Le responsable des droits de l’homme de l’ONU s’en va avec ses principes intacts mais peu d’amis
NEW YORK, États-Unis – Le prince jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, quittera son poste à l’ONU plus tard ce mois-ci après avoir renoncé au raffinement diplomatique en couvrant de honte les gouvernements occidentaux et les alliés à qui ils vendent des armes.
Il a formulé une mise en garde contre les « xénophobes, [les] populistes et [les] racistes » qui engrangent des suffrages et qui mettent en péril la démocratie occidentale. L’attaque éclair menée contre l’immigration par le président américain Donald Trump est « une opération de maltraitance d’enfants parrainée par l’État », tandis que le dirigeant philippin Rodrigo Duterte « a besoin d’un psychiatre », a déclaré Zeid Ra’ad al-Hussein.
En décembre dernier, le ras-le-bol des puissances hégémoniques au sein de l’ONU – les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine – vis-à-vis d’al-Hussein était manifeste
En décembre dernier, le ras-le-bol des puissances hégémoniques au sein de l’ONU – les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine – vis-à-vis d’al-Hussein était manifeste. Au lieu de retenir ses coups et de « plier un genou en signe de supplication », selon ses propres mots, il a décidé de se retirer fin août.
Si ses querelles avec les grandes puissances sont bien documentées, on en sait moins sur ses frictions avec la Jordanie, sa patrie, où suite à ses critiques contre la guerre menée au Yémen par le poids lourd régional saoudien, le diplomate de 54 ans est devenu persona non grata.
La chute s’est avérée spectaculaire pour ce prince hachémite qui était l’émissaire d’Amman à Washington et à l’ONU avant de devenir Haut-Commissaire aux droits de l’homme et la personnalité arabe la plus haut placée dans l’organigramme onusien depuis que l’égyptien Boutros Boutros-Ghali avait dirigé l’institution dans les années 1990.
Traduction : « Hommage de Ken Roth à un diplomate de l’ONU rare et efficace. »
« La Jordanie est un pays dans lequel je suis né et j’ai grandi, un pays que j’ai servi et que j’aime. Mais dans le cadre de ce travail, c’était pour moi un pays comme un autre et je n’allais lui accorder aucune faveur spéciale », a déclaré Zeid Ra’ad al-Hussein en réponse à une question de Middle East Eye lors d’une conférence de presse au siège de l’ONU à New York la semaine dernière.
Il a fait honneur à ces propos en décembre 2014, lorsqu’il a jugé « décevante » la réhabilitation des exécutions en Jordanie. En mars 2017, il a critiqué Amman pour avoir accueilli Omar el-Béchir à l’occasion d’une conférence de la Ligue arabe malgré les accusations de crimes de guerre portées contre le président soudanais.
« La Jordanie est un pays dans lequel je suis né et j’ai grandi, un pays que j’ai servi et que j’aime. Mais dans le cadre de ce travail, c’était pour moi un pays comme un autre et je n’allais lui accorder aucune faveur spéciale »
- Zeid Ra’ad al-Hussein
Il s’est montré encore plus dur envers la coalition dirigée par l’Arabie saoudite qui combat au Yémen et dont la Jordanie est membre. En mars 2016, il a déclaré que les frappes aériennes tuaient des civils avec « une régularité inacceptable » et a fait allusion à « des crimes internationaux commis par les membres de la coalition ».
Il est devenu l’une des rares voix sur la scène internationale à réclamer une enquête soutenue par l’ONU sur les atrocités commises au Yémen, ce qui l’a placé en désaccord complet avec Riyad et ses soutiens diplomatiques aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Cet effort lui a valu les réprimandes du ministre jordanien des Affaires étrangères Nasser Judeh. C’est toutefois Le Caire qui a lancé la réprimande arabe la plus sévère contre Zeid Ra’ad al-Hussein en décrivant un « climat d’intimidation généralisé » à l’approche du scrutin présidentiel égyptien qui s’est tenu en mars.
Le gouvernement du président Abdel Fattah al-Sissi n’a pas mâché ses mots. Les responsables du ministère des Affaires étrangères ont demandé à Zeid Ra’ad al-Hussein « de cesser d’attaquer l’État égyptien sans aucun droit et d’adopter plutôt une approche professionnelle et objective » dans son travail.
Ces propos acerbes pour une région connue pour sa diplomatie édulcorée reflètent le sentiment de trahison éprouvé par les dirigeants arabes envers al-Hussein. Les différends entre hommes d’État arabes se déroulent à huis clos ; les réprimandes sont rarement envoyées par e-mail à des milliers de journalistes sous la forme de communiqués de presse.
« J’ai peut-être été critique envers les amis de la Jordanie et la Jordanie elle-même », a déclaré Zeid Ra’ad al-Hussein à MEE et à d’autres journalistes.
Traduction : « Cet entretien avec le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme sortant est une source d’inspiration et mérite d’être regardé. “Une grande partie de la souffrance des gens est causée par l’être humain […] Nous devons regarder qui cause cette souffrance […] et ne pas accorder de laissez-passer.” »
« C’est une relation plutôt glaciale. »
Zeid Ra’ad al-Hussein a indiqué à MEE que les relations conflictuelles qu’il entretenait avec certains pays, dont la Jordanie, l’avaient épuisé.
Il s’est dit « démoralisé », déphasé par les décalages horaires et « fragile » après avoir enchaîné les chambres d’hôtel impersonnelles dans des grandes villes lointaines lors de ses voyages à l’étranger.
« Il aurait pu recevoir des nominations à des postes haut placés de la part de puissants pays du Moyen-Orient et même être nommé ultérieurement pour le poste de secrétaire général des Nations unies. Mais il a renoncé à cela en adoptant une position guidée par ses principes
- Jeremie Smith, représentant à Genève de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme
« Je me suis rendu compte que ce travail et les pressions qu’il engendre sont énormes », a confié al-Hussein.
Jeremie Smith, représentant à Genève de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme, un groupe de défense de la démocratie, a affirmé que Zeid Ra’ad al-Hussein était considéré comme un « traître » à Riyad, au Caire et dans d’autres capitales arabes. Il a embarrassé la Jordanie et érodé son statut de « bâtisseur de ponts politiques » dans la région.
Si les critiques d’al-Hussein contre la colonisation israélienne et la « maison de sang cruelle » de l’État islamique ont été accueillies favorablement de Casablanca à Mascate, celles qu’il a formulées au sein de la fraternité des membres de la Ligue arabe ont été jugées inadmissibles.
« Il aurait pu recevoir des nominations à des postes haut placés de la part de puissants pays du Moyen-Orient et même être nommé ultérieurement pour le poste de secrétaire général des Nations unies », a déclaré Smith à MEE. « Mais il a renoncé à cela en adoptant une position guidée par ses principes. »
Zeid Ra’ad al-Hussein descend d’une famille royale arabe, a servi dans la police du désert jordanienne et était une étoile montante du corps diplomatique de son pays. Toutefois, le prince, qui est né d’une mère suédoise et a reçu une éducation britannique, n’a jamais été totalement à l’aise dans l’autosatisfaction qui caractérise les processus de négociation au Moyen-Orient.
En première ligne contre les atrocités commises dans les Balkans
Zeid Ra’ad al-Hussein a travaillé pour l’ONU au moment des atrocités commises dans les Balkans dans les années 1990 et a contribué à la création de la Cour pénale internationale. Il formule fréquemment des mises en garde contre les violations qui rappellent les atrocités de l’Holocauste et a apporté son aidé à l’Institut d’Auschwitz pour la paix et la réconciliation.
Cela fait de lui une cible embarrassante pour ses détracteurs – et il le sait. Dans un discours marquant prononcé en septembre 2016, al-Hussein a reconnu qu’il était devenu un « cauchemar » qui a osé critiquer les gouvernements qui l’ont élu.
« Je suis musulman, mais j’ai aussi la peau blanche – chose qui peut dérouter les racistes »
- Zeid Ra’ad al-Hussein
« Je suis musulman, mais j’ai aussi la peau blanche – chose qui peut dérouter les racistes », a-t-il déclaré.
Bien que Zeid Ra’ad al-Hussein ne puisse pas être réduit au silence par les puissants, il a sans aucun doute été mis à l’écart.
Ce père de trois enfants est acclamé par les activistes des droits de l’homme à Genève et à New York et présenté comme un exemple rare d’idéaliste au pouvoir. Certains se demandent toutefois s’il n’aurait pas dû garder davantage ses munitions.
Selon Sarah Leah Whitson, spécialiste du Moyen-Orient pour Human Rights Watch, Zeid Ra’ad al-Hussein était prêt à braquer les projecteurs sur tous les gouvernements suspects et n’a pas exempté « les protégés des États-Unis ». Il a fait son travail, a-t-elle affirmé, tout en précisant que la faute incombait aux systèmes désuets de l’ONU.
« Personne ne veut être critiqué par un organisme qu’il paie dans les faits », a déclaré Whitson à MEE.
Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a officiellement annoncé le poste à pourvoir pour remplacer Zeid Ra’ad al-Hussein en juin et aurait commencé des entretiens en juillet. L’ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet a été approchée, mais aurait refusé initialement l’offre, a-t-on rapporté.
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Un des candidats au poste, Nils Melzer, spécialiste de la torture au sein de l’ONU, a pris ses distances avec Zeid Ra’ad al-Hussein. Le Suisse a déclaré qu’« éveiller l’hostilité » des dirigeants mondiaux ne fonctionnait pas et a mis en garde contre le « naufrage mondial » qu’un excès de dénonciations publiques pourrait engendrer.
Un des candidats au poste, Nils Melzer, a déclaré qu’« éveiller l’hostilité » des dirigeants mondiaux ne fonctionnait pas et a mis en garde contre le « naufrage mondial » qu’un excès de dénonciations publiques pourrait engendrer
Mais alors qu’il se prépare à faire ses cartons, Zeid Ra’ad al-Hussein affirme avoir joué les bonnes cartes en plaçant tous les pays sur un même piédestal et en utilisant son poste comme une tribune pour atteindre les dirigeants qui n’écoutent pas ou qui ne respectent pas leurs engagements privés.
Mais surtout, il précise que cette méthode est désormais bien ancrée dans le système. Les futurs titulaires du poste de Haut-Commissaire auront du mal à ignorer les informations faisant état d’arrestations illégales et de mesures de répression contre des manifestants pacifiques. Des excuses seront données à huis clos, mais des communiqués de presse seront tout de même envoyés.
« Il n’y a pas tant de marge de manœuvre, a déclaré al-Hussein. Le silence n’est pas gage de respect. »
Zeid Ra’ad al-Hussein compare souvent l’ère de Trump et la crise migratoire mondiale à la montée du fascisme européen dans les années 1930. S’il dit vrai, son espoir de voir son successeur préserver la flamme onusienne des droits de l’homme n’est peut-être qu’un vœu pieux.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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