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Les élections néerlandaises vues de Rotterdam, berceau divers et divisé du populisme hollandais

L’angoisse et l’optimisme se mêlent dans cette ville portuaire fracturée avant les élections qui promettent d’être les plus clivantes du pays depuis des années
L’imam de la mosquée Essalam, la plus grande des Pays-Bas, dirige un groupe en prière (MEE/Venetia Rainey)

Sur une place tranquille du centre de Rotterdam se cache le buste gris d’un homme chauve, un bras tendu, au sommet d’un grand socle, avec une inscription latine : « Protéger la liberté d’expression ».

Cette statue est celle de Pim Fortuyn, sociologue néerlandais et homme politique qui a connu un succès fulgurant dans cette ville portuaire moderne et multiculturelle – et partout aux Pays-Bas – avant d’être assassiné par un activiste des droits des animaux en 2002. Il était connu pour poser les questions que personne n’aurait osées – y compris si l’islam saurait être un jour compatible avec la culture traditionnelle hollandaise.

Plus de dix ans après son assassinat, les angoisses et la xénophobie ayant nourri son ascension sont encore légion dans cette ville diversifiée sur le plan ethnique qui a alimenté son succès. Un homme, considéré par beaucoup comme un descendant idéologique direct de Fortuyn, espère que l’atmosphère tendue le mènera à la victoire lors des élections législatives néerlandaises de la semaine prochaine – cet homme, c’est Geert Wilders, lequel bénéfice d’un large soutien à Rotterdam.

« Il y a une personne pour moi, et c’est Wilders »

« Nous avons beaucoup de problèmes avec les immigrants et je n’aime pas ça », explique Gerard Fritestra, un homme de 62 ans qui installe des machines à jouer dans les pubs et les cafés. « Lorsque les immigrants travaillent, ça va, mais la plupart d’entre eux n’ont pas de travail et vivent simplement dans la rue. »

« Il y a une personne pour moi, et c’est Wilders », ajoute-t-il avec un brin de fierté.

Freya Reyda, une jeune fille de 22 ans qui travaille bénévolement dans les banques alimentaires du sud de Rotterdam où les immigrants sont nombreux, a déclaré qu’elle entendait souvent de tels propos de la part des clients, en particulier des blancs du coin.

« Les vieux Rotterdamois détestent vraiment ces gens », confie-t-elle lors d’une pause cigarette à l’extérieur d’une banque alimentaire, sur une place ennuyeuse entourée de boutiques fermées et de HLM dans le quartier de la classe ouvrière, à prédominance blanche, d’Ijsselmonde. « J’ai entendu : “Oh p**ain d’étrangers”… C’est vraiment négatif. »

La place devant une banque alimentaire à Ijsselmonde, un quartier diversifié du sud-est de Rotterdam (MEE/Venetia Rainey)

Freya a envisagé de voter pour Wilders en raison de son engagement à fermer la frontière aux immigrants musulmans, mais a décidé de ne pas le faire en raison de certaines de ses autres politiques. « De plus, il ne me semble pas vraiment être une personne agréable », précise-t-elle.

Wilders s’est également attiré le soutien d’autres quartiers, peut-être moins probables. Aylin Rangi (20 ans) étudie à Rotterdam. Ses parents iraniens, autrefois eux-mêmes immigrés, soutiennent le Parti pour la liberté (PVV), parti populiste de droite, et Aylin, qui est née aux Pays-Bas, a également l’intention de voter pour lui.

Aylin a arrêté son choix sur les contrôles stricts à la frontière que Wilders promet de mettre en place.

« Et le fait qu’il soit contre la criminalité chez les étrangers ou comme on dit en néerlandais “tuig” [racaille] – c’est une chose avec laquelle je suis d’accord », ajoute-t-elle.

Mais malgré la puissance de son message anti-immigrant pour certains, les derniers sondages montrent que son Parti pour la liberté a perdu une partie de son soutien ; le parti au pouvoir, le VVD, commence à le dépasser.

Certains chercheurs spéculent que les deux partis remporteront 20 et 24 sièges respectivement sur les 150 que compte le parlement. Une foule d’autres groupes devraient recevoir plus d’une douzaine de sièges chacun, ce qui en fait l’une des élections néerlandaises les plus segmentées depuis des années - une perspective qui se reflète dans les rues et sur les canaux de Rotterdam.

Un monument à Pim Fortuyn à Rotterdam (Wikipédia)

« Inquiets, mécontents, effrayés »

« Nos membres du secteur portuaire ne sont que des gens ordinaires, comme dans le reste des Pays-Bas », a déclaré Niek Stam, secrétaire national du syndicat des travailleurs portuaires, FNV Havens. « Donc, si les sondages indiquent que 20 % des gens voteront pour Wilders, alors 20 % de nos membres voteront pour Wilders, et ainsi de suite. »

Selon lui, les travailleurs portuaires de Rotterdam, le plus grand port d’Europe, sont « fatigués » de lutter contre les désavantages fiscaux, le recul de l’âge du départ à la retraite, la main-d’œuvre bon marché provenant d’Europe et d’ailleurs et la robotisation rampante de leurs emplois.

« Toutes ces choses rendent les gens inquiets, mécontents, effrayés », affirme-t-il. « Et puisque les partis politiques traditionnels ne prennent pas des mesures à ce sujet depuis plusieurs années, alors les gens voteront pour les partis d’action. »

Cela explique d’une certaine manière pourquoi les partis au pouvoir, le parti travailliste et le VVD ont perdu de soutien ces dernières années, dans le cadre d’une tendance mondiale au mécontentement à l’égard de la politique de l’establishment qui se reflète à travers Rotterdam.

Barbara Witlox (63 ans) explique pourquoi elle envisage de voter pour GroenLinks, le parti écologiste marginal, dans un café chaleureux du nord, qui abrite les quartiers les plus riches de la ville.

« Je pense qu’ils veulent réunir les gens », explique-t-elle devant un cappuccino. « Je déteste le ton de Wilders et [du Premier ministre Mark] Rutte… les chefs des autres partis s’écoutent réellement, ils veulent rassembler les gens au lieu de les séparer. »

À LIRE : Geert Wilders parle de « mégaproblème marocain » lors de son procès pour incitation à la haine

Barbara, orthophoniste, enseigne le néerlandais aux réfugiés sur son temps libre. Elle sait qu’il existe des problèmes sociaux qui doivent être abordés, mais reste optimiste.

« Je pense qu’à Rotterdam beaucoup de gens soutiennent le Parti pour la liberté parce qu’il y a beaucoup d’immigrants… mais la plupart des Néerlandais veulent être réunis, pas séparés. »

Geert Wilders, le leader du Parti pour la liberté, fait campagne dans une banlieue de Rotterdam en février (Reuters)

Défiance et peur dans les communautés musulmanes

Denk, un parti divers et pro-immigrant, fondé par deux dissidents d’origine turque du Parti travailliste en 2014, est l’un des partis militant en faveur d’une plus grande cohésion. Ils s’avèrent particulièrement populaires parmi l’importante communauté musulmane de Rotterdam, qui représente près de 20 % des habitants de la ville.

« Denk n’est pas seulement pour les musulmans, pas seulement pour la gauche ou la droite, mais pour tout le monde », affirme Mohammad Bellaziz, un enseignant de 42 ans et imam à la mosquée Essalam (paix), la plus grande de Rotterdam.

Buvant un thé sucré et mangeant un gâteau entre les cours de Coran aux jeunes, Mohammad fait peu de cas des promesses de Wilders de « désislamiser » les Pays-Bas.

« S’il brûle les mosquées, je prierai à la maison », dit-il. Et s’il interdit le Coran, une autre des promesses controversées du chef du Parti pour la liberté, « je l’ai mémorisé, donc ce n’est pas un problème pour moi. »

Mohammad n’a pas entendu parler d’une discrimination ou d’une anxiété accrues par rapport à l’élection parmi la communauté locale marocaine, qui représente près de 7 % des 630 000 Rotterdamois. Mais dans une mosquée discrète pour les convertis musulmans dans le nord de la ville, c’était une autre histoire.

« Il y a eu beaucoup d’islamophobie », a déclaré Samira Sabir, avocate marocaine néerlandaise de 25 ans et membre du conseil d’administration de la mosquée Centrum De Middenweg. « Certaines femmes ne veulent pas venir le soir parce qu’elles ont peur de sortir la nuit dans leur hijab. »

Samira s’inquiète de la popularité croissante de Wilders.

« C’est le signe d’une communauté malade, les gens pensant comme lui », poursuit-elle.

Samira Sabir dans la salle de prière du Centrum De Middenweg (MEE/Venetia Rainey)

Huda Abu Leil, l’une des fidèles du Centrum De Middenweg, est une étudiante en travail social de 22 ans qui envisage de voter pour le Parti socialiste de gauche. Elle se méfie de Wilders en tant qu’acteur politique, mais admet que l’atmosphère à Rotterdam est devenue tendue pour les musulmans après une série d’attaques à travers l’Europe au cours de la dernière année.

« Je suis fatigué de dire aux gens que ce n’est pas mon islam, les gens me demandent pourquoi je porte le hijab », dit-elle en choisissant une assiette de légumes, dans le cadre d’une séance sur l’alimentation saine. « Je n’avais jamais ressenti cela ici avant. »

L’hostilité grandissante envers les musulmans dans la ville est même ressentie par ceux qui ne sont pas pratiquants, mais qui semblent l’être.

« L’humeur change quand je monte dans un ascenseur ou rentre dans un magasin, ou juste quand je marche dans la rue », explique Ben, âgé de 41 ans et originaire de Sierra Leone et qui porte une grosse barbe. « Au cours des deux dernières années, cela [a empiré). »

Ben prévoit de voter pour Artikel 1, un dérivé de Denk qui fait campagne pour un ticket égalitaire. Se tenant sous le monument de Fortuyn dans le centre de Rotterdam, Ben soutient que le politicien assassiné, et son successeur Wilders, ont énoncé des « vérités difficiles » sur la société néerlandaise.

« Mais comment gérer cela ? demande-t-il. « C’est là que je pense que les gens ont besoin d’un peu plus de compréhension. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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