L’Algérie expulse un millier de migrants clandestins
Il n’y avait pas eu d’expulsion aussi massive depuis 2012. Un premier convoi de plusieurs bus est parti d'Alger dans la nuit de vendredi à samedi et un deuxième devrait prendre la route demain vers Tamanrasset, dans le grand sud algérien. À bord : près de 1 400 migrants qui, selon la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH), ont été arrêtés sur décision du wali d’Alger dans plusieurs quartiers de la capitale.
Ils ont été « emmenés vers un camp de jeunes à Zéralda où les autorités ont entamé leur transfert vers Tamanrasset [au sud de l’Algérie] pour une éventuelle expulsion », souligne de son côté l’association Rassemblement actions jeunesse (RAJ). Selon RFI, Niamey aurait donné l'autorisation aux convois de traverser son territoire. « Mais les convois ne s'arrêteront pas au Niger. Une source diplomatique ouest-africaine affirme qu'ensuite les migrants seront ramenés dans leurs pays d'origine. »
RAJ condamne « cette opération d’humiliation qui constitue une grave violation des droits des migrants et des engagements internationaux de l’Algérie ».
L’Algérie a ratifié en 2004 la Convention internationale de protection des travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui ne fait aucune différence entre les migrants en situation régulière ou irrégulière. Elle a également ratifié la Convention de Genève pour les demandeurs d’asile et les réfugiés alors que dans les faits, l’Algérie n’octroie pas de statut de réfugié, c’est le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU qui s’en charge.
À l’origine de cette opération de reconduite aux frontières : des affrontements entre migrants et Algériens samedi 26 novembre à Bouchbouk, le plus grand squat de migrants de la capitale. Environ 150 personnes, essentiellement d’Afrique de l’Ouest (Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée) y vivaient, dont certaines depuis plus de dix ans.
Selon le témoignage recueilli par Middle East Eye, samedi soir vers 23 h, un homme et une femme (des migrants) se font agresser par des gens du quartier avec lesquels la cohabitation est très difficile. Les migrants sortent et les escortent jusqu’à la carcasse de bâtiment qui leur sert de maison.
Un quart d’heure plus tard, une cinquantaine d’Algériens attaquent la carcasse avec des pierres et des objets enflammés. Les migrants ripostent et comme ils sont plus nombreux, les Algériens se retirent avant de revenir à l’attaque, avec des renforts.
La situation dégénère. Les jeunes saccagent le quartier, cassent les voitures, mettent le feu à des objets. Tout le quartier s’énerve. Si bien que la gendarmerie arrive vers 4 h du matin pour sécuriser le quartier avec l’aide du Groupe d’intervention rapide (GIR). Elle y restera jusqu’au jeudi suivant.
« Le dimanche, l’équivalent du maire est venu pour demander aux migrants un recensement de toutes les personnes présentes à Bouchbouk en s’engageant à trouver une solution de relogement », relate une personne présente sur place.
Le 1er décembre, les gendarmes ont demandé aux migrants de monter à bord de deux bus. « Les personnes ‘’raflées’’, dont des femmes enceintes, des enfants et des personnes malades, se trouvent actuellement dans un centre d’été à Zéralda (à 35 kilomètres à l’ouest d’Alger) dépendant de la direction de la Jeunesse et des Sports d’Alger », précise la LADDH.
« Dans ce camp, les migrants rencontrent alors des migrants d’autres quartiers – Draria, Bordj el-Kiffan, Aïn Benian, Chéraga. Ils comprennent que quelque chose d’anormal se passe. Qu’ils ne sont pas là en simple réaction aux violences à Bouchbouk », raconte à MEE un proche d’une famille.
« De nouveau, le vendredi soir, on leur demande de monter à bord de bus. Les gendarmes laissent entendre qu’ils vont être reconduits à la frontière. Les migrants paniquent, refusent de monter et s’ensuit une bagarre entre migrants et gendarmes d’où plusieurs personnes sortent blessées. Les migrants finissent par remplir onze bus qui prennent la direction de Tamanrasset. »
Dans la nuit de samedi à dimanche, malgré la présence de plusieurs fourgons du GIR, plus d’une centaine de migrants se seraient enfuis du camp de Zéralda.
Depuis 2013, un comité de coordination intersectorielle chargé de l’élaboration du profil migratoire de l’Algérie (sous l’égide des Affaires étrangères), collecte des données et statistiques sur les migrants. Elles organisent aussi depuis un an, en collaboration avec Niamey, des opérations de rapatriement des migrants nigériens, encadrées par le Croissant-rouge.
Dans un communiqué, la LADDH s’indigne contre « la gestion policière exclusive de la question migratoire en Algérie. Elle rejette cette politique non assumée à l’égard des migrants qui consiste à les exploiter pour des considérations économiques en violation de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, et à les stigmatiser, et à les pourchasser et pour les expulser quand le besoin ne se fait plus sentir. L’Algérie, de par son histoire et du parcours de ses enfants, mérite d’avoir une vraie politique migratoire, basée sur l’ouverture, la dignité et le respect des droits. »
La dernière déclaration officielle au sujet des migrants remonte au 9 novembre dernier. Interrogée par l’agence de presse officielle, l’APS, sur les migrants syriens et subsahariens en Algérie, Saïda Benhabyles avait relevé la « qualité » de la prise en charge qui leur est assurée par l'État algérien, citant notamment la scolarisation des enfants. « Nos partenaires étrangers reconnaissent le traitement particulier dont les migrants bénéficient en Algérie », s’était-elle réjouie.
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