Aller au contenu principal

Maroc : Aziz Akhannouch, le magnat qui bouscule la politique

Proche du roi, ministre apprécié mais craint, homme d’affaires redouté, Aziz Akhannouch souffle le chaud et le froid sur la scène politique où il est accusé de bloquer la formation du prochain gouvernement. Portrait du Marocain le plus influent du moment

Aziz Akhannouch est surtout devenu, pour certains, celui qui bloque la formation du prochain gouvernement depuis son intronisation à la tête du RNI (AFP)
Aziz Akhannouch est surtout devenu, pour certains, celui qui bloque la formation du prochain gouvernement depuis son intronisation à la tête du RNI (AFP)

Par Correspondant de MEE au Maroc à RABAT, Maroc

Ne vous fiez pas à son visage rond et à son sourire bonhomme : Aziz Akhannouch, alias « Si Aziz », comme tout le monde préfère l’appeler, est presque aussi inaccessible que le roi. Quand il sort, ses proches font le nécessaire pour que personne ne puisse l’approcher. Et son nouveau mandat de président du Rassemblement national des indépendants (RNI) ne fait rien pour arranger les choses.

« Pour faire plus simple, il est l’homme de la situation. C’est quelqu’un de rassembleur qui a la faculté de trancher et de prendre les bonnes décisions au bon moment »

- Anis Birou, un des cadres du RNI

Samedi 29 octobre, en conclave à Bouznika (à 40 kilomètres de Casablanca), les congressistes du RNI ont élu Aziz Akhannouch comme président du parti. Il remplace ainsi Salaheddine Mezouar, qui après la contre-performance aux législatives du 7 octobre, a jeté l’éponge.

Le parti qui a été fondé en 1977 par Ahmed Osman, beau-frère de Hassan II (le père de Mohammed VI, le roi du Maroc), a perdu vingt sièges à la Chambre des représentants entre 2011 et 2016.

« Le tout s’est passé très rapidement et personne ne pouvait prévoir un tel changement en si peu de temps malgré la débâcle », confie à Middle East Eye un député qui connaît très bien le parti de la colombe (emblème du RNI).

La colombe, emblème du RNI (Facebook)

Si Aziz endosse alors en sortant du congrès le costume du sauveur. « Pour faire plus simple, il est l’homme de la situation. C’est quelqu’un de rassembleur qui a la faculté de trancher et de prendre les bonnes décisions au bon moment », répond spontanément Anis Birou, l’un des cadres du RNI et ministre chargé des Marocains résidant à l'étranger et des Affaires de la migration, quand on lui demande de décrire la personnalité de son nouveau président.

Un parti qu’il connaît bien

Sauf que cet événement n’avait rien d’une élection normale. Le nom de Aziz Akhannouch a été annoncé à la tête du parti la première fois par son prédécesseur le 12 octobre dernier. Une première dans le champ politique marocain.

« Cette élection n’avait rien de démocratique ! Au contraire elle était entachée de dépassements du début à la fin », martèle un politologue marocain, qui à l’image de nombreuses personnalités sollicitées pour parler d’Akhannouch, a requis l’anonymat.

Premier dépassement, le président n’est plus encarté au parti. En 2012 et via un communiqué, il avait annoncé sa démission du parti, ce qu’il a tout de même essayé de nier à Bouznika. « En 2012, j’ai gelé mon adhésion au parti pour pouvoir poursuivre des chantiers importants », avait-il déclaré.

Ensuite, ceux qui ont suivi cette élection ont compris que le règlement interne au RNI n’existait que pour la forme. « C’est le deuxième congrès extraordinaire du parti en une année, et ça c’est interdit par le règlement interne. Mais avec le temps, on voit bien que cela n’a rien de surprenant », poursuit, désabusé, le politologue. Quoi qu’il en soit, Akhannouch est devenu le président d’un parti qu’il connaît bien.

Aziz l’indifférent

L’homme d'affaires âgé de 55 ans a déjà eu un mariage d’intérêt avec la même formation politique il y a quelques années. « Quand Abbas El Fassi a formé son gouvernement en 2007, quelqu’un lui a soufflé le nom d'Akhannouch pour le département de l’Agriculture et de la Pêche », rembobine un ancien du RNI.

« Il est assez timide et on a le sentiment qu’il a toujours peur des interprétations que le grand public pourrait avoir sur lui suite à une déclaration ou une prise de position »

- Un ancien cadre du RNI.

C’est ainsi que Si Aziz, qui a toujours été vu comme un technocrate, a fait le choix d’aller vers le RNI. Mais il n’a jamais été quelqu’un de très engagé et n’a que très rarement assisté aux réunions.

Très discret, il a toujours préféré rester l’écart des altercations internes. « Il est assez timide et on a le sentiment qu’il a toujours peur des interprétations que le grand public pourrait avoir sur lui suite à une déclaration ou une prise de position », analyse cet ancien du RNI.

Son indifférence vis-à-vis de « sa » formation politique s’est confirmée cinq ans plus tard, quand Abdelilah Benkirane a eu la lourde tâche de former le premier gouvernement après la nouvelle Constitution de 2011.

Aziz Akhannouch et Abdelilah Bekirane n'ont pas grand-chose en commun à part le goût du pouvoir (capture d'écran)

À ce moment-là que, l’enfant de Tafraout, dans la région Souss-Massa-Draa qu’il a présidée entre 2003 et 2007, avait annoncé son retrait du RNI. Car le parti de la colombe n’avait pas souhaité prendre part au gouvernement dirigé par le Parti (islamiste) de la justice et du développement (PJD).

« Il venait à peine de gagner son siège de député avec la casquette du RNI, qu’il a troquée contre un retour au département de l’Agriculture », commente cet ancien du parti.

Une nouvelle ère

Cette fois-ci, Akhannouch est bien décidé à prendre son rôle au sérieux. Depuis qu’il est président du parti, il a entamé une tournée à travers les douze régions du royaume afin d’exposer sa vision, malgré son agenda chargé d’homme d'affaires et de ministre.

« Il va au contact des militants, une démarche que nous avions un peu perdue. D’ailleurs on a remarqué que plusieurs anciens membres du parti reviennent », exulte Anis Birou.

La seule chose avec laquelle il n’est toujours pas à l’aise, c’est la presse. Il n’a jamais accordé d’interview depuis qu’il est à la tête du parti et ses déclarations se font très rares.

Pourtant, il est le propriétaire de l’un des grands, si ce n’est le plus grand, groupe de presse au Maroc. Le groupe Caractères, éditeur du très influent hebdomadaire La Vie éco qu’il gratifie chaque semaine de publicités du département de l’Agriculture.

Une entreprise qu’il s’est offert en 1999 pour en faire une pièce maîtresse du groupe Akwa, grâce à laquelle il soigne son image.

Businessman avant tout

Une holding tentaculaire, présente dans plusieurs secteurs et regroupant une quarantaine d’entreprises, dont il a héritée à la fin des années 80 de son père, Ahmed Oulhaj Akhannouch.

« Son père était propriétaire de l’une des premières stations-service au Maroc, à Casablanca. Après l’indépendance, on lui a offert une licence pour la distribution des hydrocarbures. C’était le jackpot pour la famille », raconte à MEE un homme d’affaires casablancais, toujours en affaires avec Akhannouch.

Grâce à un chiffre d’affaires qui dépasse les 30 milliards de dirhams (presque 3 milliards d’euros), Akhannouch a intégré le classement des hommes les plus riches du globe établi par Forbes

C’est ainsi qu’est née la société Afriquia SMDC, une « véritable machine à fric » comme la qualifie la presse marocaine.

L’aîné de la fratrie s’est bien occupé du groupe familial tout de suite après son retour du Canada où il a obtenu un master en Administration des affaires à la modeste Université de Sherbrooke.

Après de longues années d’investissements et de contrats signés à droite et à gauche, Akwa est devenu l’un des plus importants conglomérats au Maroc.

Coup de génie, il achète en 2005 Somepi, une entreprise concurrente d'Afriquia SMDC pour 1 milliard de dirhams (93 millions d’euros), financé en grande partie par Attijariwafa, filiale de la holding royale SNI.

Grâce à un chiffre d’affaires qui dépasse les 30 milliards de dirhams (presque 3 milliards d’euros), Akhannouch a intégré le classement des hommes les plus riches du globe établi par Forbes.

Avec 1,77 milliard de dollars de fortune, il est le 1 367e homme le plus riche de la planète et le deuxième du royaume, derrière Othman Benjelloun, président de la holding FinanceCom et de la BMCE Bank.

« C’est grâce à Si Aziz que le groupe est devenu ce qu’il est aujourd’hui. C’est lui qui a fait fructifier le business et qui a fait les investissements nécessaires. En affaires, c’est un ogre mais il faut faire attention, il a la capacité de vous manger cru », prévient l’homme d’affaires à MEE.

L’alibi

Conscient de la puissance que la politique lui a conférée, il sait l’utiliser pour couvrir ses arrières. Quelques mois après sa nomination au poste de ministre de l’Agriculture, il a lancé, avec la bénédiction du roi Mohammed VI, le plan « Maroc Vert ». Un programme qui avait pour ambition d’élever le niveau de la contribution de l’agriculture dans le PIB national et de créer des milliers de postes d’emploi.

« Son plan est une catastrophe, c’est de la propagande et cela dure depuis 2008, mais personne n’ose lui dire qu’il faut arrêter ce massacre », explique un homme d’affaires à MEE.

En effet, la presse marocaine n’a jamais eu le courage d’aller fouiller pour mettre en lumière les faiblesses du programme. Et pourtant, le secteur agricole est celui qui crée le plus de chômeurs en plus du fait qu’il handicape toute la croissance du pays. La raison de ce silence est simple.

Avant chaque salon international de l’agriculture de Meknès (SIAM), où il est question d’exposer les performances du département de l’agriculture, la presse reçoit un cadeau. Sans aucune exception, ou presque, toutes les publications nationales publient un numéro spécial SIAM, sponsorisé entièrement par le ministère en question. Et si par malheur un patron de presse décide de nager à contre-courant, la sanction est terrible. Il est immédiatement exclu du planning des publicités du ministère mais aussi de ceux du groupe Akwa.

Aziz Akhannouch à un salon de l'agriculture au Maroc (ministère de l'Agriculture)

Il faut dire aussi que Akhannouch est un proche du palais et de l’entourage du roi. Il est le seul à avoir eu le privilège d’accueillir le roi, accompagné de sa femme Lalla Salma, dans sa villa pour un f’tour lors du Ramadan 2013. « On dit qu’il occupe une place particulière auprès du souverain et il est aussi un ami très proche du conseiller royal Fouad Ali el-Himma mais aussi de Mounir el-Majidi, secrétaire particulier de Mohammed VI. C’est à partir de là qu’on comprend beaucoup de choses », ironise l’homme d’affaires.

Ses proches collaborateurs, eux, préfèrent défendre sa générosité. « C’est un ministre qui ne se fait pas payer et qui n’hésite jamais à accorder des primes au personnel du ministère de sa propre poche. Et rien qu’avec ça il a l’admiration du marocain lambda », reconnaît l’homme d'affaires.

Le prochain gouvernement passe par lui

Mais Aziz Akhannouch est surtout devenu, pour certains, celui qui bloque la formation du prochain gouvernement depuis son intronisation à la tête du RNI.

Il y a un an, au moment des discussions autour du projet de loi de finances à la chambre des représentants, une brouille a éclaté entre le chef du gouvernement et son ministre de l’Agriculture.

« Il agit comme un chef de gouvernement alors qu’il n’a que 37 sièges contre 129 pour le PJD. On dirait qu’il fait ses caprices de star mais il oublie l’avenir du pays qui attend un gouvernement depuis les législatives ! »

- Un politologue

À l’origine, la gestion du fonds de développement rural doté d’une enveloppe de 55,8 milliards de dirhams (5,2 milliards d’euros) accordée à l’agriculture sans l’aval du chef de gouvernement.

Au final, Benkirane a laissé Akhannouch s’en occuper. Les deux hommes ne se ressemblent pas. Ils n’ont pas les mêmes valeurs. Ils ne s’apprécient pas particulièrement. La seule chose qui les rapproche est sans doute un goût commun pour le pouvoir.

Les négociations n’ont jamais cessé entre Benkirane, que le roi a nommé le 10 octobre dernier pour former le gouvernement, et les autres patrons de partis, à l’instar de Aziz Akhannouch.

« Il agit comme un chef de gouvernement alors qu’il n’a que 37 sièges contre 129 pour le PJD, rappelle encore le politologue à MEE. On dirait qu’il fait ses caprices de star mais il oublie l’avenir du pays qui attend un gouvernement depuis les législatives ! »

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].