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La visite de MBS à Alger et à Tunis provoque la polémique

À Alger, une pétition circule pour dénoncer la visite du prince héritier. À Tunis, la société civile appelle à manifester contre sa venue. À Rabat, où il ne passera pas, on analyse les raisons d’un « boycott »
En Tunisie, où MBS doit arriver mardi 27 décembre, une cinquantaine d’avocats ont été chargés par des journalistes, des blogueurs et des activistes de porter plainte devant les tribunaux dans le but de s’opposer à cette visite (AFP)
Par MEE

ALGER – Mohammed ben Salmane a entamé jeudi aux Émirats arabes unis une tournée à l’étranger sur « instruction » de son père, le roi Salmane, « soucieux de renforcer les relations du royaume aux niveaux régional et international » et de poursuivre « la coopération et les contacts avec les pays frères dans l’ensemble des domaines », selon un communiqué du cabinet.

Mais à Alger, la visite du prince héritier saoudien, annoncée par son cabinet pour le 6 décembre, fait réagir médias et réseaux sociaux.

« Le prince héritier cherche une légitimité ‘‘arabe et islamique’’ dans la crainte que ses rivaux prennent le pouvoir par la force et le privent de la fonction de gardien des deux lieux saints de l’islam en remplacement de son père vieillissant », écrit le site d’information Algérie Patriotique.

Le même journal électronique considère qu’à travers cette visite, dans le cadre d’une tournée dans plusieurs pays arabes, « Mohammed ben Salmane cherche à se refaire une virginité auprès des ‘‘frères arabes’’, en donnant sa version des tenants et des aboutissants de cette affaire [l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi] qui a confirmé la nature brutale et sauvage du régime saoudien ». 

Une pétition, signée par un peu plus d’un millier de personnes, a été lancée par des internautes algériens exigeant l’annulation de cette visite

Selon des médias américains, la CIA n’a plus de doutes sur la responsabilité de Mohammed ben Salmane dans le meurtre. Mais le président Donald Trump a assuré mardi que l’agence américaine de renseignement extérieur n’avait « rien trouvé d’absolument certain », et réaffirmé son soutien aux dirigeants du royaume.

Après la position de Donald Trump, « il est difficile de ne pas voir cette tournée régionale comme un tour d’honneur », a déclaré à l’AFP Kristin Diwan de l’Arab Gulf States Institute à Washington. « Se rendre dans des pays amis oblige ces États à manifester leur soutien au prince héritier, et sert à rallier un soutien régional avant le G20 », selon elle.

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Une pétition, signée par un peu plus d’un millier de personnes, a été lancée par des internautes algériens exigeant l’annulation de cette visite. « À cause des nombreuses victimes qui, comme nos frères du Yémen, doivent ressentir notre solidarité d’Algériens dignes de songer à leur vulnérabilité, les autorités algériennes sont interpellées pour ne pas convenir à des crimes non encore élucidés ».

Le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, islamistes), Abderrezak Makri, a déclaré aux médias qu’« accueillir le prince héritier durant cette période n’est favorable ni à l’image de l’Algérie, ni à sa réputation ». 

Pour Makri, MBS est responsable de « la mort d’enfants et de civils au Yémen, de l’emprisonnement de beaucoup de prédicateurs, de juristes et d’hommes de culture au Royaume et, dernièrement, de l’assassinat ‘‘daechien’’ de Djamel Khashoggi ». 

Le leader du parti islamiste a également expliqué que le prince héritier venait à Alger pour « peut-être rassurer l’Algérie sur la chute des prix du pétrole et qu’il ambitionne de la transformer en république bananière ». 

https://twitter.com/el_manchar/status/1066338727138598912?ref_src=twsrc%5Etfw

L’Algérie dépend principalement de ses ressources en hydrocarbures et chaque chute du prix du baril menace fortement ses équilibres économiques. 

Les autorités algériennes n’ont pour le moment pas confirmé cette visite. 

Colère en Tunisie

En Tunisie, où MBS doit arriver mardi 27 décembre, une cinquantaine d’avocats ont été chargés par des journalistes, des blogueurs et des activistes de porter plainte devant les tribunaux tunisiens dans le but de s’opposer à cette visite. 

Dans une lettre ouverte au président tunisien, Béji Caïd Essebsi, le Syndicat national des journalistes tunisiens dénonce cette visite, la qualifiant de « provocation » et de « violation criante des principes de la révolution de 2011 ». 

« Le sang de Khashoggi n’a pas encore séché. L’assassin Mohammed ben Salmane n’est pas le bienvenu en Tunisie », a dénoncé Neji Bghouri, président du syndicat des journalistes.

Dans cette lettre, le SNJT parle du prince héritier saoudien comme d’un « véritable danger pour la paix et la sécurité dans le monde » et un « ennemi de la liberté d’expression ».  

Alors que le conseiller à la présidence Noureddine ben Ticha a affirmé à l’antenne de Mosaïque FM que « MBS était le bienvenu en Tunisie, à l’image des autres dirigeants arabes », des militants ont appelé à une manifestation devant le palais présidentiel à Carthage mardi, jour de l’arrivée du prince héritier. 

Le Maroc, « boudé » et « boycotté »

Au Maroc, où aucun déplacement n’est prévu, Tel Quel s’interroge sur les raisons d’un « boycott » : « Officiellement, il n’existe aucune tension entre Rabat et Ryad, qui a nommé, le 18 novembre, un nouvel ambassadeur au Maroc en la personne d’Abdellah ben Saad Al Ghariri », note le magazine qui rappelle qu’un mois plus tôt, le roi Mohammed VI recevait le ministre de l’Intérieur saoudien. 

En juin, le soutien de Riyad au trio nord-américain États-Unis-Mexique-Canada au détriment du Maroc pour l’organisation de la Coupe du monde de 2026 avait toutefois été mal reçu à Rabat. D’autant que, comme le rappelle Tel Quel, « le conseiller du roi Salmane et le président du comité olympique saoudien et de l’Union des associations arabes de football (UAFA) avaient indirectement critiqué le Maroc à travers des sorties médiatiques ». 

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« Cela permet de jauger la qualité des relations entre le Maroc avec ses partenaires du Golfe. Autrefois alliés indéfectibles, leurs relations avec le Maroc se sont grandement détériorées suite au renforcement de la position de Mohamed ben Salmane, et surtout en raison de la neutralité du Maroc dans la crise du Qatar », avait à l’époque déclaré un analyste sportif marocain à Middle East Eye. 

Le site d’informations le Desk estime que cette situation montre combien « les différends entre Rabat et Riyad n’ont pas été aplanis ». Le site rappelle aussi que début juillet « des sources saoudiennes avaient annoncé que le roi Salmane avait annulé son traditionnel séjour estival à Tanger en raison du coup de froid dans les relations entre les deux royaumes ». 

D’autres médias évoquaient, lundi, plutôt un refus du roi Mohammed VI d’accueillir MBS. Selon plusieurs journaux marocains, le cabinet royal se serait excusé, prétextant des « raisons d’agenda », et aurait proposé que le prince héritier saoudien soit reçu par Moulay Rachid, le frère du roi, ce que MBS aurait refusé.

Malgré la nomination récente de l’ex-directeur du protocole de Mohammed ben Salmane au poste d’ambassadeur au Maroc, des tensions demeurent, et Mohammed VI semble de moins en moins s’aligner sur l'axe émirati-saoudien. Durant l’affaire Khashoggi, comme lors de l’escarmouche ayant opposé l’Arabie saoudite au Canada, la diplomatie de Mohammed VI s’est abstenue de toute marque de solidarité vis-à-vis du royaume wahhabite.

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