant destitué le président égyptien précédemment élu, Mohamed Morsi, ont été tuées par les forces du nouveau gouvernement en place. Riche en détails, cet article qui est parvenu à saisir le chaos angoissant de ce jour encore présent dans tous les esprits n’a laissé personne indifférent.


Dania Akkad, éditorialiste en chef

Emprisonnées, torturées et forcées à l'exil : en Tunisie, maintenant, nous avons notre moment de vérité

« Au début, alors que j’étais assise à regarder des personnes ayant survécu à la torture partager leur expérience en direct à la télévision, je n’étais qu’une téléspectatrice en train d’écouter, comme toutes les autres personnes présentes ce jour-là et comme le reste du monde, ces survivants dont la voix tremblante trahissait la souffrance. Je me suis ensuite sentie profondément touchée et j’ai d’un coup ressenti tout le poids que je portais sur mes épaules depuis 23 ans, avant la révolution de 2011. »

Je suis totalement fan des récits à la première personne. Nous pourrions en proposer bien davantage pour ce qui est du Moyen-Orient. Les articles rédigés en anglais qui traitent de cette région ne nous offrent bien souvent qu’un mince aperçu de la vie des gens, qui plus est à travers le prisme des journalistes eux-mêmes. Alors, quand Amel Agrebi a écrit en novembre un article sur la manière dont elle s’est vue contrainte de subvenir aux besoins de sa famille lorsque son mari a été emprisonné et torturé en Tunisie dans les années 80, je ne pouvais que lui apporter mon soutien. Bien plus que le fait qu’elle s’adresse directement à nous et qu’elle partage une histoire si personnelle, ce que j’ai aimé dans le récit d’Amel, ce sont ces détails qu’elle a partagés et qui permettent de saisir, si tant est qu’il soit possible de le saisir pleinement, l’impact sur le long terme et à grande échelle des dictatures sur les populations locales. Et au vu du contexte actuel dans la région, il se révèle essentiel d’en avoir une compréhension la plus profonde possible.


Valentine Maury, rédactrice de la version française de MEE

« Ils nous ont détruits » : les survivants yézidis reconstruisent leur vie après l’horreur de Daech

« Je ne crois pas que les yézidis redeviendront comme avant un jour. Ils nous ont détruits. Comment pourrons-nous être comme avant un jour ? Il suffit de nous regarder », s’est emportée la matriarche, avant d’ajouter qu’il s’agissait du « pire génocide » que sa communauté ait jamais subi.

« À quelle autre époque a-t-on vendu des femmes, décapité des enfants et détruit des familles ?, a-t-elle presque crié. Jamais. Cela n’est jamais arrivé avant. Cela ne peut pas être pire ! »

Cet article est très important pour les femmes. Certes, certaines femmes yézidies ont été libérées du contrôle de l’État islamique, mais cela n’a en aucun cas signifié la fin de leurs souffrances. Cela a toutefois été la fin de l’attention médiatique qui leur était portée. Peu de moyens sont mis en œuvre afin de les soutenir psychologiquement après avoir traversé une période qui ne peut qu’être qualifiée de « véritable enfer ». Cet article leur a permis d’être entendues et nous a permis de découvrir la triste réalité à laquelle elles sont confrontées. Je suis très impressionnée par le courage dont elles ont fait preuve pour faire entendre leur voix.


Islam Zitout, producteur

L’anti-impérialisme creux de la gauche sur la question syrienne

« Les Syriens n’oublieront pas comment les progressistes les ont déçus. En effet, tout comme les progressistes ont déçu les Palestiniens pendant une grande partie de l’histoire de la Palestine post-1948 et n’ont que récemment commencé à accepter la notion radicale selon laquelle les Palestiniens sont des êtres humains qui luttent contre la sauvagerie coloniale – si bien que nous les qualifions de « PEP » (« Progressives Except for Palestine », ou « Progressistes sauf sur la Palestine »), ils ont répété la même erreur avec la Syrie. »

Je pense que pour la première fois avec cet article, MEE a fourni une plateforme pour alimenter un débat passionnant né sur Twitter et qui a dominé la twittosphère en ce qui concerne la Syrie. Et je pense qu’il a apporté une véritable contribution à une discussion de longue haleine qui se révèle bien souvent animée.


Elodie Farge, rédactrice de la version française de MEE

Nice : le tueur n’est ni un islamiste, ni un djihadiste, ni même un « terroriste »

« Malgré les moyens colossaux consacrés à l’investigation de la tragédie du 14 juillet, lors de laquelle un homme a foncé dans la foule au volant d’un poids-lourd, tuant 84 personnes, le gouvernement français n’a toujours pas été capable d’apporter une seule preuve crédible que l’assaillant a bien commis sa tuerie au nom de l’État islamique (EI). »

Alain Gabon, l’auteur de l’article, affirme que contrairement au discours qui était alors tenu par les autorités françaises, les médias et les experts, rien ne permettait de prouver que l’attaque terroriste de Nice avait été perpétrée par un islamiste. Il explique que l’attaquant n’était ni un djihadiste, ni un islamiste radical, ni même un musulman pratiquant. Il écrit également que les autorités françaises, les médias et les experts trouvaient tous un intérêt à dire qu’il s’agissait d’une attaque terroriste islamiste, et que Daech avait saisi cette occasion pour faire sa propre propagande. Je pense que Gabon a eu le courage de remettre en question l’interprétation qui avait été faite de l’attaque notamment par les autorités françaises, les médias et les hommes politiques, mais aussi de dénoncer les propos de ceux qui font l’amalgame entre islam et terrorisme, et viennent ainsi alimenter l’islamophobie et renforcer l’EI.


Areeb Ullah, journaliste

« J'envie les morts » : le cauchemar du fossoyeur d'Alep

« Dans une telle situation, je ne peux pas m’effondrer et me mettre à pleurer comme j’aimerais le faire désespérément. Je me suis habitué à tout ça. Je m’effondrais les premières fois, mais maintenant, vivant cela tous les jours, c’est devenu irréel. » 

Le reportage de Zouhir a captivé et informé des millions de personnes à travers le monde. En choisissant de présenter le dernier fossoyeur en exercice dans la partie est d’Alep et de dénoncer l’utilisation qui a été faite de la famine comme d’une arme par le gouvernement syrien, il raconte la souffrance de son peuple avec détermination et courage. Cet article a contribué à changer la vision des gens sur la Syrie, et a redonné espoir à des milliers d’habitants qui vivent dans la souffrance et souhaitent être entendus du reste du monde.


Karim El-Bar, rédacteur

VIDÉO : Le journaliste syrien Hadi Abdullah sacré « journaliste de l'année »

« Lorsque cet infirmier de 24 ans originaire de Homs a quitté son emploi, il ne s’attendait pas à devenir les yeux du monde en Syrie. Journaliste indépendant dans la ‟région la plus dangereuse au monde”, Hadi Abdullah a mis en lumière les atrocités et les espoirs d’une guerre civile qui dure depuis presque six ans en Syrie. »

La contribution de Hadi Abdullah visant à documenter la guerre civile syrienne a été précieuse pour les journalistes et toutes les personnes qui s’intéressent à la situation de ce pays, et lui a valu de se voir décerner le prix RSF. Son parcours personnel mérite d’être salué par tous, indépendamment de nos opinions politiques.


Nick Hunt, rédacteur principal

EXCLUSIF : Un désastre est en cours au Yémen – et il est temps que le monde en prenne conscience

« La Grande-Bretagne protège l’Arabie saoudite et ses alliés dans leur guerre meurtrière et illégale au Yémen. L’Arabie saoudite est un allié de longue date des Britanniques, un acheteur vital des armes britanniques et un producteur clé de pétrole.

Donc, il y a tout lieu de supposer que la Grande-Bretagne a une bonne raison d’ignorer ou de minimiser les preuves selon lesquelles la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a violé le droit international humanitaire, qui protège fermement les civils pris dans les combats et interdit le ciblage des institutions civiles telles que les écoles et les hôpitaux. »

Cet excellent article de Peter et Nawal nous fait partir à la découverte de la route tortueuse, longue de 200 km, qui sépare Sanaa de Sa'dah. Il nous présente la réalité à laquelle ils ont été confrontés et les personnes qu’ils ont rencontrées. Oborne nous parle de cette mère qui a donné naissance à son enfant dans le chaos d’une attaque aérienne, de ces chauffeurs d’ambulance abattus lorsqu’ils portent secours à des personnes, et de ce garçon tué alors qu’il jouait avec des engins explosifs abandonnés sur place. Une telle situation est bien sûr favorisée en grande partie par le commerce d’armes dans la région, et le soutien qu’il reçoit de la part des gouvernements occidentaux ; un comportement honteux dénoncé, à juste titre, par Oborne dans plusieurs autres articles tout au long de l’année. Peu après la publication de cette série d’articles par Middle East Eye, un nombre croissant de médias ont commencé à s’intéresser davantage au Yémen. La pression qui pèse sur Riyadh et les ministres du gouvernement s’intensifie. Un peu plus tôt dans le mois, Washington a pris la décision d’annuler la vente de certaines munitions à l’Arabie Saoudite.


Arwa Ibrahim, rédacteur

Des Caraïbes au « califat » : les combattants trinidadiens de l’État islamique

« Crawford est l’un des plus de cent Trinidadiens qui seraient partis en Syrie. Avec une population de seulement 1,3 million d’habitants, Trinité-et-Tobago se classe parmi les pays au plus fort taux par habitant de citoyens partis combattre pour l’État islamique.

Mais alors que le territoire de l’État islamique est en train d’imploser, le gouvernement trinidadien est désormais confronté à la possibilité de voir certains de ces citoyens partis combattre au Moyen-Orient chercher à revenir. »

Cet article traitant des Caribéens qui rejoignent les rangs de l’État islamique en Syrie, rédigé par Amandla, constitue un apport précieux à la multitude d’articles présentant les peuples les plus enclins à rejoindre le groupe de combattants et les raisons qui les y poussent. Il est très surprenant d’apprendre que l’État Islamique jouit d’une telle influence dans une région considérée comme reculée et isolée des événements qui se déroulent au Moyen-Orient. À travers l’histoire de ces hommes qui ont quitté leur maison pour venir se battre en Syrie, cet article nous révèle de nombreux détails particulièrement intéressants et nous présente le contexte dans lequel s’inscrit cette problématique que nous ne connaissons que peu.

Traduit de l'anglais (original) par Stiil.

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