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Le Sahara occidental perd son leader révolutionnaire

Il aura passé sa vie à se battre pour l’indépendance du Sahara occidental, dernière colonie d’Afrique. Mohamed Abdelaziz, président de la République sahraouie et chef du Front Polisario, est décédé hier à 69 ans
Mohamed Abdelaziz était à la tête de la République sahraouie depuis 1982 (AFP)

ALGER – « Ici, les gens sont dévastés. Parce que Mohamed était plus qu’un président. Il était un père et surtout, le ciment du Front Polisario. » Un Algérien qui travaille dans les camps à Dakhla, petite ville du Sahara occidental, joint par Middle East Eye quelques heures après la nouvelle, a bien du mal à cacher sa tristesse.

Hier, mardi 31 mai, l’agence de presse officielle sahraouie a annoncé la mort de Mohamed Abdelaziz. Le président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) depuis 1982 est décédé à 69 ans des suites d’un cancer sans avoir obtenu ce pour quoi il a lutté toute sa vie : l’indépendance du Sahara occidental.

Né dans une des trois grandes tribus sahraouies, les Reguibat, Mohamed Abdelaziz a passé son enfance dans le sud marocain, où ses parents - son père était un ancien sous-officier de l’armée royale marocaine - se sont installés au milieu des années 1950.

À la fin des années 1960, il rencontre à Rabat et Casablanca les premiers militants nationalistes sahraouis qui fréquentaient alors les universités marocaines, et fait ses premières armes dans la politique, avant de passer à la lutte clandestine puis ouverte. Aux côtés de Mustapha Sayed el-Ouali, Mohamed Abdelaziz participe à la création du Front Polisario en mai 1973 avant d’en devenir le chef en 1976.  

Le Front Polisario est un mouvement politique et armé qui s’est opposé radicalement à l’occupation espagnole du Sahara occidental avant de se mobiliser, en 1975, contre l’annexion de ce territoire par le Maroc et la Mauritanie lorsque l’Espagne s’est retirée de la région. Le Sahara occidental, inscrit depuis 1963 sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU, est un petit morceau de désert pris en tenaille entre l’océan Atlantique, le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, qui oppose ainsi depuis 1975 le Maroc et les Sahraouis, soutenus par l’Algérie, malgré le cessez-le-feu de 1991. Le Front Polisario a proclamé en 1976 la République arabe sahraouie démocratique, reconnue en 1979 par la Mauritanie.

Leader incontesté du Polisario depuis 40 ans                            

Dans un message diffusé le soir-même de l'annonce de la mort de Mohamed Abdelaziz, le président algérien Abdelaziz Bouteflika, qui a décrété un deuil national de huit jours, a salué un « combattant » qui « frappait à toutes les portes et montait à toutes les tribunes internationales négociant pour la dignité de son peuple et appelant la justice internationale à rétablir ses compatriotes dans leur droit à l’autodétermination ».

En Algérie, les hommages pour le défunt leader pleuvent. « Pour moi, il restera un révolutionnaire et un chef », martèle le travailleur humanitaire des camps de Dakhla. « Les décisions qu’il prenait étaient suivies par tout le monde, sans discussions. Il était aussi très proche des gens qui pouvaient aller le voir directement chez lui ou même prier avec lui à la mosquée. Les Sahraouis qui se sont battus avec lui l’admirent tellement qu’ils lui ont même inventé des légendes de guerre ! »

« Sa disparition est symboliquement très importante », explique à Middle East Eye Tariq Hafid, directeur de la rédaction du site d’informations Impact24, qui a rencontré Mohamed Abdelaziz. « Car il était à la fois le leader et co-fondateur du front Polisario, c’est-à-dire d’une organisation révolutionnaire de lutte pour l’indépendance, mais chef d’un État et de ses institutions. »

Pour ceux qui l’ont connu, Mohamed Abdelaziz laisse d’abord en héritage une république unie. « Il a réussi à garder le Front Polisario uni malgré certaines divergences concernant la manière de poursuivre la lutte, et surtout de maitriser l’ardeur de la jeunesse de prendre les armes », souligne Yahia Zoubir. Contacté par MEE, ce directeur de recherches en géopolitique à la Kedge Business School de Marseille a rencontré le président de la RASD à plusieurs reprises dans le cadre de ses recherches sur le Sahara occidental.

« Il me semble que le peuple sahraoui n’a jamais contesté son leadership même si la jeunesse lui reprochait de ne pas reprendre les armes car cette jeunesse, qui est née et a grandi dans les camps, ne croit plus en l’ONU et se sent trahie par celle-ci. Il laisse à la RASD et au Front Polisario cette détermination de construire un État indépendant. Mais avec lui disparaît un des derniers combattants non seulement pour la liberté de son peuple mais aussi celle du continent africain. »

Pour le Maroc, l’homme reste cependant celui qui dirigea une organisation « séparatiste », accusée de refuser « l’intégralité territoriale » du royaume. Rabat a tenté de proposer une solution d’autonomie contrôlée en 2007, refusée par le Front Polisario qui tient à un règlement du conflit sous les auspices des Nations Unies.

Reprise des armes

Abdelaziz disparu, reste la question du Sahara occidental. L’Union africaine, qui a récemment repris le dossier de la RASD en main, tente de faire valoir la nécessité d’une décolonisation et en mars dernier, Ban Ki Moon, le secrétaire général des Nations unies, en visite pour la première fois dans les camps de réfugiés sahraouis, a pris le risque de provoquer le Maroc par ses propos. « J’ai rencontré des réfugiés qui souffrent depuis des générations. J’ai discuté avec des jeunes qui ont perdu foi en l’avenir. Je leur ai promis de tout faire pour que les choses avancent », avait-il déclaré.

Le futur du territoire dépend en partie de qui va lui succéder. « Soit une personnalité de la même génération, parmi les leaders pondérés, qui font des négociations une priorité et respectent la légalité internationale, soit un leader plus jeune, qui pourrait poser la question de la reprise des armes », résume le journaliste Tariq Hafid.

C’est pour l’instant le président du conseil national sahraoui, Khatri Addouh, qui assumera le poste de secrétaire général du Front Polisario et celui du président de la République, jusqu’à l'élection d’un nouveau secrétaire général lors d'un congrès extraordinaire qui sera convoqué dans un délai de 40 jours.

Pour Yahia Zoubir, la succession se fera probablement après l’organisation d’un congrès extraordinaire. « Il y aura certainement un débat qui tiendra compte des objectifs à poursuivre afin de convaincre la communauté internationale d’organiser le référendum dont certaines puissances tentent d’en empêcher la tenue. Il est possible que le Front Polisario décide de mettre à sa tête un chef militaire comme Abdelaziz afin de signaler à la communauté internationale que le combat continue et que la reprise des armes est une possibilité crédible. »

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